

Mes colocataires irlandais m'ont prévenu : dimanche il y a la grande finale du championnat "all Ireland" de hurling que je ne dois manquer sous aucun prétexte, la finale opposant les comtés de Cork et Clare d'où sont originaires mes amis. Fraîchement débarqué du continent, je me sens investi de cette mission de découvrir le patrimoine culturel de mon pays d'adoption. Ça tombe bien, le hurling est l'un des deux sports nationaux avec le football gaëlique, qui sont pratiqués presque exclusivement en Irlande.
En ce dimanche grisonnant de septembre nous nous lançons donc à l'assaut d'un pub du centre-ville de Limerick avec deux compères français pour assister à l'évènement. Nous entrons au Flannery's, nom qui ne trompe pas quant à l'établissement, et à notre grand étonnement le bar est à moitié vide. Bon, il est 3h un dimanche après-midi mais quand même, ça laisse perplexe?À la télévision, les journalistes sportifs prennent l'antenne pour retransmettre une "cérémonie d'ouverture" qui s'avère interminable. Présentation des joueurs, des officiels, hymnes, tour de terrain de la fanfare, minute de silence, politesses, tout y passe. Et ça, les vrais Irlandais le savaient, ceux-là qui viennent finalement remplir le pub juste avant le coup d'envoi. Entre les ancêtres, les jeunes couples (le garçon ayant traîné sa copine jusqu'ici ou l'inverse) et les quadras, le Flannery's commence à vibrer. Armés de Guinness et d'Irish coffee, nous sommes fin prêts lorsque le coup d'envoi est donné ! C'est juste à ce moment que l'un de nous a la clairvoyance de poser LA question : au fait, c'est quoi les règles ?
Des règles particulières?
Pour faire simple, le hurling se joue avec deux équipes de 15 joueurs sur un terrain immense (140m X 80m) où l'objectif est, armé d'une crosse, de faire passer la balle entre des poteaux de rugby (1 point) ou dans une cage de foot située en dessous (3 points). Pour obtenir le sliotar (la balle) on peut soit l'attraper à la main soit la ramasser avec le hurley (la crosse). On peut garder la balle en main sur quatre pas avant de la remettre sur sa crosse et de courir (position assez ridicule mais complexe à réaliser), passer ou tirer.
?pour un match fou !
Revenons au match : Croke Park, 80 000 personnes, on joue donc cette grande finale entre les comtés de Clare, en jaune et de Cork, en rouge. La partie démarre à une vitesse folle, les passes, les contres, et les duels s'enchaînent lorsqu'un joueur balance un énorme coup de crosse dans la balle qui passe entre les poteaux : 1-0 pour Clare. On croyait assister à un début de rencontre tonitruant mais en réalité, c'est tout le temps comme ça ! L'intensité est monstrueuse, les joueurs enchaînent les sprints avant de balancer avec une adresse diabolique des tirs de 60m entre les perches. Les pintes se vident et se remplissent au même rythme que les buts se suivent sur le pré, c'est dire. La mi-temps arrive, Clare mène 12-10 lorsqu'un papy à la carrure de troll, couvert d'un long manteau beige, s'approche de nous en demandant si nous sommes bien français? Il nous raconte ensuite qu'un de ses ancêtres est le Maréchal Mac Mahon dont le nom orne l'une des avenues qui mène à la place Charles de Gaulle à Paris. Enfin c'est ce qu'on a cru comprendre. Car lorsqu'on saisit l'occasion de lui demander les règles de ce sport de dingue, il continue à baragouiner son histoire sans nous prêter attention. Visiblement, l'alcool a déjà fait sa besogne?
Reprise : la tension dans le pub s'intensifie, Clare mène au score mais se fait rattraper par Cork qui arrivera à marquer trois "goals" (qui valent trois points). Si bien qu'à une minute de la fin, les rouges passent devant pour la première fois du match ! Et ils mènent d'un point lorsqu'au bout des 70 minutes, dans les arrêts de jeu, O'Donnovan du comté de Clare égalise entre les perches ! Le final est ahurissant de suspense, on essaie de comprendre s'il y a un gagnant ou s'il y a des prolongations. En fait, on jouera un match d'appui dans trois semaines ! Aux toilettes, les traditionnelles analyses d'après-match ont lieu tandis que la Guinness achève son cycle dans le corps humain. Certains sont déçus et crient au complot, l'arbitre aurait laissé plus de temps pour permettre l'égalisation et un nouveau match, garantissant des retombées financières importantes aux organisateurs?
Finalement, nous sortons du pub ravis de notre sortie culturelle et de la découverte de ce sport qui vaut le détour. Par contre je me dis qu'après cela, je vais avoir du mal à proposer le match France-Biélorussie à mes colocs. Etant donné le spectacle proposé, je risque de me prendre quelques coups de crosse?
Robin Gremmel (www.lepetitjournal.com/dublin) mardi 24 septembre 2013


































