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En compagnie des HIJRAS pour la fête de Koovagam en Inde du sud

Un groupe de Hijras à Koovagam dans le Tamil NaduUn groupe de Hijras à Koovagam dans le Tamil Nadu
Écrit par Annick Jourdaine
Publié le 29 avril 2022, mis à jour le 19 décembre 2023

Le modeste temple du petit village de Koovagam dans le Tamil Nadu à 200 kilomètres de Chennai est dédié à Aravan et la fête d’avril qui l’honore attire une foule importante pendant plusieurs jours. Aravan est particulièrement vénéré dans le sud de l’Inde ; on lui attribue des pouvoirs contre l’infertilité féminine. Il est représenté avec la tête coupée, une longue moustache et de grandes oreilles. 

 

Le char transportant la tête d'Aravan

 

 

Aravan, celui qui accepta de se sacrifier dans l'épopée du Mahabharata

Il était une fois … une guerre où s’affrontaient des cousins, devenus ennemis pour le contrôle du royaume de leur ancêtre commun. C’est l’histoire des Pandava et des Kaurava, transcrite depuis des siècles dans le Mahabharata (Kurukshetra, la guerre du Mahabharata).

Après plusieurs jours de combats violents, Aravan, fils d’Arjuna, un des frères Pandava, accepte de se sacrifier pour assurer la victoire de son camp. Deux exigences avant de mourir : d’une part se marier et passer une nuit avec sa femme (ce qui lui permettra aussi de bénéficier du rituel de la crémation, non accordé aux célibataires) et d’autre part pouvoir assister au combat jusqu’à son terme, malgré la mort. 

Trouver une femme qui se dévoue pour devenir veuve le lendemain de son mariage n’est pas une chose facile. En l’absence de candidates, le dieu Krishna qui soutient le camp des Pandava propose de se transformer en femme et d’épouser Aravan.

L’affaire est conclue ; après la nuit de noces, Aravan meurt décapité. Sa tête reste sur le champ de bataille à observer la scène et son corps est démembré en trente-deux morceaux, disséminés dans le pays. Chaque lieu où atterri un de ces morceaux est aujourd’hui vénéré.

C’est le cas du petit village de Koovagam dont le modeste temple est dédié à Aravan. Il est représenté avec la tête coupée, une longue moustache et de grandes oreilles. Cette tête symbolise non seulement le sacrifice de soi, mais aussi la régénération et la continuité, en raison de sa capacité à voir la guerre après son sacrifice.

 

tête d'Aravan à Koovagam

 

 

La fête d’avril qui honore Aravan attire une foule importante pendant plusieurs jours, au moment de la pleine lune. 

Le dernier jour des festivités, une sculpture en terre de la tête d’Aravan est fixée sur un chariot, au milieu de guirlandes de fleurs. Le chariot roule dans les rues du village sous les acclamations de la foule. Les prêtres accrochés au chariot (ce ne sont pas des Brahmanes, mais des membres de la caste des guerriers) arrachent petit à petit les guirlandes, mimant la mort du héros et le dépouillement de son corps. En parallèle, des coqs et chèvres sont sacrifiés.

 

Tête d'Aravan défilant sur un char

 

 

La fête des « filles de dieu » 

La fête de Koovagam est aussi l’occasion d’un grand rassemblement de la communauté transgenre, les Hijras, nommées dans le Tamil Nadu, Aravanis ou Thiru nangai, ce qui signifie « filles de dieu ».

 

Des Hijras célébrant leur jour à Koovagam

 

Les Hijras revendiquent d'être les enfants d’Aravan et s’identifient au dieu Krishna qui s’est transformé en femme pour satisfaire la requête du héros. Les jours ou plutôt les nuits d’avril de pleine lune à Koovagam, des milliers d’Hijras font la fête, un moment de gloire pour celles qui n’acceptent pas le corps masculin de leur naissance. 

 

Hijras en beauté pour leur mariage

 

La fête se déroule sur deux jours, mais la veille, depuis quelques années, des sociétés de cosmétiques et des agences de mode organisent l’élection de Miss Hijras. Les plus jeunes se mettent en beauté pour décrocher le podium et sortir de leur anonymat. 

 

Des Hijras se présentant pour Miss Hijras

 

Commence ensuite la fête officielle avec la cérémonie du mariage. Parée de ses plus beaux atours, comme une mariée hindoue, chacune reçoit d’un prêtre, le Thali, fameux cordon nuptial. C’est une simple corde où est noué un morceau de curcuma. 

 

une Hijra reçoit le cordon de mariage

 

Les Hijras honorent Aravan avec des plateaux de fruits et de fleurs et font bruler des cubes de camphre dont la blancheur symbolise la pureté. 

 

Cubes de camphre offerts au dieu Aravan

 

Toute la nuit, des chants et danses, rythmés par les tambours, célèbrent l’union des « filles de dieu » avec le héros guerrier devenu dieu par son sacrifice.

 

Hijras dansant le soir du festival de Koovagam

 

Le lendemain matin, les Hijras sont devenues veuves. Le prêtre qui la vielle les avait mariées, arrache leur cordon nuptial et brise leurs bracelets de verre.

Après les scènes de cris et de pleurs, les Hijras prennent un bain purificateur et enfilent le sari blanc des veuves.

 

Des Hijras pleurant la mort d'Aravan, leur mari

 

 

Chacune reprend alors le chemin vers sa vie ordinaire, cette vie de lutte contre le rejet et l’ostracisme de la société à leur égard.  

 

Qui sont les Hijras ou Aravanis ou Thiru nangai (en tamoul) ?

Aujourd’hui identifiées aux transgenres, les Hijras se revendiquent comme le troisième sexe, ni homme, ni femme. Néanmoins, la plupart se considèrent comme des femmes même si leur corps de naissance possède des attributs masculins. Les Hijras portent des vêtements féminins et certaines d’entre elles ont recours à des traitements hormonaux ou à la chirurgie pour transformer leur corps.  

 

Des mains de Hijras décorées de henné pour le mariage

 

La communauté des Hijras

Le jeune garçon qui refuse son corps masculin est souvent rejeté par sa famille. Il doit alors trouver un nouveau groupe d’appartenance. L’entrée dans la communauté des Hijras suppose le passage de certains rituels qui institutionnalisent des relations pseudo-familiales entre les membres. On se crée une nouvelle famille, au sein d’un réseau social fortement hiérarchisé qui assure le logement et la protection physique et affective.

 

Un groupe de Hijras sur leur 31 posant à Koovagam

 

Il n’existe aucun recensement fiable du nombre d’Hijras dans toute l’Inde ; les estimations sont comprises entre cinq cent mille et un million de personnes. 

 

Une communauté ancienne réléguée au banc de la société par les Anglais

De nombreux textes religieux hindous y font référence. Dans le Ramayana, les Hijras sont présentées comme des personnages très fidèles et loyaux. Le Kamasutra évoque des personnes transgenres au IVème siècle. La littérature tamoule en parle également. Dans les cours mogholes, les Hijras étaient recherchées car jugées dignes de confiance.

Ce sont les Britanniques qui en ont fait des parias. L'article 377 du Code pénal indien a ainsi criminalisé les rapports charnels volontaires contre « nature », classant les Hijras comme « une tribu criminelle ».

Depuis, la communauté a été mise à l’écart, souvent malmenée par la police et la justice et tantôt respectée, tantôt redoutée et méprisée par la population. Pour survivre, un grand nombre d’Hijras sont encore aujourd’hui réduits à la mendicité et la prostitution. On estime que 70 % des Hijras sont des travailleurs du sexe. Le SIDA y fait des ravages. Le taux d’infection serait cent fois plus important que la moyenne nationale. 

 

une hijra

 

 

Dans certains mariages hindous, on fait appel aux Hijras pour leur supposé pouvoir en matière de fertilité. A l’inverse, une partie de la population les craint car les juge capables de jeter le mauvais sort. Certaines d’entre elles s’en amusent en claquant fortement leurs mains pour effrayer leurs interlocuteurs.

 

Mais tout a changé (ou presque) depuis 2014

Le 15 avril 2014, la Cour Suprême indienne a reconnu légalement « un troisième sexe » incluant à la fois les Hijras et les autres identités LGBTQ. La Cour a déclaré que les personnes transgenres devaient être traitées comme une troisième catégorie de genre ayant des droits spécifiques en matière d'accès à l'éducation et l'emploi.

En 2017, une autre décision de la Cour Suprême affirmait que le droit à la vie privée était un droit fondamental et que les orientations sexuelles de tout individu devaient être confidentielles. De quoi s’opposer à la discrimination socio-économique dont souffrent les transgenres, en particulier dans le recours aux soins. 

 

Une Hijra posant

 

Une étude menée par une ONG a montré combien l’accès aux soins médicaux de base leur était difficile et mis en évidence la transphobie de nombreux professionnels de la santé.

Enfin, en septembre 2018, la Cour Suprême indienne décriminalisait l’homosexualité et rendait inconstitutionnel l’article 377 des Britanniques, toujours en vigueur jusque-là. 

 

Les associations militantes pour les droits des minorités sexuelles regrettent que la loi ne traite pas l’ensemble du problème comme par exemple la question de l’héritage et de l’adoption d’enfants. Cependant, elles s’accordent pour reconnaitre que des pas de géants ont été accomplis en Inde ces dix dernières années en faveur des droits fondamentaux du « troisième sexe ». 

 

Une Hijra maquillée pour son mariage avec Aravan

 

 

Le Tamil Nadu en pointe pour défendre les droits des Hijras

Le Tamil Nadu fait partie des états où la communauté Hijra est la plus importante. Ce n’est pas dû au hasard. Les Hijras savent que l’on y est mieux accueilli qu’ailleurs.

Le gouvernement de l’état s’est doté d’un « bureau du bien-être des transgenres », chargé de proposer des mesures spécifiques et garantir leur application. Ainsi, ont été mis en place : des programmes d’éducation sexuelle dans les écoles ; des logements réservés ; la distribution gratuite d’antiviraux pour les malades du SIDA ; des tarifs subventionnés pour des actes chirurgicaux de « reconstruction sexuelle ».

 

Campagne de prévention du Sida dans le Tamil Nadu

 

En 2017, Chennai recrutait une inspectrice de police transgenre, une première dans tout le pays.

 

 

La loi a évolué positivement, les mentalités bougent petit à petit. La vie n’est pas encore simple pour les Hijras en Inde, mais nous en avons rencontrées lors de la fête de Koovagan, fières de leur identité et socialement intégrées. Ainsi, après son mariage symbolique avec Aravan, Samira s’apprêtait à regagner Chennai où elle travaille comme responsable d’une unité de l’entreprise Amazon. 

 

Des mains aux ongles vernis d'une Hijra

 

Le 21 avril dernier, The Hindu rapportait l’initiative d’une transgenre qui ouvrira un cours de danse traditionnelle, réservé aux Hijras, en juin prochain à Chennai. Pour la responsable de l’école, les transgenres ont des aptitudes naturelles artistiques. Danser, chanter sont des pauses dans leur vie difficile, une manière de transcender la réalité quotidienne. 

 

Quelques livres sur la communauté Hijra

  • Le colis de Anosh Irani
  • Le ministère du bonheur suprême de Arundhati Roy 
  • Les derniers eunuques – en Inde, avec les Hijras de Zia Jaffrey
  • Les Hijras, portrait socioreligieux d’une communauté transgenre sud-asiatique de Mathieu Boisvert

 

2 Hijras à Koovagam, Tamil Nadu

 

Toutes les photos ont été prises par Anne-Mathilde THEVENIN et Annick JOURDAINE le 19 et 20 avril 2022 à Koovagam dans le Tamil Nadu.

 

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