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Vikash Dhorasoo : Le footballeur qui ne perd pas la boule

Vikash Dhorasoo avec les joueurs Deccan Club d'HyderabadVikash Dhorasoo avec les joueurs Deccan Club d'Hyderabad
@Deccan Club Hyderabad
Écrit par Maud Tyckaert
Publié le 6 avril 2023, mis à jour le 19 décembre 2023

S’il a raccroché les crampons en 2008, Vikash Dhorasoo n’a jamais lâché sa passion pour le football. Premier joueur de foot d’origine indienne à avoir participé à une finale de coupe du Monde, il est invité sur la terre de ses ancêtres par l’Alliance française d’Hyderabad, pour échanger sur ses expériences de vie et présenter la bande-dessinée dont il est l’auteur, J’perds pas la boule.

 

Maud Tyckaert pour lepetitjournal.com : En Inde pour une dizaine de jours, vous êtes aujourd’hui à l’Alliance française d’Hyderabad pour remettre les diplômes DELF de la dernière session d’examens et pour présenter J’perds pas la boule. Sortie en pleine pandémie, cette BD biographique sur votre carrière de footballeur est éditée par Vincent Bernière, un ami et complice avec qui vous partagez au moins deux passions : le foot et l’Inde… Il vous accompagne d’ailleurs lors de ce séjour…. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?

Vikash Dhorasoo : Je passe beaucoup de temps avec Vincent, il connait très bien ma vie. Je lui racontais régulièrement mes histoires de footballeur, et ça le faisait marrer. Il a eu l’idée de transformer mes histoires en un projet collectif. Nous avons contacté la dessinatrice Emilie Gleason dont nous avions adoré la BD “Ted, drôle de coco”. Voilà, comment est né le projet. Cette BD parle de mon enfance, de ma famille, du monde du foot mais aussi du racisme. 

 

Couverture de la BD J'perds pas la boule par Vikash Dhorasoo

 

 

Vous y rappelez vos origines indiennes. Vous évoquez aussi votre enfance près du Havre, les films Bollywood auxquels vous ne compreniez rien, les currys, les mantras chantés par votre maman à la maison. Quand avez-vous découvert l'Inde pour la première fois et dans quel cadre ? 

Test ADN à l’appui, je suis 100% indien. Mon arrière grand-père vient d’un village de l’Andhra Pradesh d’où il a été déporté en 1890 pour travailler la canne à l'île Maurice. Mes grands-parents, mon père et ma mère sont nés à Maurice. Ils parlaient tous le Telugu (ndlr : langue officielle de l’Andhra Pradesh et du Telangana). Là-bas on ne se mariait qu’entre personnes parlant le Telugu. On nous a d’ailleurs transmis à moi, mes frères et sœurs, cette histoire de famille comme si le Telugu était une religion alors qu’en fait c’est une langue. Jusqu’à ma génération il n’y a eu aucun mariage dans ma famille en dehors de la communauté Telugu. Je suis le premier à mélanger mon sang. 

 

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Enfant ou ado, je ne suis jamais allé en Inde, mais je me suis rendu à quelques reprises à Maurice avec ma famille, pas souvent, car on n’avait pas beaucoup de moyens. Ma rencontre avec l’Inde s’est faite plus tard… J’y suis venu pour la première fois grâce au football pour jouer un match caritatif à Delhi, en 2008. La deuxième fois c’était au Sikkim pour les mêmes raisons. Et puis il y a eu Calcutta, Bombay… C’est toujours le foot qui m’a fait voyager en Inde. J’y reviens après 8 ans, et je suis pour la première fois au Telangana. Encore une fois, c’est grâce au foot ! 

 

Page je suis Indien de la BD J'perds pas la boule

 

Vous écrivez qu’il est déprimant d’être pris pour un touriste dans le pays de ses origines… On a l’impression que vous êtes toujours à la frontière entre deux-mondes… Touriste à Maurice, un peu “d’ailleurs” en France bien que vous soyez Français…. Dans le film “Tout Simplement Noir”,  Jean Pascal Zady, à qui vous donnez la réplique, ne vous trouve pas assez crédible pour participer à sa marche pour les Noirs à cause de vos cheveux trop lisses et votre peau pas assez foncée…. Comment dribblez-vous au quotidien avec ce sentiment d’être toujours trop ou pas assez ? Avez-vous trouvé une voie du milieu depuis que vous n’êtes plus milieu de terrain ?

Je suis d’origine mauricienne, j’ai le look d’un Mauricien, toutefois à Maurice on me prend toujours pour un touriste. Mais en Inde c’est totalement différent. Un jour je me suis retrouvé au coin d’une rue à Delhi, et quelqu’un m’a demandé de l’aider à trouver son chemin. C’est la première fois de ma vie que je me suis dit “ici c’est chez moi”. J’ai toujours eu conscience que je n’étais pas un homme blanc quand je me baladais au milieu des autres, bien que le foot m’ait permis d’évoluer dans divers milieux, j’ai toujours dénoté un peu…. Aujourd’hui, je me sens bien avec tout cela, j’assume totalement mon physique.

 

Vikash Dhorasoo à l'Alliance française d'Hyderabad

 

 

Vous évoquez dans cette BD des moments délicats lors desquels vous avez subi des discriminations raciales, notamment cet épisode où vous rentrez avec votre poussette dans une pharmacie de Milan et où l’on vous demande d’emprunter l’entrée des livreurs. Vivez-vous toujours ces délits de faciès, ou la célébrité vous épargne-t-elle ?

À l’époque de cet épisode, je jouais pour l’AC Milan, j’étais déjà célèbre … Ma vie a changé quand je suis devenu connu au Havre. Avant je ne pouvais même pas rentrer dans des boîtes de nuit avec mes copains. J’avais des soucis pour trouver un appartement… Le fait de devenir footballeur a évidemment tout changé, et j’ai pu rentrer partout ensuite... Mais si on ne me “reconnait” pas, ces situations je les vis toujours. Récemment j’étais dans un magasin de seconde main dans le quartier des Abbesses pour acheter un mixeur et le vendeur s’est senti obligé de me faire remarquer que le robot coûtait cher…. pensant que c’était un achat hors de ma portée. Il n’avait sans doute jamais vu un Noir, un Arabe ou un Indien rentrer dans son magasin. Il y a encore en France un certain regard sur les Indiens et les Pakistanais qu’on associe uniquement aux vendeurs de fleurs ou de marrons chauds…  Et puis évidemment, Bollywood, la cuisine indienne etc… J’ai l’impression qu’il y a un regard un peu condescendant sur les Indiens, qu’il serait temps de changer. 

 

Page sur l'épisode de la pharmacie de la BD J'perds pas la boule

 

 

Philippe Delerm vous surnomme le footballeur de la mélancolie alors que vous défendez via votre association Tatane un football durable et joyeux. Deux adjectifs qui peuvent paraitre antinomiques. Êtes-vous mélancolique d’un foot qui n’existerait plus ? 

Je prends les mots de Philippe, que j’apprécie beaucoup, comme un compliment… Je me définis davantage comme un romantique, mais sans amertume…  Bien sûr qu'il y a un foot qui n'existe plus… Il y a eu tellement de bouleversements dans le foot ces dernières années. L’apparition de la VAR (Assistance vidéo par l’arbitrage) est LE changement suprême, très mauvais selon moi pour le foot, mais excellent pour le business et le système. Ce n’est pas ce foot là qui m’intéresse, même si j’avoue qu’avec tous les moyens que la FIFA et l’UEFA mettent dans les nouvelles technologies, on assiste aujourd’hui à de grands spectacles télévisuels préfabriqués, créateurs d’émotions, mais c’est un tout autre football. À aucun moment on ne pense aux joueurs, aux spectateurs dans les stades et surtout aux joueurs qui pratiquent le week-end… et qui eux n’utilisent pas toute cette technologie. 

 

Quant à l’association Tatane, j’ai fait le choix de quitter la présidence pour illustrer tout ce que je prônais. J’ai délégué les rênes à des tiers issus de toutes origines raciales et milieux  sociaux…. C’était important pour moi que l’association puisse exister indépendamment de mon image. Je suis toujours présent si Tatane a besoin de moi. Récemment je suis allé jouer pour un tournoi en prison pour eux. Je reste un membre très actif.

 

Vikash Dhorasoo dédicace une chaussure à l'AF Hyderabad

 

 

L’association Tatane rend possible un jeu plus créatif avec de nouvelles règles de jeu qui peuvent être inventées, débattues et actées. Elle défend un sport inclusif où les femmes, les seniors, les passionnés de foot de toutes religions sont inclus. Quid du foot professionnel ? Pensez-vous qu’il pourrait être plus inclusif ?

Bien sûr, prenons l’exemple du foot féminin. Avec une volonté politique et un peu de moyens, on pourrait le faire évoluer. L’équipe de Lyon et celle de Paris viennent de perdre ; l’équipe de France féminine ne se porte pas très bien. Cela signifie que le foot féminin arrête de progresser. Selon moi la première chose à faire serait de proposer une femme comme entraineuse de l’équipe. La deuxième initiative qui pourrait être rapidement mise en place, serait d’acter l’égalité salariale entre hommes et femmes dans les sélections nationales. La décision ne dépend pas d’acteurs privés, elle appartient au Président de la Fédération française de foot. Je suis certain que tous les footballeurs soutiendraient cette évolution. 

 

Au cours de ce séjour en Inde, vous avez rendu visite à plusieurs clubs (Bangalore, Hyderabad)…. Vous avez aussi rencontré, à l’initiative de Decathlon, de jeunes joueurs issus de milieux marginalisés qui rêvent de devenir footballeurs. Un petit mot sur ces rencontres ?

J’ai vraiment été surpris par les très belles infrastructures que j’ai pu visiter. Certes elles sont pour la majorité privées, comme la Padukone Dravid Centre for Sports Excellence à Bangalore ou la Deccan Academy à Hyderabad où j’ai d’ailleurs rencontré d’excellents joueurs. J’ai participé à des rencontres organisées par Décathlon qui essaie de rendre le sport plus accessible en Inde au niveau des équipements sportifs. Des terrains sportifs sont crées in situ, j’ai pu y rencontrer des enfants des rues, fans de foot, échanger des passes avec eux, ces moments de convivialité m’ont beaucoup touché. Les moins timides m’ont demandé des conseils pour devenir footballeur professionnel. La question n’est pas simple, mais je leur réponds qu’être animé par la passion c’est déjà un excellent début.

 

 

 

L’Inde est un pays où le cricket est roi, mais l’intérêt des jeunes pour le foot ne cesse de croître. Vous êtes le premier footballeur d’origine indienne à avoir joué une coupe du Monde. Fort de cette distinction, aspirez-vous à inspirer les jeunes Indiens ? Et comment ?

Je ne souhaite pas être érigé comme un modèle. Mais l’Inde, c’est particulier, il y a peu de joueurs indiens qui jouent à un haut niveau. Si mon visage et mon parcours peuvent inspirer de jeunes joueurs, c’est tant mieux. Au-delà de mon image, je voudrais surtout pouvoir inspirer par mon histoire, partager mes expériences de vie. Ce voyage entrepris… par ma famille, de l’Inde à Maurice pour arriver en France…. Vous imaginez le chemin parcouru ? Si je peux, avec ma passion pour le foot, favoriser des connexions entre l’Inde et la France pour faire évoluer la pratique de ce sport, voir un jour des Indiens jouer en Europe, et le niveau de l’équipe nationale s’élever, alors oui je suis partant ! 

Il y a un gros potentiel ici. Je ne veux pas tuer le cricket mais dans un pays de 1,5 milliard d’habitants, il y a aussi de la place pour des gamins qui veulent découvrir le foot. J’ai appris que seulement 5% de la population indienne pratiquait un sport, c’est très faible… Rien qu’augmenter ce chiffre de 1 pour cent, c’est tout de suite 15 millions de personnes en plus ! Le sport c’est important, c’est aussi une hygiène de vie…

J’ai fait des rencontres fabuleuses ici. Je suis en discussion avec le Président du Comité olympique local et avec Decathlon pour voir comment je peux intervenir afin de faire progresser le foot ici dans le sud de l’Inde. À suivre…

 

Vikash Dhorasoo au Deccan Club d'Hyderabad
@Deccan Club Hyderabad

 

 

Demain, vous partez découvrir le village de votre arrière grand-père dans l'État voisin ?

Ah oui demain ça va être beaucoup d’émotions… Je me rapproche… J’ai toujours su qu’un jour l’arrière petit-fils que je suis irait dans ce village, je sais que je viens d’ici, et encore une fois c’est le football qui me trimballe. J’ai beaucoup de chance. Je suis lié au football… pour la vie. 

 

 

J’PERDS PAS LA BOULE de Vikash Dhorasoo et Emilie Gleason - Editions Revival - 

N° coll : REV011
Prix TTC en France : 19 €
ISBN : 979-10-96119-36-3
Parution : septembre 2020

 

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