Un musée itinérant parcourt le Cambodge pour transmettre aux jeunes l’horreur du régime de Pol Pot.


Depuis début 2024, un bus transformé en musée itinérant sillonne le Cambodge. À son bord, une équipe de pédagogues, d’experts et de survivants transmet aux jeunes générations l’histoire tragique du régime des Khmers rouges, à travers des outils interactifs, des bandes dessinées, et surtout, des témoignages bouleversants.
Ce projet, porté par les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), intervient après la clôture de leur dernier procès en 2022. Dans un pays où deux habitants sur trois ont moins de 30 ans, il répond à une urgence : rétablir la mémoire d’un passé trop souvent passé sous silence.
Un dialogue entre générations
Lors de ses étapes dans des zones parfois très isolées, comme la province de Koh Kong ou le district de Phnom Srok, le bus ne se contente pas de transmettre des faits historiques. Il crée un véritable espace d’échange intergénérationnel.
Des survivants, comme Mean Loeuy, 71 ans, y livrent leurs récits poignants : la faim, le travail forcé, les exécutions… Des récits qui, pour beaucoup d’élèves, résonnent comme une révélation. « Je ne suis pas née à cette époque. Ici, j’ai compris ce que mes parents ne m’ont jamais raconté », confie Mouy Chheng, 14 ans.
Apprendre la justice autrement
L’objectif du bus va au-delà du devoir de mémoire : il s’agit aussi d’éduquer à la justice. À travers les cas emblématiques des procès 002/01 et 002/02, les élèves découvrent que la justice ne se limite pas aux sanctions pénales.
Elle prend une forme collective, qui passe par la reconnaissance des souffrances et la réparation symbolique. Ces discussions permettent aux jeunes Cambodgiens de comprendre que la justice se vit aussi dans les communautés, les écoles ou les pagodes.

La mémoire face aux traumatismes
Les organisateurs sont également attentifs à l’impact psychologique de ces ateliers. Accompagnée par des psychologues de l’Organisation psychologique transculturelle (TPO), chaque session prend en compte les risques de traumatismes secondaires.
Un accompagnement essentiel dans un pays où, en 2009, près d’un tiers des adultes souffraient encore de stress post-traumatique. La transmission de la mémoire se fait donc avec prudence, pour éviter que les blessures du passé ne se répercutent sur les nouvelles générations.
Justice incomplète, mémoire essentielle
Malgré le travail des CETC, seules trois figures du régime ont été condamnées. Beaucoup d’anciens hauts responsables vivent encore en liberté, et des questions demeurent sans réponse : « Pourquoi Pol Pot n’a-t-il jamais été jugé ? », demandent les élèves.
Pour l’avocat Ven Pov, qui accompagne souvent les missions, certaines zones d’ombre demeurent. « On a encore besoin de chercher, de comprendre », reconnaît-il. Mais l’essentiel, est de permettre aux victimes d’obtenir une forme de justice symbolique : « Les victimes veulent la justice, mais aussi la paix et l’unité du pays ». Un fragile équilibre que le Cambodge tente encore de préserver.
Une initiative nécessaire, mais tardive
Pour l’universitaire Timothy Williams, spécialiste de la justice transitionnelle, cette démarche aurait dû être lancée bien plus tôt : « Les leçons du passé sont précieuses. Il ne faut pas les oublier. »
Depuis son lancement, le bus-musée a déjà sensibilisé plus de 60 000 jeunes dans 92 établissements.
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