Poudres et pistolets à eau envahissent les rues pour le Nouvel An khmer, mais où sont passés le respect et le consentement dans ces célébrations devenues spectaculaires ?


Opinion
Une fête populaire devenue incontrôlable
Durant le Nouvel An khmer, les rues du Cambodge vibrent de joie, de rires et de célébrations. Mais au cœur de cette effervescence, entre jets d’eau et poudres blanches, un élément fondamental semble avoir été égaré : le respect.
Je me souviens avoir traversé la rue, seule, quand une main m’a effleuré la joue, y laissant une trace de poudre blanche. Surprise, je me suis retournée pour voir qui en était l’auteur, mais la foule l’avait déjà englouti. Autour de moi, les gens riaient, comme si tout cela n’était qu’un jeu innocent.
« C’est la tradition », dit-on. Mais ce n’est pas vrai. Pas vraiment.
Le vrai Nouvel An khmer : recueillement et bénédictions
Les traditions véritables du Nouvel An khmer sont empreintes de respect et de recueillement. Elles impliquent le sampeah — ce salut traditionnel où l’on joint les paumes des mains et incline légèrement la tête. On échange des bénédictions, on verse doucement de l’eau bénite. Rien de comparable au tumulte d’aujourd’hui.
Ce qui est devenu la norme n’est pas une manifestation culturelle authentique, mais une commercialisation débridée. Un moment autrefois significatif s’est transformé en spectacle, souvent aux dépens du consentement et des limites personnelles.
Et ce n’est pas sans conséquence.
Quand l’amusement devient du harcèlement
Toucher quelqu’un sans son accord, même dans un contexte festif, relève du harcèlement. À cette période de l’année, nombreuses sont les femmes qui revêtent des imperméables, des lunettes de soleil, ou évitent carrément les espaces publics pour se sentir en sécurité. Pourquoi devrait-on adapter notre manière de s’habiller, simplement parce que certains refusent d’adapter leur comportement ?
Le Cambodge est une société conservatrice, profondément hiérarchisée. Les rôles de genre traditionnels y sont encore très ancrés, faisant des hommes les chefs de famille et les décisionnaires, comme en témoignent la plupart des registres familiaux officiels. Pourtant, malgré cette culture du respect et de l’ordre, beaucoup d’hommes semblent incapables de comprendre un mot simple : « Non ».
Dans notre langue, nous apprenons à adoucir les refus : « Je vais y réfléchir », ou « Je vous dirai ». Il est temps de changer cela. D’enseigner, et surtout d’accepter, que parfois, un « non » direct est nécessaire.
Et qu’il doit être respecté.
Mon corps, mon choix
En me promenant dans Pub Street, à Siem Reap, j’ai tenté d’éviter le chaos ambiant. À chaque tentative de contact, je répondais poliment que je ne souhaitais pas jouer. La plupart respectaient ce choix. Mais un homme, visiblement contrarié, m’a arrosée davantage. « Si tu ne veux pas jouer, pourquoi tu es là ? » a-t-il lancé. En tant que touriste découvrant pour la première fois cette fête à Siem Reap, je n’avais pas été informée de tout cela.
Mais la vraie question n’est pas là. Si je choisis de rentrer chez moi avec mes vêtements secs et mon maquillage intact, c’est mon droit. Et ce droit devrait être respecté.
Non loin, j’ai vu une autre femme repoussant un groupe d’hommes qui insistaient pour lui frotter de la poudre sur le visage. Elle disait « non » — poliment. Ils ne l’écoutaient pas. Furieuse, j’ai attrapé la main de l’un d’eux et dit fermement : « Elle a dit non. » Ils se sont éloignés, contrariés, mais le message était clair.
Nous ne devrions pas avoir à intervenir pour que nos limites soient respectées.
Le consentement n’est pas optionnel
Pourquoi les femmes se sentent-elles coupables de se défendre ? Pourquoi avons-nous peur de dire « non » ?
Ce n’est pas l’œuvre de quelques individus isolés. C’est un système qui enseigne aux garçons qu’ils ont des droits sur les autres, et qui appelle cela une tradition. C’est un silence qu’on nous a inculqué et qu’il faut maintenant déconstruire, pour reconstruire une culture du respect véritable.
Il faut éduquer autrement les garçons, enseigner aux enfants ce qu’est le respect authentique, et cesser de normaliser des comportements qui franchissent la ligne.
L’éducation au consentement et aux limites personnelles ne doit pas être laissée au hasard ou à la seule responsabilité des familles. Elle doit être intégrée dans chaque salle de classe du Cambodge. Les enfants doivent grandir en comprenant que le respect n’est pas une option : c’est le fondement de la dignité, pour eux-mêmes comme pour les autres.
Ce n’est pas trop demander.
C’est la base de la décence humaine.
Dana Lee
Avec l'aimable autoisation de Cambodianess qui nous permet d'offrir cet article à un public francophone.
Sur le même sujet
