Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 1

Eva Nguyen Binh: "J'ai travaillé du mieux que j'ai pu, ça m'a réussi."

eva-nguyen-binh-ambassadrice-de-france-au-cambodgeeva-nguyen-binh-ambassadrice-de-france-au-cambodge
Eva Nguyen Binh, Ambassadrice de France au Cambodge © Morgan Havet
Écrit par Leïla PELLETIER
Publié le 4 mars 2018, mis à jour le 5 mars 2018

Que se passe-t-il jeudi prochain ? C’est le 8 mars bien sûr ! Cette date a officiellement été reconnue comme la Journée Internationale des Femmes en 1977 par les Nations-Unies et en 1982 par la France. Une célébration pour chaque année rappeler la lutte, entamée au début du XXe siècle par de nombreuses femmes, contre l’inégalité des sexes. A cette occasion, Lepetitjournal.com Cambodge vous propose, comme l’année passée, une galerie  d’interviews et de portraits. Eva Nguyen Binh, Ambassadrice de France au Cambodge ouvre la semaine et partage avec nous son expérience de femme diplomate, ses conseils et ses inspirations.

 

Quel bilan tirez-vous depuis que vous avez pris vos fonctions d'Ambassadrice ?

J’ai pris mes fonctions comme Ambassadrice de France au Cambodge depuis 10 mois maintenant.

Je ressens une grande satisfaction à la fois professionnelle et personnelle : depuis que je suis arrivée, j’ai été très bien accueillie au Cambodge ; j’ai pu lancer plusieurs projets, rencontrer de nombreuses personnes qui jouent toutes un rôle dans le développement du Cambodge et la relation entre nos deux pays. 

Je constate chaque jour à quel point les gens que je rencontre, Cambodgiens et Français bien sûr, se rendent accessibles, sont ouverts à des dynamiques collectives. Je dirais même qu’ils sont bienveillants.

Je rencontre une grande envie de faire des choses ensemble. Ce n’est pas toujours le cas dans tous les pays, mais c’est ce que je vis ici et maintenant. C’est une motivation supplémentaire dans l’exercice de mes fonctions.

 

Quelles sont les difficultés d'être une femme impliquée en diplomatie ?

En termes de carrière, je dois dire que je n’ai jamais ressenti de difficulté particulière à être une femme. 

Certes, la diplomatie est un milieu qui était, comme beaucoup, particulièrement masculin. C’est d’autant plus vrai au fur et à mesure que l’on monte les échelons hiérarchiques. Mais je n’ai jamais subi de discrimination, de harcèlement. 

Il y a parfois les blagues lourdes, les remarques sexistes, mais ce n’est pas forcément au sein du monde diplomatique que j’en ai subi le plus. 

Les choses changent aussi. 

J’en suis la preuve puisque je suis la première femme Ambassadrice de France au Cambodge. Aujourd’hui, sur l’ensemble des Ambassadeurs de France dans le monde, 26% sont des femmes, contre 11% il y a 5 ans. Un ambassadeur sur quatre nommé en 2017 était une femme. Ca paraît peut-être peu mais c’est en fait beaucoup comparé à la situation qui prévalait jusqu’à aujourd’hui.

J’ai également travaillé dans le secteur privé, dans l’entreprise Michelin, qui est aussi un milieu très masculin. Je n’ai pas ressenti de regard négatif sur moi ou de difficulté particulière parce que j’étais une femme. 

J’ai travaillé du mieux que j’ai pu, j’ai montré ce dont j’étais capable et jusqu’ici, ça m’a réussi. 

On dit souvent que les femmes doivent travailler plus et mieux que les hommes pour prouver qu’elles sont aussi capables que les hommes. C’est sans doute assez vrai. 

Je dois dire que dans mon cas, la recherche de l’excellence et le perfectionnisme sont inhérents à ma personnalité. Peut-être parce que dans ma famille, l’enfant aîné était un garçon, mon frère, et qu’il fallait aussi un peu que je fasse ma place à ses côtés. J’étais habituée à être la fille qui vient après le garçon. Je pense que cela m’a poussée dès le départ à toujours essayer de faire plus et différemment des autres. 

Pour revenir à la diplomatie, il me semble que le défi d’être une diplomate, c’est de réussir à concilier vie professionnelle et vie personnelle, alors que l’on change régulièrement de pays, sans d’ailleurs pouvoir toujours choisir où l’on va. C’est un nomadisme que l’on impose à son conjoint, à ses enfants, et ce n’est pas simple pour la famille. 

C’est très vrai dans le monde diplomatique, mais c’est aussi et de plus en plus le cas de nombreuses autres professions. Il faut être très au clair sur ses priorités, savoir les respecter soi-même et les faire respecter par les autres. C’est loin d’être évident. Je n’ai pas de recette magique ; c’est un effort permanent et des dilemmes quotidiens.  

 

Quels sont vos conseils pour encourager les femmes qui veulent se lancer dans une carrière diplomatique ?

La diplomatie est une voie magnifique, qui offre une vie passionnante et très riche sur le plan humain. 

Ce que je dis souvent aux collègues plus jeunes qui veulent des conseils, c’est qu’il faut oser et ne pas se préoccuper de « plan de carrière ». De toute façon, la vie ne peut être trop planifiée. En tout cas, elle ne l’a jamais été pour moi.

Il faut aller vers ce qui nous intéresse le plus, quitte à sortir parfois des sentiers battus. 

C’est ce que j’ai fait en allant au sein du Ministère vers la voie de la coopération culturelle et technique, alors que quasiment tous les diplomates autour de moi privilégiaient la voie politique. 

C’est aussi ce que j’ai fait en prenant un congé sabbatique à un moment dans ma carrière pour aller voyager sac au dos en Asie. C’est d’ailleurs à ce moment-là, en 2002-2003, que je suis venue pour la première fois au Cambodge. 

C’est encore ce que j’ai fait en partant du Ministère pour aller travailler dans le secteur privé il y a quelques années. 

A chaque fois, on m’a dit que ce serait mauvais pour ma carrière, que je ne devrais pas le faire. Et à chaque fois, c’était en fait la meilleure chose à faire. Je le sais aujourd’hui. Ce n’était pas des décisions faciles à l’époque mais je ne regrette rien, au contraire.

 

Quelles sont pour vous les femmes cambodgiennes les plus inspirantes ?

Je citerais la Ministre de la Culture et des Beaux-Arts, Mme Phoeung Sackona, la Ministre de la Condition féminine, Mme Ing Kantha Pavi, et aussi Mme Phung Chiv Kek, qui dirige une ONG dans le domaine des droits de l’Homme, la LICADHO. 

J’ai rencontré aussi beaucoup de femmes inconnues du grand public qui m’ont impressionnée par leur histoire, leur détermination, que ce soit au sein de l’administration, d’ONG, ou à la tête d’entreprises. Ce sont bien souvent des femmes fortes, mais dont la détermination n’a généralement d’égale que la modestie.

J’aimerais aussi partager quelques autres sources d’inspiration. 

J’ai contribué à créer et j’ai présidé au sein du Ministère des Affaires étrangères, une association de femmes qui s’appelle « Femmes et Diplomatie ». Cette association vise à promouvoir les femmes dans notre ministère, à les aider à concilier vie privée/vie professionnelle. C’était très nouveau à l’époque et cela nous a permis de lever des tabous, d’avancer vers une meilleure reconnaissance de nos difficultés à avoir une carrière intéressante. Avoir une action collective a été une source importante de motivation.

J’aime aussi lire des livres sur les problématiques féminines comme « Choisissez tout » de Nathalie Loiseau, notre actuelle Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, qui a présidé « Femmes et Diplomatie » juste avant moi. C’est un peu l’équivalent français du fameux livre « Lean In » de Sheryl Sandberg, Directrice des opérations de Facebook. Ce sont des témoignages inspirants. 

22365304_156484011613342_5056444495940791953_n
Publié le 4 mars 2018, mis à jour le 5 mars 2018

Flash infos