Lo et Li, un couple d'acteurs enflamme la saison France-Roumanie

Suite à la soirée du 3 décembre dernier, consacrée au projet Fabrique RE-Evolution / FREE / France Roumanie Europe Ensemble à l'Institut Français de Bucarest, notre rédaction a rencontré un couple d'acteurs passionnés, Lo Schuh et Litana Soledad (Nathalie Saïdi), deux ovnis venus de la même planète, celle du théâtre décliné sous toutes ses formes. Un regard lucide porté sur l'art et des révélations surprenantes sur leur expérience mitigée dans le cadre de la saison France-Roumanie.
Grégory Rateau: Tout d'abord, comment est née votre collaboration, votre désir de travailler ensemble?
Li : C'est une double rencontre personnelle et professionnelle un soir d'été à Avignon, il y a 12 ans. Ce fut d'emblée l'évidence ; une cooptation de valeurs et d'objectifs ! Nous nous sommes très vite rapprochés autour d'une vision commune de nos métiers, de la société, de la politique,... S'en est suivi le désir commun d'avancer à partir des projets de Lo qui, artistiquement et politiquement (au sens de la Cité), me correspondaient en tous points ; faisant écho à mon expérience professionnelle et en résonance à mon besoin de construction d'un monde meilleur à travers l'art, la culture, l'éducation et la citoyenneté !
Une rencontre nourrie d'un intérêt prononcé pour le mot, la langue, la francophonie, la vision d’une Europe « citoyenne et créative » et du désir commun de bâtir quelque chose d’inédit et de durable à partir de l’existant.
Comment pourriez-vous résumer votre démarche artistique à nos lecteurs?
Lo : En résumé, à travers tous les outils de la recherche et de la création, les citoyens que nous sommes, tentent de faire évoluer notre monde en apportant leur pierre à l'édifice sociétal : décloisonnement des langages et des frontières / travail sur l'intergénérationnel via le ludique et le sensible, mise en relations des univers différents, des identités multiples ...
Li : Création, transmission et participation sont les 3 axes développés dans tous nos projets "d'ensemble" qui traversent les territoires, en proposant aux populations environnantes (habitants, commerçants, travailleurs, passants,...) d'être au coeur du processus et de rencontrer, échanger et/ou tramer des actions/créations en lien avec les chercheurs et artistes de toutes disciplines, convoqués pour la circonstance.
Quant aux multiples créations scéniques de Lo, elles sont le fruit de sa quête : le mot, le fantôme, le double, le miroir, l'empreinte, la trace et une mise en abyme de sa propre personnalité ; un prolongement naturel de lui-même. Le temps et l'espace sont la matière mouvante qu’il transforme, sculpte et sublime au gré de ses multiples explorations. C’est par le prisme de la représentation, qu’il donne à ses concepts innovants et créatifs, une nature insaisissable.
Pourquoi en Roumanie, d'où vous vient ce lien si particulier avec ce pays?
Lo : Tout d'abord ce lien vivant coule dans mes veines puisque je suis issu d'une grand-mère paternelle née à Giarmata, un petit village situé aux environs de Timisoara. Je n'ai connu ma grand-mère Maria qu'en France. Elle est décédée lorsque j'avais 12 ans mais je sais qu'elle continuait à fréquenter la Roumanie de l'époque au péril de sa vie. C'était une femme à très fort caractère. Bien des années plus tard, j'ai eu la chance d'être engagé par Silviu Purcarete au sein du Centre Dramatique National que le Ministère de la Culture français lui avait confié. C'est ce qui m'a permis de découvrir la Roumanie lors de nombreuses tournées et créations dans différentes villes du pays, ainsi que la terre de mes ancêtres qui venaient eux-mêmes d'autres pays d'Europe. Concernant l'intérêt pour la culture roumaine, je la dois principalement depuis ma jeunesse à ses grands penseurs, poètes et auteurs exilés : Tzara, Cioran, Ionesco, Celan, Eliade, Fondane, Gherasim Luca … que je considère pour la plupart comme des frères d'Esprit. Et la relation au génie de Silviu Purcarete m'a ouvert les yeux sur l'histoire du Théâtre roumain !
Li : Je suis arrivée en Roumanie pour la première fois en 2010 en tant que productrice pour les Arts et Mouvants de la "petite forme" (6 acteurs seulement !) adaptée de Ionesco "Le roi se meurt" que Lo a proposé à Silviu Purcarete de mettre en scène. Cette production internationale (France, Luxembourg, Slovénie, Macédoine,...) a été soutenue à l'époque par la Roumanie à travers le programme "Cantemir" de l'ICR. Le spectacle a été accueilli au Bulandra dans le cadre du Festival National de Théâtre de Bucarest avant d'aller au Festival Interférences de Cluj. C'était ma première visite en Roumanie ! Jolis souvenirs de cette première fois qui a déclenché le désir de continuer à travailler dans ce pays que j'appréhendais déjà comme paradoxal mais où je sentais un énorme potentiel pour développer nos concepts.
Quelle est votre impression sur la Roumanie?
Lo : Mon impression est toujours la même depuis le premier jour où j'y suis allé : le pays du Chaos et du Miracle ! Rien n'est possible mais tout se fait ! C'est certainement l'un des plus beaux pays d'Europe, habités par beaucoup de personnes merveilleuses mais qui se fatiguent vite. Les Roumains sont habités par le mysticisme, ce qui les rend ouverts à tous les possibles, mais, en même temps, le poids de l'Eglise Orthodoxe les rend fatalistes face à l'effort que le libre arbitre demande. Il y a une chose à laquelle je ne m'habituerai jamais chez les Roumains, c'est le fait que la notion d'engagement et la parole donnée soit, pour une grande majorité d'entre eux, si peu respectée. Pour une personne comme moi, dont la parole est sacrée, c'est toujours compliqué à admettre.
Li: J'ai oeuvré à l'international toute ma vie et c'est quand même le premier pays dans lequel le silence fait office de réponse, les remboursements de dépenses ne se font pas intégralement conformément aux accords pris et où des contrats signés sont rompus en toute impunité !
Que pensez-vous que les arts vivants puissent apporter au grand public, de nos jours ?
Li : Un autre point de vue, une manière différente d'appréhender le monde, une vision utopique, certes, mais bien réelle et ancrée dans une réalité future possible, notamment l'appropriation de son libre arbitre.
Nous sommes intimement convaincus que le mot peut guérir les maux et qu'il est important d'apporter des espaces de projections d'un "vivre et construire ensemble" au moment où tous les vieux schémas s'écroulent, où il y a une perte de repères, de non-sens et d'atteinte à la démocratie tout autant qu'aux valeurs de la république. Nous ne renoncerons pas à la liberté (d'être et de créer), à la fraternité (l'amour et la solidarité qui vont de pair), à l'égalité (des peuples et des individus) et c'est bien ce que nous exprimons à travers nos travaux et nos créations !
Lo : Les arts du vivant, à travers le théâtre au sens large du terme, sont l'unique rempart à la robotisation du monde. C'est le Lieu où tout est possible. C'est l'endroit où le monde peut se réinventer à chaque instant en toute liberté. Et comme le dit Victor Hugo : "Le Théâtre est un creuset de civilisation. C’est un lieu de communion humaine. Toutes ses phases veulent être étudiées. C’est au théâtre que se forme l’âme publique. Allons à ce spectacle."
Pour ceux et celles qui voudraient comme vous devenir acteurs, quel serait votre premier conseil ?
Lo : Mon premier conseil est d'apprendre à faire grandir la voix qui en eux les pousse à devenir acteurs. Ensuite, qu'ils développent la curiosité comme moteur de vie et de jeu. Et qu'ils s'intéressent toujours à ce qu'il y a eu avant eux sans jamais essayer de reproduire quoi que ce soit. Qu'ils portent à bras le corps les matériaux de la transformation du monde pour que la Poésie dont ils sont faits soit toujours au cœur de tous les enjeux. Ce métier en forme de profession de foi, est une prise de risque permanente par laquelle il faut toujours se lâcher dans l'inconnu pour mieux se renouveler.
Lo : Litana et moi-même avons créé et développé un programme de 3 projets, 15 mois durant, travaillant corps et âme 7 jours sur 7 pour les mener à bien avec nos propres deniers !
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