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Lo et Li, un couple d'acteurs enflamme la saison France-Roumanie

Lo Schuh théâtre saison france roumanie Les Arts et MouvantsLo Schuh théâtre saison france roumanie Les Arts et Mouvants
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 6 janvier 2020, mis à jour le 6 janvier 2020

Suite à la soirée du 3 décembre dernier, consacrée au projet Fabrique RE-Evolution / FREE / France Roumanie Europe Ensemble à l'Institut Français de Bucarest, notre rédaction a rencontré un couple d'acteurs passionnés, Lo Schuh et Litana Soledad (Nathalie Saïdi), deux ovnis venus de la même planète, celle du théâtre décliné sous toutes ses formes. Un regard lucide porté sur l'art et des révélations surprenantes sur leur expérience mitigée dans le cadre de la saison France-Roumanie.

 

 

Grégory Rateau: Tout d'abord, comment est née votre collaboration, votre désir de travailler ensemble?

Li : C'est une double rencontre personnelle et professionnelle un soir d'été à Avignon, il y a 12 ans. Ce fut d'emblée l'évidence ; une cooptation de valeurs et d'objectifs ! Nous nous sommes très vite rapprochés autour d'une vision commune de nos métiers, de la société, de la politique,... S'en est suivi le désir commun d'avancer à partir des projets de Lo qui, artistiquement et politiquement (au sens de la Cité), me correspondaient en tous points ; faisant écho à mon expérience professionnelle et en résonance à mon besoin de construction d'un monde meilleur à travers l'art, la culture, l'éducation et la citoyenneté !
Une rencontre nourrie d'un intérêt prononcé pour le mot, la langue, la francophonie, la vision d’une Europe « citoyenne et créative » et du désir commun de bâtir quelque chose d’inédit et de durable à partir de l’existant.
 

 

Comment pourriez-vous résumer votre démarche artistique à nos lecteurs?
 

Lo : En résumé, à travers tous les outils de la recherche et de la création, les citoyens que nous sommes, tentent de faire évoluer notre monde en apportant leur pierre à l'édifice sociétal : décloisonnement des langages et des frontières / travail sur l'intergénérationnel via le ludique et le sensible, mise en relations des univers différents, des identités multiples ...
 
Li : Création, transmission et participation sont les 3 axes développés dans tous nos projets "d'ensemble" qui traversent les territoires, en proposant aux populations environnantes (habitants, commerçants, travailleurs, passants,...) d'être au coeur du processus et de rencontrer, échanger et/ou tramer des actions/créations en lien avec les chercheurs et artistes de toutes disciplines, convoqués pour la circonstance.
Quant aux multiples créations scéniques de Lo, elles sont le fruit de sa quête : le mot, le fantôme, le double, le miroir, l'empreinte, la trace et une mise en abyme de sa propre personnalité ; un prolongement naturel de lui-même. Le temps et l'espace sont la matière mouvante qu’il transforme, sculpte et sublime au gré de ses multiples explorations. C’est par le prisme de la représentation, qu’il donne à ses concepts innovants et créatifs, une nature insaisissable.
 
 

Pourquoi en Roumanie, d'où vous vient ce lien si particulier avec ce pays?
 
Lo : Tout d'abord ce lien vivant coule dans mes veines puisque je suis issu d'une grand-mère paternelle née à Giarmata, un petit village situé aux environs de Timisoara. Je n'ai connu ma grand-mère Maria qu'en France. Elle est décédée lorsque j'avais 12 ans mais je sais qu'elle continuait à fréquenter la Roumanie de l'époque au péril de sa vie. C'était une femme à très fort caractère. Bien des années plus tard, j'ai eu la chance d'être engagé par Silviu Purcarete au sein du Centre Dramatique National que le Ministère de la Culture français lui avait confié. C'est ce qui m'a permis de découvrir la Roumanie lors de nombreuses tournées et créations dans différentes villes du pays, ainsi que la terre de mes ancêtres qui venaient eux-mêmes d'autres pays d'Europe. Concernant l'intérêt pour la culture roumaine, je la dois principalement depuis ma jeunesse à ses grands penseurs, poètes et auteurs exilés : Tzara, Cioran, Ionesco, Celan, Eliade, Fondane, Gherasim Luca … que je considère pour la plupart comme des frères d'Esprit. Et la relation au génie de Silviu Purcarete m'a ouvert les yeux sur l'histoire du Théâtre roumain !
 
Li : Je suis arrivée en Roumanie pour la première fois en 2010 en tant que productrice pour les Arts et Mouvants de la "petite forme" (6 acteurs seulement !) adaptée de Ionesco  "Le roi se meurt" que Lo a proposé à Silviu Purcarete de mettre en scène. Cette production internationale (France, Luxembourg, Slovénie, Macédoine,...) a été soutenue à l'époque par la Roumanie à travers le programme "Cantemir" de l'ICR. Le spectacle a été accueilli au Bulandra dans le cadre du Festival National de Théâtre de Bucarest avant d'aller au Festival Interférences de Cluj. C'était ma première visite en Roumanie ! Jolis souvenirs de cette première fois qui a déclenché le désir de continuer à travailler dans ce pays que j'appréhendais déjà comme paradoxal mais où je sentais un énorme potentiel pour développer nos concepts.

 

Quelle est votre impression sur la Roumanie?
 
Lo
: Mon impression est toujours la même depuis le premier jour où j'y suis allé : le pays du Chaos et du Miracle ! Rien n'est possible mais tout se fait ! C'est certainement l'un des plus beaux pays d'Europe, habités par beaucoup de personnes merveilleuses mais qui se fatiguent vite. Les Roumains sont habités par le mysticisme, ce qui les rend ouverts à tous les possibles, mais, en même temps, le poids de l'Eglise Orthodoxe les rend fatalistes face à l'effort que le libre arbitre demande. Il y a une chose à laquelle je ne m'habituerai jamais chez les Roumains, c'est le fait que la notion d'engagement et la parole donnée soit, pour une grande majorité d'entre eux, si peu respectée. Pour une personne comme moi, dont la parole est sacrée, c'est toujours compliqué à admettre.
 

Li: J'ai oeuvré à l'international toute ma vie et c'est quand même le premier pays dans lequel le silence fait office de réponse, les remboursements de dépenses ne se font pas intégralement conformément aux accords pris et où des contrats signés sont rompus en toute impunité !

 

Que pensez-vous que les arts vivants puissent apporter au grand public, de nos jours ?
 
Li : Un autre point de vue, une manière différente d'appréhender le monde, une vision utopique, certes, mais bien réelle et ancrée dans une réalité future possible, notamment l'appropriation de son libre arbitre.
Nous sommes intimement convaincus que le mot peut guérir les maux et qu'il est important d'apporter des espaces de projections d'un "vivre et construire ensemble" au moment où tous les vieux schémas s'écroulent, où il y a une perte de repères, de non-sens et d'atteinte à la démocratie tout autant qu'aux valeurs de la république. Nous ne renoncerons pas à la liberté (d'être et de créer), à la fraternité (l'amour et la solidarité qui vont de pair), à l'égalité (des peuples et des individus) et c'est bien ce que nous exprimons à travers nos travaux et nos créations !
 
Lo : Les arts du vivant, à travers le théâtre au sens large du terme, sont l'unique rempart à la robotisation du monde. C'est le Lieu où tout est possible. C'est l'endroit où le monde peut se réinventer à chaque instant en toute liberté. Et comme le dit Victor Hugo : "Le Théâtre est un creuset de civilisation. C’est un lieu de communion humaine. Toutes ses phases veulent être étudiées. C’est au théâtre que se forme l’âme publique. Allons à ce spectacle."

 

Pour ceux et celles qui voudraient comme vous devenir acteurs, quel serait votre premier conseil ?
 
Lo : Mon premier conseil est d'apprendre à faire grandir la voix qui en eux les pousse à devenir acteurs. Ensuite, qu'ils développent la curiosité comme moteur de vie et de jeu. Et qu'ils s'intéressent toujours à ce qu'il y a eu avant eux sans jamais essayer de reproduire quoi que ce soit. Qu'ils portent à bras le corps les matériaux de la transformation du monde pour que la Poésie dont ils sont faits soit toujours au cœur de tous les enjeux. Ce métier en forme de profession de foi, est une prise de risque permanente par laquelle il faut toujours se lâcher dans l'inconnu pour mieux se renouveler.

 

Plusieurs de vos projets artistiques faisaient partie de la saison France/Roumanie. Quel regard portez-vous rétrospectivement sur cette saison ?
 

Lo : Litana et moi-même avons créé et développé un programme de 3 projets, 15 mois durant, travaillant corps et âme 7 jours sur 7 pour les mener à bien avec nos propres deniers !

Ce fut certainement l'expérience la plus riche d'enseignement et la plus éprouvante qu'il m'ait été donnée de vivre sur le plan professionnel. J'ai pu aussi découvrir le dessous des cartes, voir comment nos partenaires se servaient de nous à des fins personnelles ou politiques. Je crois qu'un certain nombre d'entre eux se sont engagés avec nous en pensant que nous allions leur rapporter beaucoup d'argent. Quand ils ont réalisé qu'il n'en serait rien, les masques sont vite tombés.
Un véritable enfer kafkaïen où nous avons aussi servi de prétexte à des règlements de comptes dans les guerres intestines que se mènent entre elles les équipes d'un théâtre national par exemple.
 
Concernant le projet ambitieux que nous avons mis en place à Talmaciu pour y lancer l'édition de préfiguration de la Fabrique RE-Evolution / FREE / France Roumanie Europe Ensemble où nous avons mobilisé plus de 130 artistes, écrivains, chercheurs et volontaires venant de France, de Roumanie et d'autres pays, au cœur des 12 hectares d'une ancienne filature, la relation avec notre partenaire, le directeur de Românofir, s'est présentée sous de meilleures augures. D'autant qu'au départ, c'est lui qui nous a contactés dans le désir de donner une dimension culturelle à ses anciennes friches industrielles.
 
Cependant, la communication avec lui fut aussi très compliquée, notamment quand il comprit que notre projet était une aventure humaine avant tout et qu'il n'en tirerait pas de profit financier.
 
D'une part le "vrai enjeu" n'a jamais été compris : celui de la participation et de la CO-construction; d'autre part nous avons servi de nouveau de balle de ping-pong entre les intérêts politiques des uns et des autres. Nous nous sommes donc retrouvés comme des étrangers venus d'une autre planète et il nous a fallu en très peu de temps bâtir les conditions viables du projet en terre inconnue !
 
Le projet a donc été fragilisé par tous ces non-sens et d'énormes manques... mais, contre toute attente, le miracle roumain a eu lieu ! Nous sommes allés au bout de nos objectifs grâce au concours de tous les intervenants et d'un certain nombre d'habitants formidables qui nous ont apporté un soutien sans faille !
Au résultat, ce fut une aventure magnifique. Mais à quel prix ?!
 
Quant à la performance "Moi, Emil et Un Cioran" réalisée à Paris à l'Odéon conjointement à la conférence interactive "Le Monde est bien fait" de Sebastian Vlad Popa, les partenariats avec l'ICR, la revue Infinitezimal et Flammarion furent très limpides, ce qui nous permis de le réaliser dans les meilleures conditions du monde.
 
Pour finir sur une bonne note, je dirais que, en dépit de toutes les épreuves structurelles et comportementales éprouvées en Roumanie, mon amour pour ce pays n'a pas été altéré !
D'autant que nos 3 projets initiaux continueront chacun leur route en se développant dans différentes régions de Roumanie tout au long de 2020 et 2021. Vous pourrez assister à la création finale de "Nu ma uita!" dont la première aura lieu le 25 avril 2020 au Festival International Shakespeare de Craiova. Quant à la FREE, le projet se tiendra désormais tous les 2 ans dans une région différente. Le rendez-vous est pris pour 2021!
 
Li: Nous saluons le courage, la dextérité et la ténacité de l'équipe française organisatrice qui a eu à subir le feedback de l'ensemble des opérateurs français qui, comme nous, ont eu d'énormes déconvenues ! Et c'est encore vrai à l'heure d'aujourd'hui, puisque nous ne sommes toujours pas payés des 10.000 € que le MAE roumain nous doit pour les dépenses réalisées lors de la Saison (et des dizaines d'autres structures de la même manière)... donc difficile d'évacuer et d'"oublier tous nos clichés" quand les mêmes clichés viennent vous gifler la face pendant 18 mois !

 

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grégory rateau
Publié le 6 janvier 2020, mis à jour le 6 janvier 2020

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