Édition internationale

L'écrivain Eduardo Berti, parti en Roumanie à la recherche du passé de son père

Notre rédaction est allée à la rencontre de l'écrivain argentin, Eduardo Berti, qui entame bientôt une tournée en Roumanie pour présenter son livre Un fils étranger publié aux éditions La Contre Allée et actuellement traduit en roumain chez editura Creator. Dans ce livre, Eduardo se lance dans un périple en Roumanie sur les traces de son père et de ses propres racines roumaines.

Fondation Jan Michalski © Wiktoria Bosc (24)Fondation Jan Michalski © Wiktoria Bosc (24)
© Wiktoria Bosc / Fondation Michalski
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 31 janvier 2025, mis à jour le 3 février 2025

Je venais de publier « Un père étranger », un livre qui évoque (parmi plusieurs histoires entremêlées) la vie de mon père, né en Roumanie, en particulier le moment où, après quelques années d'études universitaires en France, il décide de prendre un bateau et de partir pour l'Argentine. Cela se passe en 1939, mon père voit la guerre arriver et prend la fuite.

 

Grégory Rateau: Expliquez-nous l’incroyable aventure intimiste de votre voyage puis de l’écriture de votre récit sur les traces de votre père en Roumanie ?

Eduardo Berti: Je venais de publier « Un père étranger », un livre qui évoque (parmi plusieurs histoires entremêlées) la vie de mon père, né en Roumanie, en particulier le moment où, après quelques années d'études universitaires en France, il décide de prendre un bateau et de partir pour l'Argentine. Cela se passe en 1939, mon père voit la guerre arriver et prend la fuite. Et dès qu'il arrive à Buenos Aires, lorsqu'il passe la douane, il commence une sorte de réinvention. Il efface une grande partie de son passé. Il change officiellement de nom de famille. Il donne de fausses informations, même à ses proches. Comme un écrivain de fiction, il crée une nouvelle biographie. Dans les dernières années de sa vie, il m'a avoué certains de ses secrets. Après sa mort en 2001, j'ai poursuivi mes découvertes. J'ai eu les premiers indices que mon père venait d'une famille juive. Au final, j'ai entrepris d'écrire « Un père étranger » (un roman qui prend des libertés considérables), avec la certitude que plusieurs informations sur lui étaient perdues à jamais. J'ose dire que ce livre accepte et même joue avec toutes ces « zones d’ombre ». Cela fait partie du projet. C'est alors que, à ma grande surprise, un bon ami d'enfance, après avoir lu la version espagnole, « Un padre extranjero », m'a envoyé par la poste un cadeau surprenant. Mon ami est avocat et il a eu l'idée de demander le dossier que mon père avait déposé dans les années 40 pour obtenir la citoyenneté argentine. Son cadeau était une photocopie de ce dossier. Ainsi, j'ai enfin trouvé ou confirmé des éléments : la vraie date de naissance de mon père (qu'il avait modifiée pour éviter la militarisation), le nom du bateau qui a traversé l'Atlantique et sa date d'arrivée, les vrais noms de mes grands-parents, et enfin, l'adresse exacte de sa maison natale à Galati. Jusqu'alors, je n'avais jamais voyagé en Roumanie. Peut-être parce que je n'étais pas prêt sur le plan émotionnel. Mais aussi parce que je manquais de pistes concrètes. Le cadeau de mon ami a été une invitation à entamer une sorte d’enquête. Je suis allée à Bucarest et à Galati sans aucune intention d'écrire un livre. Je prenais des notes pour moi-même. Mais très vite, il s'est passé des choses tout à fait insolites, inattendues. J'ai senti qu'il fallait que j'écrive cela. « Un Fils étranger » est un carnet de voyage, mais plus que cela. Il y a des digressions, souvenirs, médiations, anecdotes, notes de lecture.

eduardo berti

Vous nous parlez de nombreuses rencontres dans votre livre. Pourriez-vous nous raconter une anecdote en particulier ?

Les gens ont été très gentils et très coopératifs avec moi à Galati. Vraiment empathiques. En faisant mes recherches, plutôt intuitivement, sans méthode, en suivant les signes qui se présentaient (et aussi grâce à la complicité et à la générosité du personnel des archives de la ville), j'ai fini par confirmer que mon père avait fait ses études au lycée Vasile Alecsandri de Galati. Naturellement, je m'y suis rendu. Là, j'ai rencontré un jeune étudiant qui avait l'âge de mon père lorsqu'il fréquentait le lycée. Il était à la réception. Je lui ai expliqué mon cas. Il m'a fait une visite guidée que je raconte dans mon livre. C'était très émouvant.

 

Vous aviez écrit ce livre comme pour combler les vides laissés par la disparition de votre père. Aujourd’hui muni de documents le concernant vous êtes allé compléter ce récit dans Un fils étranger. Pouvez-vous nous parler du lien entre fiction et récit (autofiction), vérité et projections de votre imaginaire ?

Il s'agit de liens complexes et fascinants. Bien sûr, on n'invente pas « ex-nihilo », à partir de rien. La réalité nous sert toujours de tremplin. Alors la littérature comble très souvent les vides, les ombres, sans doute. Mais il arrive aussi que la littérature réagisse autrement : elle exprime des craintes face à la réalité, elle propose des alternatives à la réalité, elle essaye d'anticiper le futur ou de reconstituer un passé plus ou moins lointain...

 

Justement, la réalité n’est-elle pas toujours source de déception, du moins d’insatisfaction ? Une raison peut-être de choisir de raconter et de se raconter par le biais de la littérature ?

Elle est souvent source de déception, en effet. L'un des moteurs de l'écriture de fiction est une certaine insatisfaction face à la réalité. Beaucoup d'écrivains l'ont déjà souligné. Mais on écrit aussi pour célébrer les aspects de la vie qui ont la rare capacité de nous remplir de bonheur, on écrit aussi pour essayer de comprendre un peu mieux la réalité, on écrit aussi pour poser des questions à cette réalité qui n'est jamais facile, ou pour montrer justement qu'elle n'est pas simple... Sans oublier que, de temps en temps, la réalité dépasse la fiction. Paradoxalement, c'est ce phénomène qui a déclenché l'écriture d'"Un fils étranger". Je débarque à Galati et la première chose que je fais, bien sûr, c'est de visiter la maison natale de mon père. Je me rends sur place, je sonne à la porte, j'attends.... J'avais prévu toute une série de situations possibles. Mais ce qui s'est passé (je ne vais pas le dévoiler ici) a dépassé, et de loin, tout ce que j'avais envisagé. Je me crois incapable d'inventer une scène pareille.

  

Quel a été votre première perception de la Roumanie ? Aviez-vous des a priori ?

Ma première impression a été celle de Bucarest. J'ai trouvé des similitudes avec Buenos Aires, notamment avec de nombreux quartiers du centre-ville, qui présentent une magnifique architecture un peu « parisienne », parfois art-déco ou art-nouveau. De temps en temps, mon père citait André Malraux à propos de Buenos Aires : « la capitale d'un empire qui n'a jamais existé ». J'ai repensé à cette phrase pendant mon séjour à Bucarest.

 

Pourriez-vous dire que votre rapport à l’écriture est né de votre recherche du père ?

C'est sans doute un des aspects qui expliquent mon rapport à l'invention littéraire. Je lis, dans Un fils étranger que j'ai publié il y a quelques années, un roman intitulé Le pays imaginé. En fait presque tous mes romans pourraient porter ce titre. Et que mon premier « pays imaginé » a été la Roumanie de mon père, ou plutôt le passé mystérieux de mon père. Mais mon rapport à l'écriture est aussi né, du côté maternel, de deux tantes (deux sœurs de ma mère) qui étaient enseignantes en littérature et qui avaient une bibliothèque magnifique et foisonnante.

 

Sentez-vous à présent avec plus de force vos racines roumaine, vos racines juives ?

Pas facile pour moi de répondre. Tout d'abord, mon père avait une relation complexe avec son passé roumain. Il manifestait un certain mépris pour la Roumanie. Mais d’une manière tellement accentuée, que cela a toujours éveillé mes soupçons. Après deux voyages (j'ai fait une deuxième visite, à la suite du livre), j'ai compris qu'il se passe quelque chose de spécial entre la Roumanie et moi. Tout comme il se passe quelque chose de spécial à chaque fois que je me rends en Europe de l'Est. Dernièrement, j'ai voyagé en Pologne et en Hongrie. Je respire quelque chose de spécial, je me sens un peu chez moi. Pareil avec cette littérature, depuis ma jeunesse. Quant à mes racines juives : pendant deux tiers de ma vie, j’ai ignoré que mon père venait d’une famille juive. La découverte a été bouleversante. Elle m'a fait relire tout mon passé d'une manière différente : le fait que mes meilleurs amis d'enfance en Argentine étaient issus de familles juives, le fait que mes trois premières petites amies étaient des filles issues de familles juives.... Tout a pris un sens nouveau.

 

Comment a été accueilli votre récit en France ? Vous vous apprêtez à le faire découvrir en roumain à un public tout autre. Des appréhensions ?

Les deux livres (« Un père... » et « Un fils... ») ont été bien accueillis en France, en Espagne et en Amérique latine. J'ai même eu droit à quelques traductions. En Turquie, en particulier, j'ai eu des retours touchants. Sans doute, la traduction d'Un fils étranger en roumain est quelque chose de spécial.  Je ne parle pas roumain. Mon père ne le parlait pas à la maison, car ma mère, argentine, venait d'une famille ayant des racines espagnoles. Le roumain était donc une sorte de langue fantôme chez nous. Cette traduction lui redonne vie.

 

Un nouveau sujet de roman est-il en cours ?

Je viens de terminer un roman qui ne relève pas du tout de l'autobiographie (du moins explicitement). Il s'agit d'une fiction qui se déroule en Argentine, dans une ville imaginaire de Patagonie. Je reviens à l'esprit de mes premiers romans, où les souvenirs ou les expériences personnelles étaient plutôt des sources cachées. J'y reviens, mais d'une manière différente. Avec d'autres thèmes et d'autres préoccupations formelles. En tout cas, c'est mon intention et mon but.

 

Pour le rencontrer :

Les dates de la venue de l'auteur en Roumanie : du lundi 17 au samedi 29 mars.

Le périple prévu : Bucarest, Brasov, Galati/Braila, Bucarest.

À Brasov, une rencontre est envisagée en librairie (sans doute le mercredi 19 mars) à l’occasion de la publication en roumain du livre Un fils étranger, par editura Creator de Brasov : https://lacontreallee.com/catalogue/un-fils-etranger/

À Galati des rencontres, une exposition seront organisées à la Bibliothèque française Eugène Ionesco ainsi qu’au lycée Vasile Alecsandri où le père d’Eduardo a été élève.

À Bucarest, en fin de séjour (du 25 ou 26 au 28), d’autres rencontres sont à caler : institut Cervantès, librairie Kyralina, …

 

En savoir plus sur l'auteur :

 

Eduardo Berti est membre de l’Oulipo depuis juin 2014. Né en Argentine en 1964, écrivain de langue espagnole, traducteur et journaliste culturel, il est lui-même traduit en sept langues, notamment en langue française où on peut trouver presque toute son œuvre : les micronouvelles de La Vie impossible (prix Libralire 2003), les nouvelles de L’Inoubliable et les romans Le Désordre électrique, Madame Wakefield (finaliste du prix Fémina), Tous les Funes (finaliste du Prix Herralde 2004), L’Ombre du Boxeur et Le Pays imaginé (prix Emecé 2011 et prix Las Américas 2012), Demain s’annonce plus calme (éditions Do, 2021).

Après Inventaire d’inventions (inventées) (2017), Un père étranger (2021), Un fils étranger (2021) et Une présence idéale, traduit en anglais (USA) et en espagnol (Espagne, Argentine, Chili, Uruguay), Mauvaises méthodes pour bonnes lectures est son cinquième ouvrage à La Contre Allée. 

grégory rateau
Publié le 3 février 2025, mis à jour le 3 février 2025

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