Nous retrouvons Ioana Nicolescu dans un joli café installé dans une vieille demeure entièrement réhabilitée et pas très loin du parc Cismigiu. D'origine roumaine, Ioana parle parfaitement le français, elle vit à Paris depuis 1992 où elle a travaillé comme consultante dans l'univers du luxe et de la mode pour des marques telles que Dior, Prada ou encore Comme des Garçons. Elle a aussi contribué comme fashion writer à des revues comme ELLE, Marie Claire, Forbes Life et, plus récemment, Harper's Bazaar. Aujourd'hui, Ioana nous parle de son nouveau projet de coeur, #CismigiuMonAmour, une initiative civique lancée en octobre 2019, visant à informer les Bucarestois sur les projets de rénovation envisagés par la mairie de Bucarest et donc à empêcher que ce parc mythique ne soit défiguré.
Grégory Rateau: Pourquoi vous êtes-vous investie pour ce parc?
Ioana Nicolescu: J'avais simplement envie de faire quelque chose pour un lieu à côté duquel j'ai grandi avec ma famille. L'envie d'agir, d'abord, en tant que citoyenne lambda et sans forcément en faire un geste engagé ou me mettre en avant.
Parlez-nous justement de ce projet #CismigiuMonAmour.
En Roumanie, je ne vous cache pas que la plus part des gens est assez défaitiste et attend souvent que quelqu'un agisse à leur place pour les situations qui dérange. Et je suis persuadée que montrer que l'on peut agir simplement comme "voisin concerné" aide beaucoup à changer la donne. Je me suis dite que même si j'étais une personne comme les autres - je ne suis pas liée au milieu politique, je n'ai donc aucun pouvoir ou cercle d'influence réel - j'ai senti que je pouvais agir, mais surtout que je devais le faire. Du coup, j'ai parlé aux gens du quartier mais pas seulement, car ce parc ne représente pas quelque chose d'important uniquement pour les habitants du quartier mais aussi pour tous les Bucarestois qui finissent inévitablement par traverser ce parc ou venir s'y détendre et respirer un grand coup au cœur de cette ville déjà bien polluée. Les étudiants aussi, les amoureux, ceux qui, comme moi, ont grandi à côté de Cismigiu en venant régulièrement s'y ressourcer. C'est un espace de liberté et de verdure pour tous. Il n'y a donc pas une personne avec qui j'ai parlé qui ne m'a pas dit: "Oh mon dieu, c'est une grande partie de ma vie, ils ne peuvent pas y toucher!". Voilà ce qui a donner envie aux gens de suivre et s'impliquer.
Y a-t-il des micro-communautés qui se sont formées dans certains lieux du parc par exemple les joueurs d'échec, les retraités, les enfants qui jouent dans les platanes,...?
Notre but avec #CismigiuMonAmour était avant tout d'informer l'opinion publique sur une projet qui, dans l'état actuel, n'est pas réaliste. J'ai donc travaillé main dans la main avec Patricia Mihail, qui est une spécialiste de la communication. Comme elle est basée à Londres, on n'arrêtait pas d'échanger, car Patricia a fait un vrai travail de fond. Je crois que l'une comme l'autre nous n'avons pas vraiment dormi pendant plus de quatre mois pour pouvoir bien mener ce projet, certes, ambitieux, car réalisé avec un budget zéro. Sans elle, je n'y serai jamais arrivée, elle a été vraiment formidable. Faut savoir que notre objectif n'était pas du militantisme, nous voulions prévenir plutôt que guérir une situation dangereuse, avant d'arriver à des extrémités devant lesquelles nous serions sans doute impuissants. Il y a aussi le groupe auquel je participe, "Cismi civic", qui a été crée il y a trois ans pour essayer de faire grandir la communauté autour du parc et de proposer des projets comme des ateliers de jardinage ou les rûches urbaines d'abeilles. Rien de politique, encore une fois, il était tout naturel d'essayer aussi avec eux de protéger le parc. D'ailleurs, d'autres parcs publiques sont visées par des projets similaires dite de "rénovation", comme le parc Carol ou le parc Herastrau. Ce dernier devrait se transformer dans un complexe d'habitation "chic et cher", donc vous voyez combien il est essentiel d'informer les gens pour qu'ils se mobilisent à temps et pour que cela n'arrive pas ailleurs.
Êtes-vous optimiste pour la suite?
Quand j'écoute les informations à Bucarest, il n'y a que des situations dramatiques, un pessimisme stérilisant, alors j'ai eu besoin de décrocher, surtout de la télévision locale. Cela m'a amusé de voir que Cismigiu Mon Amour, assumé comme un projet créatif personnel, soit comparé à une démarche politique ou que nous sommes devenus aux yeux de certains, des "activistes de l'environnement". Nous sommes tout simplement des gens avec un peu du bon sens civique qui pensent pouvoir transformer avec un peu d'implication une situation négative en une action commune et donc foncièrement positive. Cette action dépasse d'ailleurs le milieu des artistes, des personnalités influentes ou les voisins du Cismigiu, tous et toutes peuvent nous rejoindre et faire en sorte que les choses qui nous dérangent bougent véritablement. Alors oui, je suis, on ne peut plus optimiste.