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CORRESPONDANCE - Lettre d'une lectrice à un ami français

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Écrit par Franco-Roumanie
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 18 mai 2018

LePetitJournal.com de Bucarest a voulu aujourd'hui donner la parole à une lectrice, Simina Lazăr, une Roumaine qui a écrit une lettre à un ami français pour lui parler de sa Roumanie avec ses mots à elle.

 
 
 
 
Cher Raphaël,
 
Tu me disais que tu connais mal la Roumanie et que tu voudrais en savoir plus sur ce pays. Pour te le présenter, je t’ai envoyé un émissaire (que j’estimais plus doué que moi). Mais malheureusement, j’ai trouvé que sa présentation a été trop terne. Aussi, j’aurais préféré que tu entendes l’histoire de mon pays et non pas un récit personnel.
Alors j’essayerai de te raconter mon histoire de la Roumanie. Ça sera de l’histoire sans dates historiques ; l’histoire qui sort de mon cœur.
Qu’est-ce c’est la Roumanie, Raphaël ? La Roumanie c'est un miracle !
 
Oui ! Son existence est un miracle ! Elle aurait pu disparaître depuis longtemps, avalée par des hordes d’envahisseurs et des siècles d’oppression et d’oubli.
C’est un pays - tampon à la marge des empires qui, à tour de rôle, ne se sont pas gênés de happer des morceaux de sa chair. C’est un pays - frontière entre l’Occident et l’Orient.
Mais toutefois où se trouve ce pays ? Ses coordonnées, clairement définies sur des cartes géographiques, se dissolvent souvent dans l’esprit des Français dans un espace incertain, situé quelque part aux confins des civilisations. Car, dans le cœur des Français, la Roumanie est loin, très loin de la France. Par contre, dans le cœur des Roumains, la Roumanie est située près, très près de la France. Etranges sont les mathématiques de nos sentiments.
 
Si toutefois, on se décide à regarder une carte, on découvre un pays presque rond, dont le sud baigne dans le Danube ! Dans la pénombre, on peut même l’imaginer comme un bateau se dirigeant sur le Danube vers la Mer Noire.
Mais, non ! Ce n’est pas un bateau parti à la dérive ! Au contraire, la Roumanie est bien ancrée dans la terre et l’ancre en est la chaîne de montagnes des Carpathes. Des montagnes majestueuses aux cimes d’une beauté indicible ! Mais ces montagnes ont la sagesse de se métamorphoser sur les bords en douces collines, arrivant, par la suite, à se dissoudre dans de riches plaines.
 
Il y a 2000 ans, cette région était habitée par le peuple dace qui était une branche du grand peuple thrace, dont Hérodote laissa des descriptions admiratives. Les Daces étaient sédentaires, de bons agriculteurs et artisans et ils croyaient dans l’immortalité de l’âme. La richesse des mines d’or des Carpathes de l’ouest attira la convoitise des empereurs romains qui, après de rudes combats, réussirent finalement à s’emparer du pays. Et ainsi, de cette union ancienne naquit le peuple roumain ! Naissance semblable à bien d’autres peuples d’Europe.
Mais son évolution ne fût pas tout à fait pareille à celle des pays occidentaux. Une fois les garnisons romaines parties, la vie ne devint pas plus facile pour les habitants de ces contrées, harcelés sans cesse par des envahisseurs. Ce sont les montagnes qui les ont sauvés ; c’est dans leurs forêts que les Roumains se réfugiaient quand les guerriers venus d’ailleurs incendiaient leurs villages situés plus bas dans les plaines.
 
C’est comme cela qu’ils ont réussi à traverser les siècles et à garder leur langue. C’est d’ailleurs là, le secret du miracle. Miracle de la sauvegarde de leur langue.
Car la Roumanie est une île. Non pas une île entourée d'eaux, mais une île latine entourée des voisins slaves et hongrois. C’étaient les Roumains qui étaient les plus anciens habitants de cette région, ceux sont eux qui ont vécu dans ces contrées depuis 2000 ans; leurs voisins sont arrivés bien après.
Toutefois, les Roumains n’ont pu construire de grands châteaux et cathédrales, car les hordes barbares faisaient régner la terreur et détruisaient tout sur leur passage. Les uns après les autres sont arrivés : les Goths, les Huns, les Tatares, les Gépides, les Avares, les Bulgares, les Slaves… Ensuite les Hongrois, les Turcs, les Autrichiens et, enfin, les Russes, qui restent encore de nos jours à l’affut ; pas très loin.
 
Le danger et les désastres sévissaient périodiquement. Chrétiens de première heure, les Roumains ont été longtemps un rempart pour l’Occident contre les invasions, notamment l’invasion ottomane. Ainsi, ces contrées qui auraient pu rester un lieu de rencontre des légendes et des rêves sont devenues des champs de batailles. Au temps de la Renaissance en Occident, les princes roumains ont gagné beaucoup de combats contre les Turcs, comme par exemple, le prince Vlad l’Empaleur, dont malheureusement l’image a été transformée maintenant en symbole d’horreur : le comte Dracula.
 
Mais les victoires étaient souvent éphémères, les envahisseurs ont fini par soumettre le pays. Ces temps hostiles ont façonné l’esprit du peuple, les Roumains firent profil bas en appliquant une méthode qui peut être illustrée par la phrase : « L’épée ne coupe pas la tête baissée ». Ayant des destins partagés entre plusieurs empires, ils n’arrivèrent à acquérir une conscience nationale qu’au XIX-e siècle. Et ce n’est qu’en 1918, qu’ils accomplirent leur grand rêve : celui de vivre tous ensemble dans un seul pays - la Roumanie.
 
Mais l’espoir d’une vie accomplie dans un contexte national qui avait commencé, enfin, à luire, s’éteignit vite lors de la deuxième guerre mondiale. Et après la guerre, le « grand frère » soviétique prit la Roumanie sous « sa protection », et lui ôta même l’un de ses enfants : une partie de la Moldavie.
Une atmosphère étouffante de délation, de paresse, de mensonges, de vols et de crimes s’établit dans le pays. Encore une fois l’esprit roumain en prit un coup ! Une fois de plus, l’esprit roumain apprit à dissimuler ses pensées, et à « se débrouiller » sans trop d’effort en contournant les règles, et à justifier les trahisons et les vols.
La Roumanie, terre tragique oubliée des Dieux ! Terre où tout devint dérisoire ! Terre où le tragique fût dissout dans le comique.
 
Une nouvelle lueur d’espoir resurgit en 1989, quand le monde crut que le communisme avait été renversé. Hélas ! Faux espoirs ! Le communisme avait muté vers d’autres créatures chimériques.
Maintenant, la vérité et le mensonge s’entremêlent, sont interchangeables. Une atmosphère de corruption multiple tue dans l’œuf tout essai d’entreprise honnête. Tout baigne dans ce brouillard trouble. La désinformation règne, les lois sont changées pour permettre des fraudes, afin que les voleurs et les criminels puissent opérer en toute impunité. Des masques grotesques éclatent dans un rire tragique.
 
La Roumanie risque de plonger dans un monde cauchemardesque où la logique et l’éthique sont détournées au bon vouloir d’une minorité. Une minorité de corrompus qui ne se donne même pas la peine de se cacher sous un masque idéologique.
Le présent concret et tranchant encercle le lieu de rêve qu’aurait pu être cette contrée ! Un présent pervers essaie d’imposer ses règles pour étouffer toute résistance et immerger à jamais le pays dans des vagues nauséabondes de mensonges et de vols.
 
Et du côté est, qu’est-ce qu’on voit ! On aperçoit un sourire malin ! Enchanté, le « grand frère » russe (car il ne s’appelle plus soviétique) se frotte les mains.
Le passé rejoint le présent et court vers un futur inquiétant. C’est un futur totalitaire que nous devinons possible et que notre esprit s’efforce de rejeter.
Mon cher Raphaël, voilà, mon récit s’arrête là. Le temps va nous apprendre où accostera le bateau de la Roumanie. Peut-être que la Roumanie devrait chercher l’élixir de jouvence pour réveiller et rajeunir son esprit ! L’avenir nous le montrera.
 
Je te remercie pour ton attention et je te prie de recevoir mes meilleures pensées pour toi et pour la France, pays d’accueil des rêves roumains.
 
 
Simina Lazăr
 
 
 
 
 
 
 
 
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Publié le 14 mai 2018, mis à jour le 18 mai 2018

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