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LETTRE D’INTENTION (LOI) : utilités, risques...

La lettre d’intention (Letter of Intent – L.O.I.) représente une étape importante dans les transactions accomplies en Roumanie, qu’il s’agisse de la reprise d’une société, de la cession d’actifs stratégiques ou d’un fonds de commerce, de la négociation d’un pacte d’associés ou de la création d’une joint-venture. Bien qu’elle ne soit pas expressément réglementée par le Code civil ou par la Loi sur les sociétés n° 31/1990, elle peut produire des effets juridiques.

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Écrit par Juridique
Publié le 8 octobre 2025, mis à jour le 9 octobre 2025

 

La pratique des tribunaux, y compris celle dégagée devant la Haute Cour de Cassation et de Justice par notre cabinet d’avocats, démontre que la « L.O.I. » n’est pas un simple document formel, mais un instrument susceptible d’engendrer une responsabilité contractuelle et financière.

Qu’est-ce qu’une lettre d’intention ?

La LOI est une construction juridique fréquemment utilisée comme document précontractuel par lequel les parties fixent les lignes générales d’une transaction, selon sa spécificité : l’objet de l’opération, les conditions de réalisation, la méthode d’évaluation (par exemple, en appliquant un multiple d’EBITDA ajusté), le prix indicatif, ainsi que diverses clauses importantes (confidentialité ou exclusivité), les conditions de retrait des négociations, etc.

Ce document est généralement signé après les discussions préliminaires, mais avant la phase d’audits (due diligence) et la rédaction du contrat définitif. Dans le milieu des affaires, la LOI sert à établir un cadre de travail justifié par la complexité de la transaction envisagée et par ses implications sur le marché, par la situation juridique incertaine de certains actifs, par une procédure décisionnelle spécifique, voire par l’incertitude quant à l’approbation de la transaction par certaines autorités (Conseil de la Concurrence, CEISD, etc.).

Quelle est la valeur juridique de la L.O.I. ?

Le Code civil roumain fixe quelques repères généraux :

  • art. 1178 et suivants – concernant la promesse de contracter
  • art. 1183 – obligation de bonne foi dans la négociation.

Ainsi, la L.O.I. peut avoir un caractère :

  • non obligatoire / non engageant, lorsqu’elle exprime uniquement la volonté des parties de poursuivre les discussions ;
  • partiellement obligatoire, lorsque des clauses telles que la confidentialité ou l’exclusivité sont formulées de manière claire ;
  • contractuellement engageant, lorsque la formulation et le langage utilisés dépassent la simple intention et se transforment en promesse ferme.

On peut ainsi dire, en extrapolant , que le titre du document n’est pas décisif : ce qui importe, c’est la formulation concrète des clauses.

« La détermination de la compétence de la juridiction générale dépend de la nature juridique de la lettre d’intention, telle qu’elle ressort des clauses qui la composent, et l’analyse de leur contenu révèle qu’elles instituent au profit de toutes les parties signataires des droits et obligations, lui conférant ainsi une nature juridique contractuelle. Eu égard à son objet et aux termes dans lesquels elle est rédigée, ce contrat ne peut être assimilé à aucun contrat nommé, ayant une nature réelle et mixte au sens doctrinal, produisant ses effets en vertu du principe de la liberté contractuelle, expression de l’autonomie de la volonté : les personnes physiques et morales étant libres de se gouverner elles-mêmes en concluant tout type de contrat et en en déterminant le contenu dans les limites imposées par la loi, l’ordre public et les bonnes mœurs, principe consacré à l’article 1169 du Code civil », précise la Décision n° 1725/2022 de la Haute Cour de cassation et de justice.

Pratique judiciaire : le cas gagné par Gruia Dufaut & Asociatii

Un exemple significatif illustrant la force juridique de la lettre d’intention est le litige remporté en justice, par décision de la Haute Cour de Cassation et de Justice, par les avocats de Gruia Dufaut & Asociatii, Teodora Koletsis et Florin Dogaru. Dans cette affaire, un important producteur roumain de sucre a poursuivi un acheteur potentiel qui avait, sans justification, refusé de poursuivre le processus d’acquisition, bien qu’il eût signé une lettre d’intention comportant une clause d’exclusivité.

La juridiction suprême a constaté que les formulations (clauses) employées dans la L.O.I. étaient suffisamment fermes pour produire des effets juridiques et a ainsi condamné l’acheteur au paiement de dommages-intérêts dépassant le montant de 4 millions d’euros.

Cette décision, devenue définitive après près de sept années de procédure, a créé un précédent majeur pour les transactions en Roumanie : la Cour a analysé la nature juridique de l’intention et a établi que la lettre d’intention possède une force contractuelle, qu’elle a une nature réelle et mixte, et qu’elle crée des obligations pour les parties contractantes – un contrat innommé générant droits et obligations pour les signataires.

La Cour a également retenu que l’acheteur potentiel n’avait pas respecté le principe de bonne foi, ayant invoqué, à la fin, deux motifs infondés pour refuser l’acquisition des actifs. Les arguments avancés n’étaient justifiés ni par les négociations entre les parties, ni juridiquement. Le refus de conclure la transaction après dix-huit mois de discussions – alors que le vendeur avait agi de bonne foi et accepté même une réduction de prix – a confirmé la mauvaise foi de l’acheteur et la violation des obligations assumées par la lettre d’intention.

« Ainsi, indique la Décision de la Cour, la thèse de l’acheteur potentiel selon laquelle il ne s’agirait que d’un simple document précontractuel, générant exclusivement des obligations de négociation, est infondée, l’interprétation proposée privant de tout effet juridique la clause précontractuelle stipulée (…) dans la lettre d’intention, ce que le législateur roumain interdit expressément à l’alinéa 3 de l’article 1268 du Code civil : les clauses doivent être interprétées dans le sens où elles peuvent produire des effets, et non dans celui où elles n’en produiraient aucun.

L’absence de signature d’un Memorandum of Understanding ne saurait constituer un argument au soutien de la thèse avancée par la société requérante, les parties demeurant libres d’assumer des obligations conformément au principe de l’autonomie de la volonté – principe rappelé d’ailleurs par la Cour suprême dans sa décision de cassation ; et ce principe implique également le respect de la “parole donnée”, tout comme la liberté suppose la responsabilité des actes accomplis, les articles 1270 et 1350 du Code civil ayant été correctement appliqués par la Cour d’appel. »

Risques et recommandations pratiques

Bien qu’il s’agisse d’un instrument utile, la L.O.I. comporte certains risques à prendre en considération :

  • une formulation ambiguë peut engendrer des litiges longs et sujets à interprétation judiciaire ;
  • des clauses trop détaillées peuvent transformer l’intention de négocier en un engagement ayant la force juridique d’un contrat ;
  • la clause d’exclusivité peut être utilisée par l’acheteur potentiel pour décourager d’autres acquéreurs. Du point de vue de l’acheteur, il convient d’examiner si la période d’exclusivité est raisonnable ou si elle peut être exploitée par le vendeur pour accélérer la négociation. Afin de réduire de tels risques, il est nécessaire d’identifier des mécanismes juridiques adaptés et de rédiger les clauses (adéquates) en conséquence.

Ainsi, la L.O.I. devrait comporter des clauses claires concernant, au minimum, l’intention des parties, la structure de la transaction, l’objet, le prix estimatif ou la méthode de son estimation, les modalités de paiement, ainsi que les conditions suspensives ou autorisations nécessaires (audits, avis, agréments, etc.).

Il est également recommandé d’y inclure une clause précisant le caractère non contraignant de la L.O.I., à l’exception de certaines clauses expressément déclarées obligatoires (confidentialité, exclusivité), lesquelles subsistent même après la cessation de la L.O.I.

En conclusion,  il convient de retenir que la lettre d’intention n’est pas un simple gentlemen’s agreement. En Roumanie, elle s’est imposée comme un véritable outil de négociation, pouvant toutefois  entraîner des conséquences juridiques significatives, comme l’a démontré la pratique judiciaire. La prudence et une rédaction rigoureuse sont essentielles. Pour les investisseurs et entrepreneurs, le recours à un conseil juridique avant la signature d’une L.O.I. ne constitue pas un coût supplémentaire, mais un investissement sûr pour éviter de futurs litiges.

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Nous espérons que ces informations vous ont été utiles !

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Publié le 9 octobre 2025, mis à jour le 9 octobre 2025
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