LePetitJournal est allé à la rencontre de Dan Stefan, un des fondateurs de la compagnie Autonom Rent-a-Car, leader sur le marché roumain de la location de voiture. Elu pour trois années consécutives «Meilleur Employeur de l'année» par l'étude Aon Best Employers, c'est la seule entreprise avec un capital roumain à avoir gagné ce prix. Dan nous livre sa vision du management éthique et de la culture d'entreprise.
Y-a-t-il, selon vous, une recette du succès ?
Je ne crois pas aux recettes toutes faites, le succès n'est pas un plat (rires). La plupart des livres de référence, les bestsellers, sont bourrés de recettes, mais je trouve qu'il y a beaucoup d'erreurs de jugement. Le problème c'est l'approche «scientifique» du management de succès, or ce n'est pas une science exacte, il n y a pas de "règles immuables" du business.
Il faut voir à quelle étape de l'entreprise on se trouve, dans quel contexte économique et culturel, la taille de l'entreprise, la technologie, et l'environnement du business qui est en perpétuel changement. Puis on parle toujours des grosses entreprises et des starts-up et on oublie celles qui sont entre les deux, comme la nôtre. Je crois qu'il faut faire son propre apprentissage et travailler beaucoup sur l'adaptabilité.
Parlez-nous justement de l'importance de l'adaptabilité pour une entreprise ?
On a une tendance ici en Roumanie à vouloir assurer une vie facile pour ses enfants et à prendre le chemin le plus lisse, ce qui est une erreur à mon avis. Le chemin n'est jamais lisse donc il faut plus miser sur le renforcement de la personne, de ses connaissances, de ses valeurs, de son caractère et de son adaptabilité,... C'est ce qu'on fait en business aussi.
Regardez la crise économique de 2009: en moins d'un an, notre secteur a été secoué, l'automobile a baissé de 50%, le leasing de 73% et, d'après nos chiffres, les deux tiers des entreprises de notre secteur ont disparu! Pendant toutes ces années de crise, de 2009 jusqu'en 2012, notre société a eu une croissance annuelle moyenne de 50% tout en faisant du profit, parce qu'on a toujours su se réinventer même si ce n'était pas commode et facile.
Pourquoi avez-vous choisi de développer votre entreprise ici en Roumanie ?
Parce qu'ici il y a encore tout à faire! Beaucoup de secteurs ne sont pas encore mûrs, notamment dans les services aux professionnels. Avec une nouvelle approche, plus d'investissements et plus de know-how, on peut élever le niveau et avoir du succès.
De plus, ici en Roumanie, on a la chance de pouvoir lire le journal de demain, aujourd'hui. Il suffit de voir ce qu'il se passe en Pologne, en France par exemple, et on voit ce qui arrive, même si ça arrive dans une forme différente. On peut sauter des étapes et prendre, par exemple, directement les meilleures technologies. C'est pour cela qu'on a un très bon Internet ici.
Avez-vous un secret à nous dévoiler pour expliquer le succès de votre entreprise ?
Un de nos secrets, c'est qu'une bonne partie de nos cadres de direction sont des femmes, car on trouve qu'elles sont plus responsables et plus adaptées à notre métier et à notre culture d'entreprise basée sur des valeurs.
Votre entreprise a décidé de supprimer les commissions sur les ventes ? Quels sont les résultats ?
Vous savez, cette liaison qu'on fait entre commission et performance est très ancienne, elle date de l'époque des commis voyageurs qui battaient à toutes les portes et ainsi gagnaient plus. Ce système de commission marche bien quand c'est des tâches simples et répétitives. L'économie a évolué et ce système fonctionne moins pour des tâches plus complexes, ça peut même être un obstacle.
Chez Autonom, nous faisons de la vente complexe avec des enjeux financiers et des risques élevés. Le cycle de vente peut être très long car il faut construire une relation, installer de la confiance, prouver des choses, avoir de la patience. Comment le système des commissions mensuelles sur les ventes peut-il fonctionner quand le cycle de ventes peut durer des années? Nous avons donc testé la suppression des commissions sur les ventes et cela fonctionne très bien
Mais alors les salaires sont fixes ?
Pas de commissions et un salaire fixe. Mais cela ne veut pas dire qu'il est figé, et qu'il n'évolue pas. Nous récompensons la performance comme tout le monde, mais d'une manière différente. On s'intéresse surtout à ce qui amène la performance plutôt qu'à la performance elle-même: comme les compétences, les comportements, les actions, et on essaye d'encourager et de récompenser cela plutôt que les résultats. Si on est trop concentré sur les résultats, les targets, les quotas, comme c'est le cas dans beaucoup d'entreprises malheureusement, on n'évolue pas. Cette méthode marche pour nous mais cela ne veut pas dire qu'elle fonctionne pour tout le monde!
Vous voulez donc valoriser plus le travail en équipe ?
Il faut commencer à comprendre ce que les psychologues nous disent depuis très longtemps: il faut dépasser le modèle du «bâton et de la carotte » pour motiver ses employés! Plus les individus évoluent sur la pyramide de Maslow, plus ils ont d'autres aspirations et motivations, comme l'autonomie, le développement personnel et l'estime de soi. Chez Autonom, nous cultivons la performance d'équipe, nous n'avons pas de «stars». Une équipe sans star peut arriver à gagner un championnat, s'il y a une bonne dynamique de travail en équipe, et s'il y a très peu de frictions.
Vous testez régulièrement de nouvelles méthodes de management ?
C'est un grand avantage en entrepreneuriat, car on peut écrire les règles et les changer. On ne peut plus appliquer les règles de management écrites au 19ème siècle pendant la révolution industrielle. Le contexte économique a changé, ainsi que les compétences des gens et leurs aspirations, mais on continue à utiliser les mêmes principes de management qu'il y a 200 ans!
C'est de là que viennent beaucoup de nos problèmes, de nos crises d'identité. Les derniers résultats de l''étude de Gallup sur le degré d'engagement des salariés montre qu'aux Etats-Unis, seulement 30% des employés se sentent «engagés» par leur travail, ce qui est assez inquiétant. Au niveau global c'est 13%, c'est à dire que presque 9 personnes sur 10 vont au travail juste parce qu'ils ont un contrat et c'est purement transactionnel. C'est dommage car les gens passent une grande partie de leur vie dans l'entreprise et ils considèrent cela comme une contrainte.
Chez nous l'engagement des salariés est assez élevé, il est de l'ordre des 85%, c'est quand même assez élevé, comparé aux 13% des dernières études Gallup. Nos employés se sentent en confiance, travaillent bien ensemble, et ce sont des ingrédients très importants dans notre culture d'entreprise.
Quel type de culture d'entreprise cherchez-vous à développer ?
Pour déterminer les valeurs dans une entreprise, il faut analyser sur quels critères on embauche, on licencie et on offre des promotions, et en général sur quels critères on prend une décision. Si les critères sont les critères classiques: le résultat, les chiffres, la performance, il y n'a rien de négatif mais cela veut dire que les valeurs iront dans cette direction aussi.
Si on regarde les grandes entreprises, celles-ci mettent en avant les valeurs de la performance, de l'excellence, de la passion pour les résultats, donc la plupart de leurs valeurs sont assez mercantiles. On voit très rarement des valeurs humanistes au sein des entreprises. Le modèle classique de l'entreprise dont le rôle est d'apporter de la valeur aux actionnaires est, à mon avis, dépassé. Ce modèle fonctionne de moins en moins.
Aujourd'hui il faut élargir les paramètres, s'intéresser aux actionnaires, mais aussi aux employés, aux clients, aux fournisseurs, aux partenaires, aux autorités, aux communautés, à l'environnement,... Tous ces critères deviennent de plus en plus importants pour le succès financier, à long terme, d'une entreprise. C'est pareil pour les valeurs.
Justement quels valeurs prônez-vous dans votre société ?
La vision qu'on a dans notre entreprise, depuis quelques années, n'est plus une vision mercantile: nous aspirons à devenir un modèle authentique de business et cette vision se base sur le développement personnel des employés. C'est très à la mode en ce moment de parler du développement personnel, mais ce qui manque beaucoup c'est l'implication des organisations, avoir des ressources, du temps,...
Dans notre entreprise on a mis en place une règle: tout le monde doit lire au moins un livre professionnel chaque mois, c'est dans la fiche de poste et c'est un critère de performance! Nous cherchons vraiment à inculquer chez nos employés l'envie du développement de soi, de devenir une meilleure version de soi chaque jour.
C'est la raison de notre performance à mon avis. Dans notre entreprise bous essayons de mesurer les choses et il y a une corrélation entre la performance des employés et leur préoccupation par le développement personnel, le respect des valeurs et l'éthique.
Propos recueillis par Grégory Rateau (www.lepetitjournal.com/Bucarest) - Mardi 14 mars 2017