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CHRONIQUE ECO - «La vengeance des livres d’économie»

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Écrit par Anghel Iulian
Publié le 26 janvier 2018, mis à jour le 26 janvier 2018

Le tableau macro-économique de la Roumanie en 2017 semble idyllique. L’économie a possiblement grimpé jusqu’à 7%, d’après les derniers chiffres (les données officielles seront publiées en février), une croissance en apparence plus grande que celle de la Chine, et la plus grande en UE. Mais car il y a un mais...

 

 

Les salaires ont augmenté en moyenne de 14%, les recrutements sont à un niveau record, environ 4,9 millions de postes sont disponibles actuellement sur le «marché blanc», plus que dans les années de boom entre 2007-2008.


La consommation, qui, selon l’avis des analystes, est celle qui tire l’économie vers le haut, a augmenté de 2 chiffres.


L’industrie qui, en Roumanie a une importance fondamentale du fait qu’elle représente presque un quart du PIB (et plus d’un millions d’employés), alors qu’en UE elle ne représente que 15%, a augmenté d’environ 8%. Même si le déficit commercial continue à croître de façon alarmante, les exportations sont à un maximum historique, avec une part de 45% du PIB (il est vrai, loin derrière la Tchéquie ou la Hongrie qui ont un volume d’exportations équivalent à 80-90% du PIB).


Ces aspects représentent les meilleures facettes de l’économie roumaine de 2017 et du début 2018. Mais, comme dans la vraie vie où, souvent, le bonheur des uns se construit sur le malheur des autres, en économie les «beaux chiffres» sont basés sur des «mauvais chiffres».


La croissance économique de 7% n’est pas ressentie par tous les citoyens. Si l’économie a augmenté de 7% cela ne signifie pas du tout que le bien-être de tout le monde a lui aussi augmenté de 7%. Si «en moyenne», dans la Roumanie de 2017, les salaires ont augmenté de 14%, c’est parce que dans le secteur des fonctionnaires, les dépenses de l’état pour les salaires, ont augmenté de 21%. Une blague circule dans le milieu économique, liée d’ailleurs à des données statistiques: «si tu manges 2 poulets par mois et moi aucun, en moyenne, nous avons tous les deux mangé un poulet!».


Si la croissance économique n’a pas permis à tout le monde un meilleur niveau de vie, la note de cette croissance devra être payée par tous.
Analysons cela point par point:

La hausse des salaires par voie administrative (hausse de 21% des salaires du secteur public et majoration du salaire minimum), qui n’a pas été corrélée avec la croissance de la productivité du travail, a comme résultat l’inflation (il y a plus d’argent sur le marché, mais pas plus de produits pour lesquels il y a une demande, ce qui mène automatiquement à une hausse des prix). L’effet de la réduction de la TVA, qui a provoqué une réduction des prix (déflation) les deux dernières années, s’est épuisé, et maintenant les prix commencent à augmenter. L’inflation est montée jusqu’à 3,2% en décembre, ce qui signifie que les revenus des gens se sont érodés, en termes réels, de 3,2%.


La consommation en hausse (hausse de plus de 10% l’année dernière) générée par la majoration des salaires et la réduction des taxes a entraîné une forte majoration des importations justement car l’offre interne n’a pas suivi la demande (la productivité n’a pas augmenté en même temps que la majoration des salaires). Cela affecte le déficit du compte courant (la différence entre les entrées et les sorties de monnaie dans le pays), ce qui contribue à une détérioration significative du taux de change (ayant moins d’euros dans le pays, leur prix augmente), chose visible les derniers mois quand la monnaie est montée jusqu’à 4,6 lei pour un euro (cette année le taux de change est estimé à 4,7-4,8 lei pour un euro), après des années où le leu s’est maintenu à une valeur de 4,5 lei pour un euro. Ceux qui ont fait des prêts en monnaie sont fortement affectés, car les taux bancaires se paient en monnaie (euro, dollars, etc), mais les salaires en Roumanie se paient en lei. Près de la moitié des crédits accordés par les banques en Roumanie sont en euros.


L’inflation en hausse entraîne une croissance des intérêts des crédits car un crédit inclut automatiquement l’inflation, à laquelle se rajoutent les intérêts de la banque. Après deux ans durant lesquels les intérêts pour les crédits et les dépôts ont été à des minimums historiques (trois, quatre points en moyenne pour les crédits), dorénavant elles seront calculées avec l’ajout du taux d’inflation. Sauf que, d’habitude, le première à augmenter est l’intérêt des crédits et ensuite, un an après, l’intérêt des dépôts augmente lui aussi. Il est possible ainsi que, ceux qui ont des dépôts à la banque, perdent de l’argent car l’intérêt reçu sera en dessous du taux d’inflation. En conséquence, perdront ceux qui ont des crédits ainsi que ceux qui ont des dépôts.

Ces points sont, pour les citoyens, trois enjeux directs des politiques macro-économiques décidées par le gouvernement où la consommation a été fortement stimulée par la réduction des taxes et la majoration des salaires, entraînant une croissance économique record post-crise. Mais la situation pourrait être encore pire.
Pour pouvoir majorer les salaires, le gouvernement a saigné les investissements. Aucun km d’autoroute n’a été construit l’année dernière. Nous avons les plus petites dépenses d’investissements de l’état des derniers 15-20 ans, avec une croissance économique record de 7%. Les investissements privés augmentent, mais pas suffisamment (le taux des investissements en 2017 a été de seulement 22%-23% du PIB en 2017, probablement le plus petit des derniers 10 ans). Enfin, le manque d’investissements affectera la croissance économique future.


Le déficit budgétaire est de 3% du PIB, malgré cette forte croissance économique, ce qui entraîne une majoration des dettes de l’état de 5-6 milliards d’euros par an. Or, normalement, cette croissance économique devait conduire à une réduction de la dette publique et non pas à son augmentation. Si vous vous endettez quand vous avez plus de revenus, que va-t-il se passer quand vos revenus diminueront? (Profitant de ce cycle économique positif, presque tous les pays de l’UE ont réduit leurs déficits, à l’exception de la Roumanie qui l’a fortement majoré, jusqu’à la limite du Traité de Maastricht, de 3% du PIB, alors qu’il était de 0,7% en 2015).
Les déséquilibres qui se voient déjà dans les finances publiques pourront conduire à la majoration des primes de risque dans le cas de la Roumanie et ainsi, l’état se verrait obligé de payé un intérêt plus élevé pour les prêts, donc encore moins de revenus budgétaires (la Roumanie paye presque 2,5 milliard d’euros par an en intérêt pour la dette publique, ayant une dette publique de 37% du PIB).


La folie fiscale entamée par le gouvernement l’année passée - TVA payée dans un compte séparé, le transfert des charges sociales depuis l’employeur vers l’employé - ont été un bouleversement qu’on n’a plus vu depuis 15-20 ans, mais qui devrait montrer très prochainement ses conséquences visibles sur l’économie et les revenus des citoyens.


Le gouvernement a pris comme dérision pour les économistes qui l’ont averti que la note finira par arriver, qu’il y aura un revers de médaille, une «vengeance des livres d’économie» comme a commenté l’économiste Dragos Cabat.


La hausse de l’inflation, la hausse des intérêts bancaires, la dépréciation du leu sont seulement les premiers effets. Nous verrons qui a eu raison et jusqu’à quel point, dans un futur assez proche, probablement cet été.

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Publié le 26 janvier 2018, mis à jour le 26 janvier 2018

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