En France, les Arméniens sont connus pour avoir importé au 16° siècle les premières “Indiennes” à Marseille. Devant leur immense succès, Colbert leur permit de s’installer pour enseigner aux artisans locaux à peindre les cotonnades et les approvisionner en coton (pour en savoir plus, lire : L'Inde est à l'origine du tissu provençal).
En Inde, les Arméniens ont commencé à migrer en nombre à partir du 16° siècle. Commerçants très appréciés, l’empereur moghol Akbar leur demanda de s’installer dans sa capitale Agra, où la première église arménienne de l’Inde fut construite en 1562. Ses successeurs continuèrent à encourager les Arméniens à s’implanter et la grande majorité d’entre eux s’établit au Bengale, qui à l’époque comprenait aussi le Bangladesh actuel, bien avant les Anglais dont ils furent ensuite les alliés.
Les témoignages les plus anciens à Calcutta
Les Arméniens constituèrent dès le 18° siècle une communauté importante et influente à Calcutta. Deux bâtiments témoignent de l’ancienneté de cette présence : l’Eglise Arménienne de Nazareth et l’Armenian Ghat.
L’Armenian Holy Church of Nazareth fut construite en 1688, mais sa structure initiale ayant brûlé, elle fut rebâtie par l’architecte arménien Levon Grevon. Considérée comme la plus ancienne église de Calcutta, le cimetière attenant est toutefois beaucoup plus célèbre en raison de la présence d’une tombe datant de 1630.
L’église est toujours en activité avec la présence de prêtres venus d’Arménie et elle reste le centre de la communauté arménienne de Calcutta. L’office dominical est effectué en alternance entre la chapelle St Gregory à Park Circus et l'église de Chinsurah, près de Calcutta.
L’Armenian Holy Church of Nazareth le 6 janvier 2021 le jour de Noël pour les Arméniens orthodoxes
L’Armenian Ghat , surnommé Armani Ghat, fut construit en 1734 par Manzel Hazaar Maliyan sur les bords du fleuve Hooghly.
Créé pour faciliter l’accostage des bateaux et le transfert des marchandises, le ghat possèdait une élégante structure en fonte qui a disparue. Il abrita ultérieurement un bureau de réservation de billets jusqu’à la construction du pont de Howrah en 1874.
Actuellement, les habitants l’utilisent comme tout ghat, pour prendre leur bain et faire leurs dévotions dans la rivière sacrée.
Sur les traces de la communauté arménienne de Calcutta
La communauté arménienne de Calcutta s’enrichit considérablement grâce à ses compétences et un grand réseau commercial.
Une partie de cette communauté était venue d’Ispahan en Perse où elle s'était réfugiée. Et la derrière vague de migration eut lieu à partir de l’Arménie au moment du génocide de 1915. Au moment de l’indépendance de l’Inde en 1947, entre 3 000 et 4 000 Arméniens résidaient à Calcutta.
Les Arméniens faisaient le commerce du jute (dont le nom vient du bengali Jhuto), de la soie brute, de l’indigo, la laque-gomme (shellac en anglais), de pierres précieuses et de bijoux, du sel, du salpêtre, etc. Ils rivalisèrent avec les anglais pour le commerce du coton et possédaient des lignes maritimes (dont l’Apcar Line) qui furent utilisées notamment pour le commerce de l’opium.
L’écrivain indien d’origine bengali, Amitav Ghosh, né à Calcutta en 1956, raconte : “Pendant très longtemps, ma ville natale avait la communauté arménienne la plus grande et la plus vivante de toute l’Inde. Dans mon enfance, la présence des arméniens était encore très importante. J’ai entendu parler d’histoires sur des boxers arméniens réputés. Mon père se remémorait les anciens hôtels et pensions qui étaient gérés par les arméniens. Ces souvenirs et connections peuvent expliquer la présence de personnages arméniens dans mes livres.”
Le Grand Hôtel, le plus prestigieux de ces hôtels, fut construit en 1911 par Arathoon Stephen. Très prisé des Anglais, ce luxueux palace situé sur Chowringhee, était connu pour ses soirées extravagantes organisées pour les réveillons du Nouvel An. Pendant la 2° guerre mondiale, il fut transformé pour loger 4000 soldats de l’armée britannique. Racheté en 1943 par Mohan Singh Oberoi, il est devenu l’actuel palace Oberoi Grand.
D’autres hôtels et de nombreuses pensions étaient gérés par des Arméniens. Fairlawn Hotel fut construit par les Anglais et acquis par un couple d’Arméniens qui avait fui en 1915 le génocide. Violet Smith, leur fille (mariée à un Anglais) prit la suite jusqu’à son décès en 2014. Elle fut la dernière à pouvoir témoigner de cette communauté arménienne florissante qui possédait avant l’indépendance de l’Inde, des usines de jute, des entreprises commerciales multiples et des hôtels.
Dans cette communauté arménienne, certains avaient fait fortune dans l’immobilier. Le propriétaire du Grand Hotel, Arathoon Stephen possédait aussi sur Park Street des biens immobiliers actuellement classés : Queens Mansion qui abrite l’Armenian Club de Calcutta et Stephen Court où est situé la fameuse pâtisserie Flurys.
Faisant presque face à Stephen Court se trouve Park Mansions, dont la première pierre fut posée en 1910 soit un an avant l’annonce du transfert de la capitale des Indes britanniques à Delhi. Cet immense immeuble, qui a reçu récemment un prix du Patrimoine, avait été construit par le commerçant et philanthrope Thaddeus Mesrope. Il héberge les locaux de l’Alliance française du Bengale et du Goethe Institute.
Tout proche de Park Mansions, nous retrouvons les souvenirs d’Amitav Ghosh qui passait "souvent devant l'École Arménienne, dont le site avait été le lieu de naissance de l’écrivain anglais William Thackeray” (ndlr : l’auteur de Barry Lyndon).
L’Armenian College and Philanthropic Academy (ACPA), communément appelé le Collège Arménien, va fêter cette année son bicentenaire.
L’éducation des enfants arméniens avait commencé au 18° siècle dans des écoles à domicile. Puis grâce à des dons, les membres de la communauté créèrent en 1821 le Collège qui a joué un rôle important pour la préservation et la diffusion de la culture arménienne (ndlr : l’emplacement actuel date de 1884).
Cette école philanthropique accueille gratuitement jusqu’en classe XII (équivalent du baccalauréat), des enfants arméniens du monde entier, avec actuellement une centaine d’élèves : la majorité d’entre eux vient d’Arménie, quelques uns de Calcutta et les autres d’Iraq, d’Iran ou de Birmanie.
L’Araratian Library, créée en 1828 et située dans les locaux du Collège, possède une collection très riche de manuscrits et de livres anciens. Son nom est un hommage au Mont Ararat.
Enfin, l’Armenian Sport Club date de 1890 et comprend toujours une équipe de jeunes joueurs de rugby, pour la plupart élèves du Collège arménien.
Depuis l’indépendance en 1947, la plupart des Arméniens ont quitté l’Inde et actuellement, la communauté arménienne de Calcutta compte environ 200 personnes, mais leur présence est toujours visible.
Au 21° siècle, des liens nouveaux avec l'Arménie
Depuis la fin du 20° siècle, l’Inde a créé des liens nouveaux avec l’Arménie : en 1991, elle a été un des premiers pays à reconnaître la République d’Arménie après la chute de l’URSS. Une ambassade a été ouverte à Erevan et l’Inde apporte son aide dans différents domaines.
Le nombre de citoyens indiens résidant en Arménie a récemment augmenté de manière très importante (de 4 200 en 2016 à 28 500 en 2018) et depuis 2017, l’obtention des permis de séjour a été facilitée. Un grand nombre de résidents sont étudiants dont plus de 2 000 sont étudiants en médecine.
Une nouvelle page a débuté avec la présence des Indiens en Arménie.