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Rencontre avec Emmanuel Simon, un musicien français installé à Bombay

Après une formation musicale en France, un premier voyage en Inde, puis des cours de tabla avec un maître en France et l’apprentissage du bengali à l’INALCO, Emmanuel Simon décide de se rendre au Bengale pour se perfectionner en bengali et passer plus de temps à jouer du tabla. Un aller-retour en France plus tard, il repart en Inde pour un master de musique et s’y installe pour une durée indéterminée.

Emmanuel Simon en concert en IndeEmmanuel Simon en concert en Inde
Photo @Emmanuel Simon
Écrit par lepetitjournal.com Bombay
Publié le 29 novembre 2023, mis à jour le 19 décembre 2023

La rédaction a rencontré Emmanuel Simon chez lui à Bombay, où il a partagé avec nous sa passion pour la musique, et plus particulièrement les percussions, et sa vision de la pratique de la musique contemporaine en Inde.

Emmanuel Simon est en contact avec la musique dès son enfance en commençant par les “traditionnels” cours de piano. Adolescent, il s’oriente vers les instruments à percussion et découvre le tabla en écoutant les quelques albums de musique indienne de ses parents. À 18 ans, il se consacre à la musique : conservatoire de Lille, licence en faculté de musicologie, puis master en ethnomusicologie (ndlr : l’étude des rapports entre la musique et la société) à Nanterre. En parallèle, il finit par trouver un maître de tabla, Pandit Shankar Ghosh, qui organise plusieurs fois par an des stages en France, et il commence à apprendre sous sa direction.

 

J’ai adoré le tabla, je ne faisais plus que ça à ce moment-là ! Mais je me suis finalement rendu compte, 3 ans après avoir commencé, que les stages ponctuels avec mon maître n'étaient pas suffisants.

Emmanuel Simon au World Percussion Festival de Delhi
Photo @Emmanuel Simon

 

De l’intérêt pour le tabla à l’apprentissage du Bengali à Calcutta

Il décide alors de passer quelques mois en Inde, au Bengale-Occidental, pour son mémoire de master de première année sur la musique indienne, mais aussi pour se perfectionner dans le jeu du tabla. Pendant ce premier séjour, il se met au bengali

De retour en France, il s’inscrit à l’INALCO pour approfondir ses connaissances de base en bengali et s’installe à Paris en tant qu’intermittent du spectacle comme percussionniste plutôt spécialisé en musique latine. Mais finalement, en 2011, il revient en Inde à Calcutta pour y effectuer un autre master et s'installe près de son gourou de tabla dans un quartier de classe moyenne.

 

Dans mon quartier et à la fac, j'étais un peu la bête curieuse, un étranger qui parlait bengali et suivait des cours en bengali ! Du coup, j'ai fini par être comme un poisson dans l'eau avec le bengali à l'oral, un peu moins à l'écrit. Surtout qu'en bengali, on utilise beaucoup de mots anglais en parlant, et c'est très pratique !

 

Emmanuel Simon rejoint d’abord un groupe de latin jazz fondé par un musicien de Calcutta, Monojit Dutta. Ce dernier, nous révèle Emmanuel, “avait appris en total autodidacte la musique afrocubaine en écoutant les rares vinyles qu'il pouvait trouver à l'époque”. Puis, après la rupture du groupe, il crée The Latination, un groupe de latin jazz avec les mêmes musiciens.

 

J'ai beaucoup de respect pour les musiciens indiens qui voulaient apprendre la musique occidentale car ils n'avaient aucunes ressources, pas de stages, pas de partitions, pas de méthode, pas d'instrument, pas d'internet, pas de vidéos YouTube… Entre mon premier séjour en 2007 et le moment où je me suis installé en 2011, j'ai vu le niveau de certains musiciens indiens en musique occidentale exploser : alors qu'en 2007, il n'y avait que quelques cybercafés, en 2011, tout le monde avait internet chez soi, et donc un accès aux vidéos YouTube et à des ressources importantes.

 

En tournées dans les Alliances françaises et en concerts dans des festivals ou des clubs dans toute l’Inde, The Latination acquiert une belle réputation et se produit, entre autres lors du premier festival de jazz du NCPA à Mumbai (National Center for Performing Arts) et au Goa Jazz festival invité par Gatecrash, l’agence d’organisation d’événements musicaux fondée en Inde par la Française Emmanuelle de Decker. 


 

Emmanuel Simon au CSM auditorium
Photo @Emmanuel Simon

 

Mais, comme le souligne Emmanuel Simon, “à Calcutta, la scène de musique occidentale dans ces années-là était peu développée contrairement aux années 1970”. Alors avec son épouse bengalie rencontrée en 2013, ils décident fin 2017 de partir s’installer à Bombay, qui est, selon lui, “l’endroit où être en Inde quand on est musicien contemporain”. 

 

À Bombay, c'était le jour et la nuit avec Calcutta. J'ai joué du Bollywood, du jazz, de la pop, j’ai fait des enregistrements studio, des séries comme The Voice en tant qu'orchestre…

 

À Bombay, concerts privés, enregistrements et retour à l’enseignement

L’arrivée à Bombay coïncide avec la dissolution du groupe The Latination, Emmanuel Simon avoue avoir essayé de remonter le groupe à Bombay “mais cela n'a pas marché et puis le covid est arrivé…

Il remarque que “beaucoup de musiciens indiens aiment bien s'installer à Bombay et à Delhi parce qu'il y a peu d'endroits où se produire dans les autres villes. À Bombay, il y a l'industrie du cinéma, l'industrie de la scène live parallèle... Il y a aussi les écoles de musique et être enseignant permet d'arrondir les fins de mois”.

Et il nous explique qu'”une des principales sources de revenus des musiciens indiens à part l'enseignement et l'industrie de concerts public de musique de film Bollywood, sont les concerts privés et d'entreprise”. Ce phénomène est relativement récent mais a pris une réelle envergure à l'étranger, ce qui est sûrement liée à l'augmentation de la taille de la diaspora indienne et à son enrichissement. Selon lui, “les riches familles indiennes n’hésitent pas à faire venir un groupe de musiciens sur le lieu des festivités de mariages qui peut être un peu partout dans le monde. Et les concerts privés de musique occidentale à la sauce Bollywood sont très bien payés.” Il affirme que “pour un mariage, certaines familles ont les moyens de financer la venue d’un orchestre entier de 10 - 15 musiciens et leurs techniciens ainsi que l’organisation logistique nécessaire…

Les enregistrements en studio sont aussi une bonne source de revenus pour les musiciens. Emmanuel Simon participe avec le groupe à l’enregistrement, entre autres d’une saison de The Voice en tant qu’orchestre de l’émission, du premier YouTube Originals indien chapeauté par le musicien oscarisé A.R. Rahman, ARRived, et de l’émission de télévision Coke Studio.

 

Emmanuel Simon en concert à Bombay en mai 2023
Photo @Emmanuel Simon

 

Pour beaucoup de musiciens indiens, l’enseignement est un moyen d’arrondir les fins de mois et de combler les pertes de revenus lors de la saison de la mousson, une saison creuse pour tous les événements musicaux. C’est pourquoi Emmanuel accepte début 2020 un poste de professeur à mi-temps dans le département de musique occidentale de l’université NMIMS à Bombay, qui venait d’ouvrir une faculté de musique. Et il a le “nez creux” puisque peu de temps après, la pandémie de Covid force tous les lieux de spectacles à fermer. “Je n’ai quasiment pas fait de concerts pendant un an et demi”, confie-t-il.

En 2021, Emmanuel Simon devient professeur à plein temps dans le même département, il travaille aujourd’hui 6 jours par semaine et doit donner 16 heures de cours à l’université. C’est le seul professeur à plein temps de son département, “les autres ne veulent pas de contrat à plein temps, ce sont tous des musiciens et ils veulent pouvoir s'entraîner et répéter, jouer dans des concerts…”, explique-t-il. 

 

Il est important que les professeurs soient des professionnels de la musique et des musiciens actifs. Une de nos responsabilités est d’introduire nos élèves dans le monde de la musique, et pour cela, il faut avoir des expériences à leur faire partager et des personnes à leur présenter.

 

La rencontre avec Ranjit Barot, musicien indien réputé

Ranjit Barot est un percussionniste indien connu pour les arrangements et la musique du groupe live d'A.R. Rahman, mais aussi en tant que directeur musical dans l'industrie cinématographique. Musicien de jazz de pointure internationale, c'est aussi le batteur attitré de John McLaughlin depuis de nombreuses années.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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La rencontre entre Ranjit Barot et Emmanuel Simon est plutôt inhabituelle. Le musicien indien fait partie, en tant que professionnel du monde de la musique, du jury qui interviewe le Français lorsque ce dernier postule pour devenir enseignant à plein temps dans l’université dans laquelle il n’était alors que vacataire. Un an plus tard, Ranjit Barot invite le percussionniste français à se produire dans des concerts avec lui. Début septembre 2023, ils ont joué au National Center for Performing Arts (NCPA) de Mumbai dans un concert de percussions.

 

Ranjit Barot a plein de projets et surtout il a décidé de se produire de nouveau en Inde. Il m'appelle de temps en temps, c'est plutôt irrégulier, mais je suis content de faire partie de son groupe qui est vraiment de haut niveau. Il faut s'accrocher et travailler.

 

A.R. Rahman n'est pas qu'un compositeur de musiques de films très connu, il a aussi une activité de concerts pendant lesquels il joue ses propres créations comme n'importe quel chanteur de playback indien (un chanteur de playback de Bollywood chante vraiment et est enregistré pour le film, ce n'est pas le même sens qu'en français). L’industrie des musiques de Bollywood est énorme autant en studio qu'en live.


 

Le groupe Bombay Brass

À Bombay, Emmanuel Simon est le percussionniste du groupe Bombay Brass mené par le saxophoniste indien Rhys Sebastian. “C’est un groupe avec lequel je m’entends très bien, qui s'inspire toujours de règles de grammaire appartenant à la sphère de la musique occidentale (jazz, funk, etc.) tout en s'inspirant de musique classique indienne et qui réalise toujours de belles compositions”, affirme Emmanuel. Selon le média indien The week, Bombay Brass est groupe de punk-jazz basé à Mumbai, composé de quelques-uns des meilleurs cuivres du pays.

Extrait du concert de Bombay Brass lors du festival Lollapalooza à Mumbai en juin 2023 (Emmanuel Simon en focus à 1mn15)

 

 

Emmanuel Simon raconte : 

Il y a très peu de sections cuivre en Inde car cela ne fait pas partie de la tradition musicale locale. L'Inde est une terre de percussions depuis des millénaires, on parle déjà de rythme dans les vedas et de même pour les instruments à corde et les flûtistes. Mais pour les cuivres, il n'y a pas cette culture-là, on trouve des cuivres dans les fanfares de mariage mais l'esthétique en est toujours très indienne. Le jazz c'est une autre culture harmonique qui n'est pas du tout développée en Inde. Je ne connais que 3-4 joueurs de trompette capables de jouer du jazz à Bombay et ils sont extrêmement occupés.

Avec le groupe Bombay Brass, Emmanuel Simon a participé à plusieurs festivals, dont le RIFF festival de Jodhpur, le NH7 Weekender, qui est le plus gros festival de musique occidentale en Inde, et le Lollapalooza à Mumbai très récemment.


 

Les projets futurs d’Emmanuel Simon

Le musicien français nous a confié qu’il était en train de remonter un groupe de latin jazz qu’il a appelé Jazzeando qui veut dire jouer du jazz en espagnol, “un nom pas prétentieux qui signifie exactement ce qu'on fait !” dit-il en souriant.

Il a aussi plusieurs autres projets, dont un groupe appelé Modcult avec des collègues de la faculté, qui s’est produit au Royal Opera House.

 

Et pour finir, Emmanuel Simon nous partage ses adresses à Bombay : “Il y a (seulement !) à ma connaissance cinq endroits en banlieue de Bombay qui programme hebdomadairement de la musique live, Stables à Andheri East, Rule 34 à Kandivali, puis tous les mercredis à Bonobo, tous les jeudis à Veranda et tous les vendredis à Bluebop Café, tous trois autour de Bandra.

 

Emmanuel Simon en concert
Photo @Emmanuel Simon

 

Retrouvez Emmanuel Simon sur Instagram, YouTube et sur son site.

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