En 2014, un projet de raffinerie voit le jour par la volonté du gouvernement national et de l’État du Maharashtra, dont Devendra Fadnavis est alors le ministre en chef, dans le but de développer la région du Konkan, et en particulier le district de Ratnagiri. Mais le mégaprojet demande l’acquisition de grands terrains : 16 000 hectares répartis sur 17 villages. Comme beaucoup de projets précédents dans la région, il se heurte au refus de la population locale qui s’inquiète de l’impact écologique.
Les clés pour comprendre le projet de raffinerie à Ratnagiri sur la côte ouest de l’Inde
En 2014, le gouvernement national et celui de l’État du Maharashtra, dont Devendra Fadnavis est alors le ministre en chef, lancent un projet de mega-rafinerie dans le but de développer la région du Konkan, et en particulier le district de Ratnagiri.
Devendra Fadnavis pousse alors à la signature d’un protocole d'accord, ou Memorandum of Understanding, créant un consortium entre trois grandes entreprises pétrolières d’Inde, l’Indian Oil Corporation (IOL), la Bharat Petroleum Corporation Ltd (BPCL) et l’Hindustan Petroleum Corporation Ltd (HPCL), ainsi que la compagnie pétrolière saoudienne Saudi Arabia Oil Corporation (Saudi Aramco). Le projet prévoit de construire la plus grande raffinerie pétrolière d’Inde, et même d’Asie. On parle alors de 3 000 milliards de roupies (environ 36,6 milliards d'euros) d’investissement pour près de 100 000 emplois directs créés.
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Mais le mégaprojet demande l’acquisition de grands terrains : 16 000 hectares répartis sur 17 villages. Comme beaucoup de projets précédents dans la région, il se heurte au refus de la population locale qui s’inquiète de l’impact écologique.
En 2019, Devendras Fadnavis, qui n’a toujours pas réussi à acquérir les 16 000 hectares, est obligé d’abandonner le projet. C’est la condition sine qua non pour bénéficier d’une alliance Shiv Sena - BJP en vue des élections de l’Assemblée de l’État du Maharashtra, où siègent les MLA (députés) et du Lok Sabha, la chambre basse du gouvernement national.
En mars 2022, le parti politique au pouvoir, le Shiv Sena de Thackeray, alors Ministre en Chef avec l'alliance Maha Vikas Aghadi (MVA réunissant les trois partis, Shiv Sena, NCP, et Congrès) propose de relancer le projet à un autre endroit : Barsu, un village situé à une heure du projet précédent mais toujours dans le même district de Ratnagiri.
Le village de Barsu comporte les mêmes caractéristiques que celui de Nanar et le projet rencontre donc la même opposition.
Aujourd’hui le projet, en partie réduit, est porté par le gouvernement d’Eknath Shinde dont le ministre de cabinet pour l'Industrie n’est autre qu’Uday Samant, qui est aussi chargé du développement du district de Ratnagiri.
La colère gronde sur la côte ouest de l’Inde
Le village de Barsu, tout comme celui de Nanar quelques années plus tôt, s’oppose au projet, et dans les mois qui suivent, la contestation s’organise tandis que le gouvernement essaie de racheter les terres, principalement un vaste plateau de latérite flanqué de villages de pêcheurs à flanc de falaise, de vergers de manguiers de la fameuse variété Alfonso et d'anciens pétroglyphes, d’ailleurs inscrits sur la liste provisoire du patrimoine mondial de l’UNESCO.
En février 2023, le journaliste Shashikant Warishe est volontairement renversé par un SUV et décède de ses blessures. L‘auteur des faits, un “land broker”, ou courtier immobilier, indique qu’une des raisons de son geste est une série d’articles écrits par Warishe contre le projet de méga-raffinerie.
En avril de la même année, alors que les autorités commencent à tester le sol, de grandes manifestations ont lieu, en tête desquelles des femmes qui s’allongent sur les routes pour empêcher les fonctionnaires d’accéder au site. De nombreuses autres personnes se rasent la tête et entament une grève de la faim.
La police impose alors la section 144 du code pénal indien lui permettant d’instaurer un couvre-feu et l’interdiction de se réunir. Près de 110 personnes sont arrêtées lors des manifestations, certaines pour plusieurs jours et la police est accusée de violences.
Depuis, les mouvements de protestation ne cessent de s’amplifier. En mai 2023, des images de policiers utilisant des gaz lacrymogènes ont tourné en boucle sur les chaînes de télévision mais les activistes et les manifestants promettent de continuer tant que le projet ne sera pas abandonné.
Les raisons de la colère des villageois du Konkan
Beaucoup de manifestants affirment avoir été dupés lors de la vente à bas prix de leurs terrains, quelques mois avant l’annonce de la relocalisation du projet, à des acquéreurs a priori sans lien avec le-dit projet. Ils ont donc vendu leurs terrains sans avoir conscience que cela servirait à la construction d’une raffinerie de pétrole. Selon Uday Samant, 3 000 des 5 000 acres nécessaires au projet ont déjà été achetés.
Barsu Salgaon Refinery: RTI Reveals How Politicians, IAS Officers, Bank Managers & Police Officers Grabbed Land https://t.co/gUHdQ4xs0n
— Raju Parulekar (@rajuparulekar) May 8, 2023
En 2022, Thackeray écrivait au Premier ministre Narendra Modi : “90 % de la parcelle est stérile et le déplacement des maisons/walis n’est qu’une estimation puisque le village est situé en dehors de la zone du projet. La parcelle de terre est exempte de toutes charges et sera utilisée sans perturber l’équilibre écologique…”
Et c’est justement ce qui inquiète la population.
À un journaliste de la BBC, Mme Bose déclare : “Ils disent que le plateau est une terre stérile, mais c'est une source d'eau pour nos sources, un endroit où nous allons chercher des baies et où nous cultivons des légumes”. Un pêcheur, M. Bakhtar indique : “Nous ne serons pas autorisés à pêcher dans un rayon de 10 km parce que les pétroliers seront amarrés en mer. Près de 30 000 à 40 000 personnes - locales et extérieures - dépendent de la pêche dans ce seul village.”
De même, les producteurs de mangues ont dit aux journalistes que la moindre pollution atmosphérique et la moindre déforestation nuiraient gravement à leurs rendements, étant donné que la variété Alfonso est très sensible aux caprices du vent et aux conditions météorologiques.
Pour contrer ces arguments, Uday Samant, ministre des Industries et ministre chargé du Développement de la région indique : “C’est une raffinerie écologique non polluante. En tant que ministre de l’Industrie, il est de mon devoir de dissiper les malentendus concernant les gens qui sont induits en erreur par des forces extérieures” (ndlr : ici les forces extérieures signifient les partis politiques d’opposition).
Une autre inquiétude des activistes et habitants de la région est la possible destruction des pétroglyphes proches du plateau. Les pétroglyphes sont des sculptures de roches découvertes en 2018 et peut-être la clé pour découvrir une civilisation encore inconnue. Les sculptures représentent des animaux, des oiseaux, des figures humaines et des motifs géométriques. Tejas Garge, directeur du département d’archéologie du Maharashtra, pense qu’ils ont été créés vers 10 000 avant JC par des communautés de chasseurs-cueilleurs. Il en existe près d’un millier dans le district de Ratnagiri et 170 sur le plateau et tous font parti de la liste provisoire du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Jusqu’à présent, tous les gouvernements ont assuré que ceux-ci était suffisamment loin du site prévu mais le test au sol n'a eu lieu qu'à quelques mètres des gravures. Le gouvernement a aussi refusé les objections de pas moins de 6 panchâyat, ou conseils locaux, arguant que les habitants de ces hameaux n'étaient pas propriétaires des terres sur lesquelles la raffinerie allait s'élever. (Source BBC).
Pour le gouvernement du Maharashtra, l’argument économique avant tout
Le district de Ratnagiri est un district sous-développé du Maharashtra, sur la côte du Konkan. Ratnagiri, dont beaucoup de villages sont des villages fantômes où seuls les aînés restent, pourrait grandement bénéficier économiquement de la raffinerie, ne serait-ce qu’en termes de collecte des taxes liées à la raffinerie.
Dans les villes de la région, le projet est plutôt positivement perçu. Aujourd’hui beaucoup de jeunes sont obligés de partir afin de trouver un emploi. Avec la raffinerie, ce serait plus de 100 000 emplois directs créés, sans compter les emplois indirects.
De même, le projet prévoit une augmentation du PIB du Maharashtra de près de 8,5 %.
Mais pour les villageois, c’est de l’argent dont ils ne bénéficieront pas, tout comme les emplois, qui comme le souligne M. Bhakkar "Ces soi-disant emplois iront à des diplômés, pas aux pêcheurs locaux. Nous n'avons pas besoin de tels emplois".
Selon Mme Bole, même si les locaux obtiennent du travail, il s'agira d'emplois subalternes de balayeurs ou de gardiens.
Leur opposition semble aujourd'hui obtenir le soutien d’un nombre grandissant d’artistes, d’écrivains et d’activistes dont le collectif Dakshinayan, fondé par Ganesh Devy, linguiste, critique littéraire et ancien professeur, en réponse à l’intolérance croissante et aux meurtres de plusieurs intellectuels en Inde en 2016. Sandesh Bhandare et Pramod Munghate, les organisateurs de Dakshinayan pour le Maharashtra, ont publié une déclaration demandant l’annulation du projet.