Lundi 21 octobre se tiendront des élections dans le Maharashtra pour élire une nouvelle assemblée législative, le Vidhan Sabha. Traditionnellement très suivies, les élections, qui ont été investies par Narendra Modi lui-même ainsi que Rahul Gandhi, devraient voir la reconduction de l’alliance BJP-Shiv Sena, déjà au pouvoir depuis 2014.
Les questions qui subsistent sont :
- Dans quelle mesure Modi va réitérer ses exploits de mai 2019 ?
- Est-ce que le Shiv Sena va réussir à tirer son épingle du jeu d’une alliance compliquée pour lui ?
- Est-ce que l’opposition peut réussir à gagner du terrain comme elle l’avait fait aux dernières élections régionales fin 2018 ?
Pour tenter d’y voir clair, lepetitjournal.com Bombay a fait appel à un expert, Mathieu Gallard, Directeur de recherche au département “Public Affairs” d’Ipsos et fin connaisseur de la politique indienne.
L'assemblée législative du Maharashtra compte 288 membres qui sont élus pour cinq ans via un scrutin direct en un tour. Le rôle des assemblées législatives des États est défini par la constitution indienne et couvre notamment les lois concernant la sécurité (la police) et le budget de l’Etat. Elle siège à Nariman Point à Mumbai.
Les partis qui vont s’affronter aux urnes
Globalement au Maharashtra, il y a 4 grands partis. On retrouve, bien sûr, les deux grands partis nationaux, le BJP de Narendra Modi et l’INC (le “Congress”) de Rahul Gandhi, dont les deux leaders nationaux se sont beaucoup investis dans la campagne, en se rendant sur place à plusieurs reprises, ainsi que deux partis secondaires : le NCP et le Shiv Sena.
“A gauche”, en plus du Congress, on trouve le NCP qui est né d’une scission avec le Congress en 1999, après le départ d’un des leaders, Sharad Pawar toujours présent aujourd’hui, suite à une dispute sur la représentativité de Sonia Gandhi. “En termes d’idéologie, il n’y a pas de différences majeures entre le Congress et le NCP,” souligne Mathieu Gallard, “mais cela reste difficile de fusionner à nouveau les partis pour des raisons structurelles, chacun ayant de nombreux dirigeants à qui il faut donner des postes d’élus : une fusion diminuerait automatiquement le nombre de postes disponibles. Par ailleurs, ils n’ont pas exactement le même électorat. Au Maharashtra, le Congress s’axe essentiellement sur les Musulmans et les Dalits et est surtout ancré sur les zones côtières. Alors que le NCP est surtout présent dans les zones rurales et auprès de la caste des Marathas. Ils peuvent se dire qu’ils se complètent”.
De l’autre côté de l’échiquier politique, on observe une même dichotomie. Le BJP, le grand parti national, implanté dans tout le nord de l’Inde, est aussi puissant au Maharashtra. Il est présent chez les castes supérieures et moyennes, et notamment les Gujaratis, nombreux dans l’état. Le BJP est allié avec le Shiv Sena. Ce parti, identifiable par le tigre à la gueule ouverte et les drapeaux orange que l’on voit fréquemment flotter dans la ville, est né dans les années 60 à Bombay. “Il s’est constitué autour de la défense de la caste des Marathas mais, depuis les années 80, il est de plus en plus tourné vers un aspect nationaliste voire extrémiste”. Il est aujourd’hui représenté par le petit-fils du fondateur Bal Thackeray, Aditya Thackeray.
Leur alliance n’a été possible qu’après des négociations très tendues. “Le Shiv Sena voulait placer le même nombre de candidats que le BJP pour montrer qu’ils sont sur un pied d’égalité, mais a dû concéder plus de circonscriptions au BJP : il reste donc secondaire dans la coalition. Dans les faits, il est d’ailleurs assez virulent à l’encontre de Narendra Modi. L’enjeu de ces élections est élevé pour ce parti, car il veut conserver son électorat face à la dynamique du BJP, ce qui explique la surenchère pour capter l’électorat nationaliste.”
Il existe trois autres partis mineurs mais qui “pourraient avoir de l’influence sur le résultat des élections”. L’un, le All India Majlis-e-Ittehadul Muslimeen (AIMIM) cible la population musulmane, ce qui pourrait coûter des voix au Congress. Un autre, le Vanchit Bahujan Aghadi (VBA) cible les Dalits, avec donc le même pouvoir de grignotage des voix à l’encontre du Congress. Le troisième, le Maharashtra Navnirman Sena (MNS), est d’un extrémisme très marqué, et rejette le BJP et le Shiv Sena. Il présente des candidats dans certaines circonscriptions, mais, de façon surprenante et complexe, dans d’autres il appelle en sous-main à voter pour le Congress ! Il va être intéressant de voir comment ces forces mineures empiètent sur le vote des grands partis.
Les thèmes de campagne
Surfant sur la victoire de mai dernier, le BJP “refait la campagne législative de 2019. Il aborde le nationalisme hindou, la fierté retrouvée et le personnage de Modi lui-même en tant qu’homme à poigne. A cela, s’ajoute toutes les actions nationalistes menées depuis sa réélection et en première ligne, bien évidemment, la situation au Jammu-et-Cachemire.”
“A contrario, l’opposition, et notamment le Congress, essaie de rejouer les campagnes régionales de la fin de 2018, au Madhya Pradesh et au Rajasthan, où il l’avait emporté, à la surprise générale, en focalisant sur les questions économiques : le chômage en hausse, notamment chez les jeunes, la crise agraire qui sévit dans de nombreux états dont le Maharashtra, liée au prix en baisse des denrées agricoles et à la sècheresse et enfin les infrastructures en général qui ne sont pas satisfaisantes dans les régions rurales, en terme de transport, d’électrification, de sanitaires …”
“Pour résumer, le BJP fait plus campagne sur des thématiques nationales, alors que le Congress se positionne plus sur des problématiques locales, étant donné que cela lui avait réussi en 2018, mais pas en 2019 ! On va donc voir ce qui va se passer !”
Les tendances
Le Congress a très longtemps largement dominé l’Etat, jusqu’en 1995, pour ensuite partager le pouvoir avec le NCP. Or, en 2014, c’est l’Alliance BJP-Shiv Sena qui a gagné l’élection avec la répartition des votes suivante :
- 122 élus pour le BJP,
- 63 pour le Shiv Sena,
- 42 pour l’INC et
- 21 pour le NCP.
“Pour cette élection, étant donné le résultat des élections de 2019 et l’extrême popularité de Narendra Modi, on devrait tout de même se diriger vers une très nette victoire de la coalition BJP-Shiv Sena, ce qu’annoncent d’ailleurs tous les sondages” déclare Mathieu Gallard. Dans cette perspective, de très nombreux élus du Congress ou du NCP ont fait défection pour le BJP au cours des derniers mois afin de conserver leur poste.
“En Inde, la participation est parfois encore plus élevée aux élections régionales qu’aux législatives. Ce sont des élections importantes, car les gouvernements locaux ont beaucoup de pouvoir, notamment sur les questions liées aux infrastructures et au développement local.
Cependant, pour cette élection, on arrive juste après les élections nationales pour lesquelles la participation a été très importante. La vague pro-BJP et les sondages actuels peuvent donner à une partie des citoyens le sentiment que tout est joué et il est possible qu’on assiste avant tout à une confirmation de ce qu’il s’est passé en mai dernier.”
A suivre, au dépouillement, le 24 octobre !
NB: Notez que le jour de l'élection, le 21 octobre, sera un jour férié. Des rassemblements sont attendus. Ce sera également un "dry day" donc prévoyez en conséquence.
Ipsos est un Institut de sondage, à l’origine français, dorénavant présent dans plus de 80 pays dans le monde. Son département “Public Affairs” s’occupe plus spécifiquement des enquêtes d’opinion sur la vie politique, l’actualité et les grandes tendances sociétales. Mathieu Gallard y est Directeur de recherche.