Pendant leur échange universitaire à Bogota, Hortense Jauffret et Jade Vergnet se lancent dans un grand projet : recueillir le témoignage de femmes colombiennes et en faire un livre. Des bouts d’histoire qui en disent long sur le pays…
De leur échange universitaire en Colombie, Hortense Jauffret et Jade Vergnet reviendront en publiant un livre. Fruit d’une année à arpenter le pays, « Colombiennes, rencontre avec vingt femmes engagées », publié aux Editions du Jasmin, recueille le témoignage de femmes colombiennes.
Elles sont politique, sportive, journaliste, artistes, activiste ou ancienne combattante FARC. Originaire de différentes communautés et de toutes classes d’âge. A travers leurs parcours, ces femmes dressent le tableau des défis et enjeux auxquels fait face la Colombie.
Rencontre avec Hortense Jauffret, l’une de ces deux autrices passionnées…
Pourquoi êtes vous parties en Colombie ?
Nous sommes parties dans le cadre de notre échange universitaire lors de notre troisième année d’études à Sciences Po. Nous ne nous sommes pas concertées sur la destination. Personnellement, je savais que je voulais aller en Amérique du Sud parce que la région m’attirait et que je voulais parler espagnol. Ce sont certains discours vagues et mystérieux de personnes revenant de Colombie qui m’ont donnée l’envie d’aller voir par moi même. Lorsque j’ai évoqué l’idée de partir là bas, mes parents étaient inquiets : « c’est dangereux, il y a les FARC, il y a de la drogue »… Tous les clichés ! De mon côté j’avais eu le retour de personnes passionnées par ce pays. Je voulais en savoir plus.
Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?
J’avais eu l’idée de répertorier des initiatives positives en Colombie pour déconstruire les clichés et montrer qu’il y existe plein d’autres choses. Rapidement, je me suis rendue compte que la Colombie est un pays assez macho où les femmes ne sont pas mises en avant. J’ai voulu faire d’une pierre deux coups en mettant en avant une autre image du pays et en le faisant passer par l’intermédiaire des femmes, qui ne sont pas valorisées là bas.
Jade, qui était aussi en échange en Colombie, avait eu une idée semblable et nous avons donc convenu de le faire ensemble.
Comment vous êtes-vous senties en tant que femmes en Colombie ?
C’est assez particulier, tout dépend des régions. Sur la côte caraïbe, il est normal d’être sifflée sans arrêt et de se prendre beaucoup de remarques. Nous avons été fortement choquées et dérangées lorsque nous voyagions dans cette partie du pays. A Bogota, cela ressemble à toutes les grandes villes. Il y a des gens lourds, en particulier le soir où ça devient vraiment dangereux, mais autant pour les hommes que pour les femmes.
Ce qui m’a le plus dérangée est que la société est hyper sexualisée. Dans la culture musicale, la femme est avant tout un corps, le harcèlement de rue est beaucoup plus normalisé. Si quelqu’un te dit « que guapa » dans la rue, certaines Colombiennes vont trouver que c’est un compliment flatteur. Mais c’était intéressant de voir les différences entre ce qui était choquant pour nous, avec notre prisme français, et ce qui ne l’était pas pour eux.
Quel rôle jouent les Colombiennes dans la quête de la paix ?
Nous avons fait en sorte d’interroger des femmes qui venaient d’horizons très différents, que ce soit géographique, social ou en terme d’engagement : certaines en politique, d’autres en environnement, d’autres dans le sport. Ce qui nous a frappé c’est qu’une chose lie toutes ces femmes. A chacune de nos interviews, nous posions la même question à la fin : « C’est quoi ton rêve pour la Colombie ? ». Toutes sans exception nous ont répondu : « La paix ».
Cela nous a frappées car en tant que Français si la question nous était posée, cette réponse ne viendrait à l’esprit de personne, parce que nous ne sommes pas un pays en guerre et parfois on ne se rend pas compte de la chance qu’on a d’être dans un pays en paix.
Lorsque nos interviewées se présentaient, il était courant qu’elles indiquent : « Je m’appelle Maria et je suis victime du conflit armée », comme si cela faisait partie de leur identité. C’est quelque chose qui est très intériorisé. Par leurs actions, chacune des femmes que nous avons interrogé contribuait, à son échelle, à faire la paix en Colombie.
Quelle est la femme qui vous a le plus marquées ?
Ce ne sont pas les mêmes qui nous ont marquées sur le coup lors de l’interview et lorsque nous avons retravaillé et approfondi leurs propos après coup.
Celle qui nous a le plus touchées sur le coup est Maria Fernanda, une femme qui a été victime de prostitution sur la côte. Son interview n’était pas prévue au départ mais quelqu’un nous a fortement conseillé d’aller l’interroger. Quand nous avons commencé l’interview, elle était très fermée. Elle se protégeait. Mais petit à petit, nous avons senti qu’elle se détendait et s’ouvrait à nous. Elle a pleuré trois fois pendant l’interview. Le sujet la prenait encore terriblement à la gorge. Nous ne nous attendions pas du tout à ce qu’elle se livre autant. Après l’interview, nous étions toutes retournées. Elle nous a extrêmement touchées car nous avons ressenti que tout était encore en elle. C’était fou à vivre.
Quel est le rôle des femmes dans le mouvement de protestation qui secoue le pays ?
Des femmes prennent part au mouvement et certaines sont même de grandes figures de la protestation. Elles se mobilisent au même titre que les hommes.
J’ai l’impression que l’enjeu est social et concerne à ce titre les hommes comme les femmes. Beaucoup de femmes sont mères-adolescentes ou mères-célibataires et doivent porter tout leur foyer. Peut-être que cela les touche davantage puisqu’elle sont généralement encore plus précaires que les hommes.
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Hortense et Jade sont à la recherche de libraires français pour commercialiser leur ouvrage en Colombie. Si vous avez des informations, ou si vous souhaitez mettre en vente leur livre sur place, vous pouvez les contacter à cette adresse : hortense.jauffret@sciencespo.fr