Depuis 2008, l’ONG libanaise, qui défend la conservation du patrimoine architectural de la capitale, a empêché la destruction de nombreux bâtiments historiques.
La vieille ville de Beyrouth s’est construite majoritairement au cours du 19e siècle. Dans les années 1960. Michel Ecochard, architecte et urbaniste français, trace alors tous les plans de la nouvelle ville sur le modèle des métropoles : dense au centre, avec plus d’espace en périphérie. Les terrains du centre-ville ont une grande valeur, et satisfont les intérêts fonciers des grands entrepreneurs. Contrairement aux villes américaines, Beyrouth n’est pas une ville complètement neuve. Elle possédait déjà à l’époque un centre-ville historique. Depuis, la métropole n’a cessé de grandir, en largeur comme en hauteur, attirant de nombreux promoteurs immobiliers. La construction de masse menace le patrimoine de la ville, divisée entre modernisation intense et histoire délaissée.
Cette menace pousse Naji Raji à créer Save Beirut Heritage. Face à la destruction de lieux qui lui étaient chers, il décide d’élever sa voix et de défendre l’histoire de sa ville. Il est vite rejoint par d’autres Libanais, sensibles à ce combat. Aujourd’hui vice-président de l’ONG, Antoine Attalah exprime le même sentiment : « Ça vient, comme souvent, d’un sentiment personnel, on ne peut pas s’empêcher d’y penser ».
Save Beirut Heritage a mené de nombreuses actions depuis sa création. Elle a interrompu plus d’une centaine de démolitions illégales, provisoirement ou non. En 2013, elle a mené une bataille acharnée contre un grand projet d’autoroute dans Beyrouth. Après avoir réuni des experts dans les domaines de l’environnement, du patrimoine et de l’architecture, elle a proposé des alternatives.
En mai 2017, le palais Heneine à Beyrouth a été inscrit sur la liste des sites à préserver du World Monument Fund. En plus d’être une victoire pour l’association, cet évènement lui a permis d’organiser des Watch Days. Des habitants ont pu profiter de visites du palais, des expositions, des projections de films… Les élèves des écoles du quartier ont participé au projet. 300 personnes ont découvert le site et ses environs. Grâce à la collaboration de plusieurs organismes, de nombreux évènements ont permis aux habitants de connaître leur patrimoine, de le faire aimer, et c’est un réel succès. « On a réussi à contribuer à mettre le sujet du patrimoine un peu sur la scène médiatique, à faire murir l’opinion à ce sujet » ajoute Antoine Attalah.
Au Liban, il n’existe pas de loi de protection du patrimoine efficace. La seule loi en vigueur date du mandat français, et ne concerne que les bâtiments antérieurs au 18e siècle. Beyrouth est une ville récente, la plupart de ses lieux historiques ne rentrent pas dans le cadre de cette loi. « En l’absence d’une loi forte, les propriétaires peuvent par exemple attaquer en justice une interdiction de démolition du ministère de la culture pour appréciation personnelle non étayée par une loi, ce qui est complètement vrai. Aucune loi ne peut justifier qu’un propriétaire d’un bâtiment historique a moins le droit de construire 50 étages que le propriétaire d’un terrain vague, on appelle ça une rupture d’égalité. »
Une loi pour la protection du patrimoine a été votée par le conseil des ministres l’année dernière. Pour entrer en vigueur, elle doit être approuvée par le Parlement. Une législation dans ce domaine est souvent compromise par la proximité des politiciens avec des promoteurs immobiliers, ou par leur peur de nuire au marché immobilier. Mais cette loi représente un réel espoir. Pour le vice-président de Save Beirut Heritage, c’est la preuve que les mentalités changent.
La loi en cours de vote n’est qu’un point de départ. Elle ne « remet pas en cause le système qui est mauvais, mais l’adapte », explique M. Attalah. En montrant à ses habitants la richesse de Beyrouth, l’association souhaite changer les mentalités. La richesse de la capitale ne réside pas uniquement dans sa modernité.
Maintenant, l’association vise deux objectifs : le vote de la loi sur la protection du patrimoine, qui propose des incitations financières à la restauration de bâtiments historiques et un pouvoir de décision accru au ministère de la Culture, ainsi qu’aux présidents des collectivités locales. A plus long terme, l’objectif de l’ONG est de sanctuariser des secteurs historiques dans Beyrouth, avec des législations adaptées pour chaque quartier et des interdictions de dépasser un certain seuil de construction. Ces lois existent déjà dans de nombreuses villes à caractère historique comme Paris.