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Florent Guénard : “Il y a un mensonge dans le nationalisme”

Florent Guénard auteur Peuples et populismeFlorent Guénard auteur Peuples et populisme
Écrit par Justine Huc-Lhuillery
Publié le 12 novembre 2018, mis à jour le 13 novembre 2018

Ce chercheur en philosophie politique, directeur de la rédaction du magazine La vie des idées, a coordonné l’ouvrage Peuple et populisme, qui recueille des essais sur le statut politique du peuple en démocratie.

 

Lepetitjournal.com Beyrouth : Pourquoi est-il important de définir le concept de peuple aujourd’hui ?


Florent Guénard : Il a toujours été important et difficile de définir la notion de peuple. L’idée démocratique émerge avec l’idée que le peuple peut être lui-même un sujet politique, c’est-à-dire qu’il peut prendre des décisions politiques. Si on veut penser la décision collective dans un régime de libertés dans lequel nous nous donnons nous-mêmes nos propres lois, il faut qu’on arrive à penser cette liberté. Comme un individu, un peuple, c’est-à-dire une masse d’individus, est capable aussi d’avoir une volonté.

Si un individu est, par définition, individualisé, qu’est-ce qui fait l’unité et la volonté du peuple ? A partir du moment où l’on sort de la démocratie directe, on ne peut plus se représenter physiquement le peuple. Dans l’Athènes antique, le peuple, qui n’est pas toute la population, est réuni dans l’assemblée. Il forme un ensemble que l’on peut voir, et les citoyens peuvent se voir en faire partie.

Dans les États modernes, le peuple devient plus abstrait. On ne peut pas le réunir. Pour le définir, on peut dire que le peuple est l’agrégat de ceux qui votent. Le peuple, ce sont différents individus qui donnent leur avis singulier, que l’on quantifie pour déterminer qui l’emporte. Dans ce cas, il n’y a pas de volonté populaire, mais la volonté d’un groupe qui devient majoritaire.

Au XIXe siècle, on a utilisé l’histoire et la culture pour former la nation. L’idée de nation a servi de substance pour le peuple. Une nation, c’est une langue, des institutions qui la portent, une culture, une histoire commune, etc… Une nation peut former un peuple si cette nation n’est pas un ensemble de sujets assujettis à un roi, mais un ensemble de citoyens. Mais ce peuple-nation a très vite volé en éclats. Il n’y a jamais eu de nation unifiée. Il y a toujours eu des minorités et ce, encore plus au XXe siècle où la pluralité culturelle nous apparaît comme une réalité. Aujourd’hui, et ce sera de plus en plus le cas à l’avenir, les Etats sont multiculturels parce que les populations bougent et que la démocratie garantit de plus en plus la liberté d’expression des minorités. Quand la France a décidé d’être une République, un Etat national avec une nation, cette dernière s’est construite par la force.

Mais aujourd’hui, on ne peut plus uniformiser la nation. La nation ne peut plus aider à penser le peuple. Il y a un mensonge dans le nationalisme. L’idée que nous allons redonner un sens au peuple en redonnant un sens à la nation est un mensonge.

 

Vous rejetez donc la notion illusoire de peuple-nation. Est-il possible de construire un peuple, basé sur autre chose que l’union nationale ?


C’est une hypothèse que j’essaie de défendre. Un peuple, c’est une expérience du collectif, et l’individu a, lui, une expérience du collectif. Au lieu de penser le peuple sur l’expérience nationale, mythique et dangereuse car excluante, ne pourrait-on pas penser l’expérience que nous faisons du collectif ?

Pour arriver à donner une réalité au peuple, il faut que les individus se sentent lui appartenir. C’est sur ce sentiment d’appartenance qu’il faut travailler. La principale critique, c’est le règne de l’individualisme. Or, l’individu ne défend pas que son propre intérêt. Il est nécessaire d’avoir une réflexion sur notre appartenance à un ensemble qui nous dépasse.

Tocqueville disait qu’il était très étonnant que les Américains passent leur temps à constituer des associations. Par l’association, ils apprennent à dépasser leur ‘matérialisme’, c’est-à-dire le resserrement sur des intérêts particuliers, qui est un moyen de généraliser leur vue.

Au lieu de tourner autour de la question du lien entre peuple, nation et individu, il faudrait se demander comment reconstruire un peuple à partir de l’expérience des individus eux-mêmes.

Au fond, ceux qui ont réfléchi à cette question se demandent comment on devient citoyen. Il faut être un bon père, un bon voisin, avoir le souci de l’intérêt des autres, donc se sentir inclus dans un intérêt qui nous dépasse.

 

Faut-il alors tendre à un peuple universel ?


Je pense que c’est un horizon régulateur qui nous prévient de toutes les dérives. La différenciation est porteuse de violence et d’exclusivité. On ne peut éviter ce type de conséquences. Il faut pourtant les prévenir en maintenant le peuple ouvert, ce que ne peut pas faire la nation, et en gardant en tête l’idée d’un cosmopolitisme.

Je ne crois pas qu’un gouvernement mondial, comme certains en rêvent, soit souhaitable. Dante a écrit un texte sur la monarchie universelle dans laquelle il voyait la possibilité d’une pacification. Avec un seul roi, dit-il, la terre serait en paix. A l’époque où il l’écrit, la guerre prend sa source dans le conflit entre les princes.

Il est important d’avoir en tête que nous sommes citoyens d’un même monde. Nous voyons aujourd’hui que le monde, défini comme étant l’effet de tout ce que nous faisons et qui le modifie, existe, et qu’il est vulnérable. Nous avons en commun la catastrophe climatique qui nous touche tous. Nous avons une idée très concrète du monde puisque le monde, c’est tout ce qui peut disparaître.

 

Vous êtes directeur de la rédaction de la revue coopérative La vie des idées. Pouvez-vous nous en parler ?


C’est une revue en ligne, gratuite, née il y a 11 ans. Nous voulions introduire une culture de la recension. Nous voulions construire une revue généraliste qui convoque les sciences humaines et sociales. Nous croyons qu’elles peuvent éclairer le débat public. Nous voulons produire des articles qui puissent comparer notre situation avec le passé ou d’autres lieux, en montrant comment les débats intellectuels se posent ailleurs. Les sciences sociales peuvent sortir de l’université, il faut juste leur donner la voie.

 

Poursuivez-vous un objectif politique ?


Je veux amener des informations sur le débat public. C’est une forme d’engagement politique. Il faut que le peuple reste cultivé. Le recul historique pour comprendre un phénomène d’actualité est nécessaire. On n’éclaire pas le contemporain par lui-même. Si on veut dépasser nos évidences, il faut du comparatif, aller chercher d’autres lieux et d’autres temps.

 

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