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Abus sexuels au sein de l'Église allemande, les rapports accablants se succèdent

Église et croix catholiqueÉglise et croix catholique
© Akira Hojo - Unsplash
Écrit par Guillaume Tarde
Publié le 15 mars 2022, mis à jour le 15 mars 2022

Vingt ans après les révélations du Boston Globe sur les abus sexuels perpétrés par des membres du clergé, l’Église semble encore en proie à un problème désormais indéniablement systémique.

 

"La prévention de la violence sexualisée ne peut être considérée comme réussie [...] que si elle est apte à contrer également les conditions structurelles de possibilité de la violence sexualisée dans l'espace de l'Église". (Gräb-Schmitt, in : Wirth e. a., Sexualisierte Gewalt in kirchlichen Kontexten (2022), S. 307, 309)

 

Alors c’est encore un échec.

Dans les bureaux du Boston Globe en 2002, l’équipe de journalistes d’investigation « Spotlight » s’apprête à exposer au grand jour un scandale retentissant sur les abus sexuels sur mineurs commis par des membres de l’Église américaine. L’affaire traverse les frontières pour atteindre l’Irlande puis d’autres pays dans les années qui suivent. Les machines médiatiques et judiciaires en marche, le sort de ces ecclésiastiques déviants semble sceller, et l’institution catholique n’a d’autre choix que de faire le ménage dans ses rangs.

 

Vingt ans plus tard, un nouveau rapport accablant est pourtant publié en Allemagne. Si la période couverte commence en 1945, lorsque le grand public ignorait encore les exactions de l’Église, elle se termine en 2019 bien après les révélations du journal américain. La persistance des abus sexuels témoigne d’un problème systémique loin d’être résolu.

 

L’Église allemande face à trois rapports accablants

En 2018 d’abord, un premier rapport issu d'un consortium de recherche des universités de Mannheim, Heidelberg et Giessen, expose au grand jour les abus sexuels perpétrés par plus de 1.670 ecclésiastiques allemands sur près de 3.677 mineurs entre 1946 et 2014. Le journal allemand Der Spiegel, qui a révélé une partie de ce rapport avant sa publication, souligne l’ampleur du scandale :

 

« Il n'y a aucune raison de croire que "les abus sexuels commis sur des mineurs par des clercs de l'Église catholique sont une question clôturée dans le passé et désormais surmontée". La série d'abus s'est poursuivie jusqu'à la fin de la période d'enquête. »

 

Si le rapport fourmille d’informations, d’analyses et de révélations, quelques chiffres permettent de mieux appréhender le scandale.

 

4,4 : le pourcentage de membres du clergé allemands mis en cause

4,7 : le nombre moyen d’enfants abusés par les religieux récidivistes

12 : l’âge moyen des victimes

20 : la durée moyenne en mois de la répétition des abus

16 : le pourcentage d’enfants violés (parmi les enfants abusés) par pénétration anale, vaginale ou orale.

 

Derrière ces chiffres se cache non seulement l’horreur endurée par des milliers d’enfants mais aussi un modèle systémique. Malgré les révélations faites dès 2002, ce rapport publié en 2018 ne fait, en effet, état d’aucune amélioration de la situation sur l’ensemble de la période de recherche. Cette continuité peut être expliquée notamment par le traitement réservé aux religieux impliqués dans des abus sexuels.

 

Dans les affaires d’agressions sexuelles, le temps est un ennemi de la mémoire des faits pour les victimes mais une occasion pour les agresseurs de continuer leur sinistre entreprise. Il faut pourtant 13 ans entre les faits et un éventuel procès au pénal et plus de 22 ans pour une procédure canonique (imposée à seulement un tiers des auteurs d’après le rapport). Toutefois, avant le procès, les religieux impliqués dans des affaires d’abus sexuels sont souvent mutés une première fois. Cette mutation n’empêche cependant pas les agressions sexuelles puisque la plupart du temps, aucune information sur les accusations ou les soupçons d'abus n'a été communiquée à la nouvelle paroisse ou au diocèse d'accueil.

 

Par ailleurs, le rapport expose que « les évêques n'ont porté à la connaissance des autorités civiles que 7,3 % des membres du clergé qu'ils suspectaient fortement d'abus sexuels » comme l’explique une synthèse disponible sur le site du Sénat. Le caractère systémique de ces abus est, de plus, corroboré par une autre partie du rapport qui mentionne des dossiers ecclésiastiques « détruits ou manipulés » par des membres de l’institution religieuse.

 

Si un autre rapport, publié en 2021, fait état de 314 victimes pour 202 religieux mis en cause de 1975 à 2018, le dernier en date, dévoilé en 2022, implique l’ancien pape Benoit XVI.

Publié le 20 janvier 2022 par le cabinet Westpfahl Spilker Wastl, ce rapport se penche sur les abus sexuels sur mineurs et adultes vulnérables par des clercs, ainsi que par [d’autres] employés, dans l’archidiocèse de Munich et Freising de 1945 à 2019.

 

Benoit XVI
Kancelaria Prezydenta RP - GFDL 1.2

 

497 victimes ont ainsi été abusées sexuellement par au moins 235 auteurs présumés - dont 173 prêtres et neuf diacres - dans le seul archidiocèse de Munich et Freising. Joseph Alois Ratzinger, plus connu sous son nom de pape Benoit XVI, ne fait pas partie des religieux directement impliqués, mais il est accusé d’avoir couvert les abus d’un prêtre. Archevêque de Munich-Freising de 1977 à 1982, l’ancien pape a reconnu, à la suite de la publication du rapport, avoir fait une fausse déclaration concernant sa présence à une réunion en 1980 traitant d’abus sexuels commis par un prêtre. Joseph Ratzinger avait d’abord déclaré ne pas avoir fait partie de cette réunion avant de revenir sur ses propos et de déclarer qu’il ne s’agit que de « la conséquence d'un oubli lors du traitement rédactionnel de sa prise de position ».

 

Des avancées timides voire inexistantes

L’Église catholique tente, depuis quelques années, de réagir face à la multiplication des scandales d’abus sexuels qui touchent de nombreux pays.

 

En février 2019, le pape François a convoqué un sommet regroupant 114 présidents d’épiscopats de tous les continents pour lutter contre les agressions sexuelles de mineurs par des membres du clergé. En décembre de la même année, au travers d’un « rescrit » ou décret, le pape a levé le secret pontifical sur les dénonciations d’abus sexuels. Cette mesure ressemble davantage à un symbole qu’à une réelle avancée dans la lutte contre les abus sexuels au sein de l’Église.

 

Il faut attendre 2021 pour voir un changement dans le droit canon au sujet des crimes de pédophilie. Le Code de droit canonique précédent prévoyait de punir les abus sexuels commis par le clergé contre les mineurs sous le simple intitulé du non-respect du sixième commandement de la Bible (« tu ne commettras pas l’adultère ») explique Le Parisien. « Dans une section intitulée « délits contre la vie, la dignité et la liberté humaines », le droit canon comprend désormais « un délit contre le sixième commandement du Décalogue avec un mineur ou une personne habituellement affectée d’un usage imparfait de la raison ou avec une personne à laquelle le droit reconnaît une protection similaire » détaille le quotidien.

 

Ces avancées sont jugées insuffisantes par Reinhard Marx, président de la Conférence épiscopale allemande de 2014 à 2020 et archevêque de Munich et Freising depuis 2007. Dans un courrier adressé au pape en 2021, il fustige un « échec institutionnel ou systémique ». Il estime par ailleurs que l’institution est au « point mort » et que « L’Église n’a pas su assumer sa responsabilité systémique ». Il ajoute également que « certains au sein de l’Église ne veulent pas accepter cette responsabilité et donc la complicité de l’institution et s’opposent ainsi à tout dialogue de réforme et de renouvellement en lien avec la crise des abus ». Sa démission envoyée au pape François n’a pourtant pas été acceptée, ce dernier encourageant Reinhard Marx à persévérer dans son travail contre les abus sexuels.

 

L’impact sur les finances de l’Église allemande

« Je reste chrétien mais je n’ai plus rien à voir avec cette Église, sa duplicité et son énergie mise à couvrir les abus sexuels. Je n’ai pas envie d’être leur potiche. » Ce témoignage d’un catholique allemand recueilli par Le Figaro, illustre le choc qu’ont provoqué les rapports successifs chez les croyants allemands. Ce sentiment, partagé par de nombreux fidèles, a engendré de nombreux départs de l’Église et touché sensiblement le porte-monnaie de l’institution.

 

En Allemagne, les communautés religieuses sont autorisées à lever des impôts par le biais de l’État qui prélève une commission. Cet impôt ecclésiastique, qui représente 8 à 9 % de l’impôt sur le revenu, est ainsi obligatoire pour les fidèles. Les vagues de départs de l’Église à la suite des scandales d’abus sexuels participent, avec la crise sanitaire, à la fonte des revenus de l’Église allemande.

 

« Au cours du seul premier trimestre 2021, 3.300 personnes ont exigé leur radiation de l’Église devant le tribunal de Cologne » souligne Le Figaro. « Les serveurs informatiques ont ployé sous la demande. Le tribunal a dû convertir une deuxième salle d’audience en guichet de radiation derrière lequel se succèdent, chaque jour, des dizaines de chrétiens aux profils variés. » explique ainsi le journal en 2021.

 

« Ce qu’on va gagner en impôts, ce sont des bagatelles (300 euros par an en moyenne, NDLR). On veut surtout leur montrer qu’on ne veut plus de leur système » explique un couple allemand interrogé par Le Figaro. Si pour les particuliers ce sont « des bagatelles », pour l’Église ces défections représentent un manque à gagner important. L’État pâtit également de ces départs puisque cet impôt représente 8 à 10 % du montant total des recettes fiscales. Ces scandales à répétition soulèvent de nombreuses questions, comme celle de la perception par l’État d’un impôt destiné à financer une institution impliquée dans des affaires d’abus sexuels de manière systémique.

 

 

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