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Une saisie record fait planer le spectre des opioïdes sur l’Asie

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Police de Birmanie / ONUDC / Document à distribuer via REUTERS - Des précurseurs chimiques utilisés pour fabriquer des drogues illicites telles que la méthamphétamine, la kétamine, l'héroïne et le fentanyl saisis par la police et l'armée birmane
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 28 mai 2020, mis à jour le 28 mai 2020

La police de Birmanie dit avoir saisi une énorme quantité de fentanyl liquide, dans le cadre de la plus grande opération anti-drogue jamais réalisée en Asie. C’est la première fois que l’on trouve dans la région du Triangle d'or l’un des dangereux opioïdes synthétiques qui font rage en Amérique du Nord.

Signe que les syndicats de la drogue d'Asie se sont tournés vers le marché lucratif des opioïdes, plus de 3.700 litres de méthylfentanyl ont été découverts par la police des narcotiques près du village de Loikan dans l'État Shan, dans le nord-est de la Birmanie, selon Reuters.

La saisie de ce dérivé du fentanyl fait partie de la plus grande opération anti-drogue jamais réalisée en Asie, opération qui a également permis d’intercepter 193 millions de comprimés de méthamphétamine ou "yaba" (17,5 tonnes), soit quasiment la même quantité saisie au cours des deux dernières années en Birmanie.

L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a indiqué qu'il s'agissait d'une saisie sans précédent et que les autorités anti-drogue de Birmanie avaient "démantelé un réseau important" au cours de cette opération qui a pris deux mois et mis en œuvre les forces de police et l'armée. Ont également été saisis près de 163.000 litres et 35,5 tonnes de précurseurs chimiques, ainsi que des armes. Il y a eu plus de 130 arrestations.

Il n’en reste pas moins que la découverte de méthylfentanyl est un indicateur inquiétant pour le marché des drogues illicites de la région, a déclaré à l'agence Reuters l'agence des Nations Unies ainsi qu'un responsable occidental basé en Birmanie.

"Cela pourrait changer la donne, car le fentanyl est si puissant qu’une utilisation élargie constituerait un problème de santé majeur pour la Birmanie et la région", a souligné le responsable, qui a souhaité garder l’anonymat.

Saisie record de drogue en Birmanie
Des armes, des sacs de méthamphétamine en cristaux et des pilules de yaba saisis par les autorités birmanes dans l'État Shan, entre février et avril 2020 (photo Myanmar Police / UNODC via Reuters)

Dans une interview accordée à Reuters, le chef des forces de police au sein de l’agence birmane de lutte contre les stupéfiants, le colonel Zaw Lin, a déclaré que le méthylfentanyl avait été vérifié à l’aide d’équipements de pointe.

La saisie montre que les méthodes des syndicats de la drogue sont en train de changer, dit-il.

Le fentanyl et ses dérivés ont causé plus de 130.000 décès par surdose aux États-Unis et au Canada au cours des cinq dernières années, selon des agences gouvernementales. Le fléau des opioïdes ne s’est pas abattu sur l'Asie, l'Europe ou l'"Australasie", mais certains signes indiquent qu'il s'agit d'une menace émergente.

"Nous avons averti à plusieurs reprises que la question du fentanyl dans la région pourrait devenir un problème, mais cela dépasse nos prévisions", déplore le représentant de l'ONUDC pour l'Asie du Sud-Est et le Pacifique, Jeremy Douglas.

"C'est le changement de marché auquel nous nous attendions et que nous craignions."

Mélange mortel

Même si la police birmane n'a pas révélé le degré de pureté ni la composition exacte du méthylfentanyl saisi, on sait qu’il se présente sous deux variantes principales, toutes deux plus puissantes que le fentanyl, selon l'agence de contrôle des drogues de l'Union européenne.

Le fentanyl lui-même est 25 à 50 fois plus fort que l'héroïne.

De plus en plus, les trafiquants de drogue mélangent le fentanyl et ses dérivés avec de l'héroïne, de la méthamphétamine et de la cocaïne, augmentant leur puissance mais aussi leur létalité.

Aux États-Unis, selon une analyse de Rand Corporation, la moitié des surdoses d'héroïne et de cocaïne en 2017 comprenaient des substances contenant des traces d'opioïdes synthétiques.

Raid anti-drogue sans precedent en Birmanie
Du matériel utilisé dans la fabrication des drogues faisait partie des biens saisis par les autorités birmanes dans l'État Shan, entre février et avril 2020 (photo Myanmar Police / UNODC via Reuters)

Une enquête canadienne a révélé que 73% des personnes testées positives au fentanyl ignoraient qu'elles en avaient consommé.

"Lors des interrogatoires, les suspects ont révélé que la plupart des drogues devaient être distribuées en Birmanie et dans les pays voisins", a déclaré le colonel Zaw Lin.

"Mais nous menons toujours des interrogatoires. Nous n'avons pas encore tout à fait la destination finale."

Le fentanyl liquide est généralement converti en poudre avant d'être vendu, souvent sous forme de comprimés, ont déclaré à Reuters deux analystes, qui eux aussi ont souhaité ne pas être identifiés.

Pas cher à produire, facile à dissimuler 

En plus d'être plus faciles et moins chers à produire que l'héroïne, les opioïdes synthétiques puissants comme le fentanyl peuvent être facilement dissimulés et transportés car de petites quantités peuvent fournir des milliers de doses.

À un moment où la crise du Covid-19 ferme les frontières et restreint les mouvements de personnes dans de nombreux pays, l'ONUDC craint que le fentanyl ne continue de se propager dans le monde.

Depuis des décennies, les syndicats du crime asiatiques, en partenariat avec les milices des minorités ethniques, utilisent le Triangle d'or - centré sur le nord de la Birmanie et comprenant des parties du Laos et de la Thaïlande - pour cultiver de l'opium et raffiner l'héroïne.

Saisie de cristal meth et opioides en Birmanie
Des emballages de thé chinois remplis de "cristal meth", caractéristique du syndicat Sam Gor, font partie de la saisie dans l'État Shan, entre février et avril 2020 (photo Myanmar Police / UNODC via Reuters)

Plus récemment, la production de méthamphétamine par des groupes tels que le syndicat Sam Gor a explosé dans la région, en partie en raison de la répression qu'ils subissent dans la Chine voisine.

Selon le colonel Zaw Lin, le méthylfentanyl proviendrait d'un pays voisin mais il ne peut confirmer lequel. Les documents de la police birmane vus par Reuters indiquent que la plupart des drogues, précurseurs et équipements saisis provenaient de Chine.

L'empire du milieu

La Chine, comme le Mexique, est un important fournisseur de fentanyl en Amérique du Nord, mais la multiplication des opérations anti-drogue a entraîné une baisse des exportations chinoises d'opioïdes synthétiques vers les États-Unis, selon la Drug Enforcement Administration (DEA) des États-Unis.

Les cartels mexicains ont repris le dessus, mais l'ONUDC estime que les difficultés récentes à obtenir des précurseurs chimiques de Chine sapent leur production de fentanyl.

La proximité du nord de la Birmanie avec la Chine en fait une alternative intéressante pour les barons asiatiques de la drogue qui cherchent à produire du fentanyl et d'autres opioïdes synthétiques, estiment les analystes.

"Les alliances entre les milices des ethnies minoritaires de Birmanie et les groupes criminels transnationaux doivent être rompues, ou le problème des drogues synthétiques continuera de se détériorer", prévient Jeremy Douglas de l'ONUDC.

Le colonel Zaw Lin souligne que la Birmanie intensifie ses efforts pour déranger les syndicats et renforce sa coopération avec d'autres pays.

"La Birmanie fait des opérations de lutte contre la drogue une de nos principales priorités nationales", a-t-il déclaré.

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