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A la poursuite du chef présumé d’un cartel de drogue couvrant l’Asie

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REUTERS / Jorge Silva - Des policiers thaïlandais perquisitionnent un complexe appartenant à Sue Songkittikul, chef présumé des opérations du syndicat Sam Gor, à Mae Sot, le 13 mai 2019
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 16 octobre 2019, mis à jour le 20 octobre 2019

Le plus grand détachement spécial de lutte contre le crime organisé jamais mis sur pied en Asie pense avoir identifié le pilier présumé d'une organisation criminelle qui dominerait selon la police le trafic de drogue de toute la région de l'Asie-Pacifique, évalué à 70 milliards de dollars par an. 

Il s’agit de Tse Chi Lop, 55 ans, un ressortissant canadien d'origine chinoise. Ancien condamné pour trafic de drogue, il vivait auparavant à Toronto mais a déménagé dans la région ses dernières années pour naviguer entre Macau, Hong Kong et Taiwan, selon des agents de la lutte antidrogue de quatre pays et des documents de police examinés par Reuters. Les autorités n'ont toutefois pas présenté publiquement Tse comme le chef de ce gigantestque cartel de trafiquants de drogue.

L’organisation qu’il est soupçonné de diriger est connue de ses membres sous le nom de “The Company" («La Société»). Les forces de l’ordre la désignent également par «Sam Gor», ou Frère Numéro Trois en cantonais, qui est l’un des surnoms de Tse.

La Police Fédérale Australienne (AFP), qui a pris la tête de l’enquête tentaculaire, a dressé une liste des principaux membres de ce syndicat du crime sur laquelle Tse est présenté comme «le dirigeant principal du syndicat Sam Gor». L'organisation criminelle, selon la liste, a «été connectée avec ou impliquée directement dans au moins 13 affaires de trafic de drogue depuis janvier 2015». La liste, examinée par Reuters, ne donne pas de détails sur les affaires en question.

"Frère Numéro Trois est la cible numéro un"

Un organigramme du cartel sur un document de police taïwanais présente Tse comme le «PDG multinational» du syndicat Sam Gor. Et un signalement de la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine diffusé cette année dans les agences gouvernementales régionales indique que Tse est «soupçonné d’être» le chef de toute l’organisation.

«Frère Numéro Trois est la cible numéro un», a déclaré un officier de l'AFP.

Reuters n'a pas pu contacter Tse Chi Lop. En réponse aux questions de Reuters, l’AFP, la DEA et le bureau d’enquête du ministère taïwanais de la Justice ont déclaré qu’ils ne feraient aucun commentaire sur les enquêtes.

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Vue d’une propriété appartenant à Sue Songkittikul, l’un des chefs présumés du syndicat Sam Gor, à Mae Sot, en Thaïlande, le 13 mai 2019 (Photo REUTERS / Jorge Silva)

Selon des entretiens menés avec des membres de la répression régionale du crime de huit pays et l’examen de documents d’enquête, le syndicat produirait d'énormes quantités de méthamphétamine de haute qualité en Birmanie pour les convoyer vers des pays allant du Japon à la Nouvelle-Zélande. Selon les estimations de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), le cartel gagnerait entre 8 milliards et 17,7 milliards de dollars par an.

"Tse Chi Lop joue dans la ligue El Chapo ou peut-être même Pablo Escobar", estime Jeremy Douglas, représentant de l'UNODC pour l'Asie du Sud-Est et le Pacifique, faisant référence aux narcotrafiquants les plus emblématiques d'Amérique latine. 

Trafic multiplié par quatre

Le syndicat Sam Gor est le principal facteur de la multiplication par quatre du trafic de méthamphétamine dans la région au cours des cinq dernières années, souligne l'ONUDC. L’approvisionnement de cette drogue très addictive a fortement augmenté, entraînant une chute du prix de vente au détail dans de nombreux pays. Dans un rapport publié en juillet, l'agence onusienne déclarait que le commerce de la méthamphétamine avait atteint "des niveaux sans précédent et dangereux" et constituait "un défi direct pour la sécurité publique et la santé de la région".

La liste de l'AFP identifie 19 leaders du cartel, dont quatre sont des ressortissants canadiens. D'autres dirigeants présumés sont originaires de Hong Kong, Macao, de Chine continentale, de Taiwan, de Malaisie, de Birmanie et du Vietnam. Certains sont liés au trafic de drogue depuis plusieurs décennies, d’après la liste des criminels recherchés et selon des enquêteurs de quatre pays qui se sont exprimés sous couvert d'anonymat.

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Des membres de la milice Kaung Kha montent la garde dans leur quartier général près de Loikan, dans l'État de Shan, en Birmanie le 25 janvier 2019 (Photo REUTERS / Stringer)

Tse n'a pas été arrêté. Les agents de lutte antidrogue pensent qu’il se sait depuis longtemps sous surveillance policière. Jusqu'ici, au moins un haut cadre du cartel a été arrêté, selon des enquêteurs et des documents de police.

Tse a une longue expérience du trafic de drogue. À la fin des années 1990, il avait été arrêté puis extradé de Hong Kong vers les États-Unis pour conspiration en vue d'importer de l'héroïne en Amérique. Il avait été jugé à New York et condamné en 2000 à neuf ans de prison.

Opération Kungur

L’enquête, qui concerne une douzaine de pays, a été baptisée Opération Kungur. Les organismes de lutte antidrogue de Chine, de Birmanie, des États-Unis et de Thaïlande font partie des principaux contributeurs aux côtés de l'Australie. Taiwan, bien que n'étant pas un membre officiel, apporte également son aide.

Le cartel comprend au moins cinq triades issues de Hong Kong, Macao, Chine et Taiwan, mais ayant une portée mondiale, selon des officiers de l'AFP. Il s’agit des 14K, Wo Shing Wo, Sun Yee On, du Big Circle Gang et de Bamboo Union.

Pour mettre sa drogue sur le marché, le syndicat Sam Gor travaille en étroite collaboration avec les Yakuza japonais, le crime organisé thaïlandais et des gangs de motards australiens, entre autres groupes criminels, selon des agents régionaux anti-narcotiques et des documents vus par Reuters.

Selon des sources policières régionales, le détachement spécial de lutte antidrogue aurait recueilli des conversations téléphoniques avec Tse faisant état de son trafic de drogue, des registres d'appels téléphoniques le reliant à d'autres membres présumés du syndicat et des images de vidéosurveillance montrant Tse avec des membres du cartel. Reuters a été informé de ces preuves mais ne les a pas vues.

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Un petit laboratoire de méthamphétamine que la police soupçonne d’avoir servi à expérimenter de nouvelles recettes dans un complexe appartenant au chef des opérations du syndicat Sam Gor, Sue Songkittikul, à Mae Sot, le 13 mai 2019 (photo REUTERS / Jorge Silva)

L'UNODC estime que le commerce de la méthamphétamine sur la région Asie-Pacifique pesait à lui seul 61,4 milliards de dollars en 2018, contre 15 milliards il y a cinq ans. Le trafic d'héroïne représentait environ 10,3 milliards de dollars en 2018, toujours selon l’UNODC.

Le syndicat Sam Gor est soupçonné d’être le principal acteur sur les marchés de la méthamphétamine et de l’héroïne, produisant ces drogues ainsi que la kétamine dans des super-laboratoires du nord-est de la Birmanie, où des groupes armés de minorités ethniques contrôlent de vastes territoires. La police ajoute que le syndicat fait également dans le trafic de MDMA, connue sous le nom d'ecstasy, et de cocaïne provenant respectivement d'Europe et d'Amérique latine.

Le gouvernement et la police de Birmanie n'ont pas répondu aux questions de Reuters.

Selon les autorités, les cargaisons de drogues sont convoyées via des bateaux de pêche transformés qui parcourent de grandes distances, cachées dans des conteneurs à bord d'autres navires ou transportées par des véhicules et des porteurs munis de sacs à dos qui empruntent à travers la jungle les chemins partant du pôle de production du cartel, au cœur du fameux Triangle d'Or.

Par Tom Allard pour Reuters (texte traduit de l'anglais)

Lire aussi le reportage intégral de Reuters The Hunt for Asia’s El Chapo

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