Dynamisé par un milliardaire télégénique, composé de jeunes diplômés branchés et propulsé par le vote des millennials, le parti Future Forward (FFP) est devenu une nouvelle force dans la politique thaïlandaise, avec pour mission de restructurer une économie inégale et de contrebalancer l'influence de l'armée.
Au siège de FFP à Bangkok, l'euphorie était à peine dissimulée, les premiers résultats de l'élection de dimanche faisant apparaître 30 sièges à la chambre basse, avec un système de scrutin proportionnel qui récompensera probablement plus de cinq millions de votes.
Si les résultats se concrétisent - et que la menace de problèmes juridiques s'estompe pour Future Forward – Anakot Maï en thaï - il s'agira du troisième parti le plus important de Thaïlande, à peine un an après sa création.
Ce score montre que le vieux clivage politique entre les factions "Rouges" liées au clan Shinawatra -- jusqu'ici très présentes dans les campagnes -- et l'élite conservatrice, les "Jaunes" -- d'habitude plébiscitée par les villes -- est dépassé.
"Pour la première fois depuis le début des années 2000, une troisième voie est possible", relève Thinitan Pongsudhirak, professeur de sciences politiques à l'université Chulalongkorn de Bangkok.
"Le clivage est désormais générationnel entre des jeunes qui veulent plus de démocratie et de liberté et une frange plus âgée attachée aux autorités traditionnelles", renchérit Eugénie Mérieau, spécialiste de politique thaïlandaise et épouse d'un des co-fondateurs du FFP, Piyabutr Saengkanokkul .
Le programme du FFP est radical : réécrire la Constitution pour écarter les militaires de la politique, couper dans le budget de la défense, mettre fin à l’armée de conscription et s'attaquer aux inégalités abyssales de la Thaïlande.
Et sa figure de proue Thanathorn Juangroongruangkit, 40 ans, héritier du géant thaïlandais des pièces automobiles Thai Summit a déclaré qu'il est engagé sur le long terme.
"Le parti n'a pas été formé seulement pour se présenter aux élections", a-t-il déclaré à l'AFP, affirmant que "notre but ultime" est d'aider la Thaïlande à retrouver la démocratie.
"Notre agenda est l'agenda public (...) nous sommes ici parce que nous voulons faire pression pour un vrai changement."
Thanathorn repousse un mug d'eau qui lui a été remis par un jeune assistant, vêtu d'un t-shirt Future Forward et de baskets - sans chaussettes - comme plusieurs autres membres du personnel.
En dépit de son immense richesse, qu’il a placée dans une fiducie aveugle avant les élections, Thanathorn tire son succès d'un mélange de prises de positions brillantes contre la junte et d'une touche habile de simplicité.
Le ton de sa campagne contrastait nettement avec celui de certains rivaux plus fermes, se lançant dans une conversation avec ses fans sur Twitter et dans les rassemblements.
Au siège du parti, on note très vite l’absence de "waïs" -salut thaïlandais codifié selon la hiérarchie sociale ou organisationnelle- de la part du personnel subalterne - et aucune sorte de révérence silencieuse normalement associée aux corridors du pouvoir thaïlandais.
Au lieu de cela, les collaborateurs s’affairent autour des ordinateurs portables en inscrivant les résultats des circonscriptions, les yeux écarquillés devant l’ascension inattendue du parti.
Certains viennent tout juste d'obtenir leur diplôme, reflétant la population encore inexploitée des millennials –ou génération Y.
Beaucoup étaient des primo électeurs, lassés par la ronde des coups d'État de la Thaïlande et ses gouvernements éphémères, et par une scène politique peuplée de généraux vieillissants et de dinosaures de la politique qui refusent de partir.
"La nouvelle division se situe entre ceux qui soutiennent le régime militaire et ceux qui s’opposent au régime militaire", a ajouté Thanathorn.
'Nous serons implacables'
Leur programme politique est plus ambitieux que Puea Thai, qui est en passe de devenir le plus grand parti de la Chambre basse, malgré un déficit de plusieurs millions de voix par rapport aux dernières élections de 2011.
Le Puea Thai est toujours lié à l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra, âgé de 69 ans qui vit en exil, mais opère toujours sur l’échiquier politique depuis l'étranger.
Future Forward a remporté des sièges dans tout le pays, a la faveur notamment de la dissolution du parti Thai Raksa Chart lié au clan Shinawatra, qui leur permet de gagner des sièges à la proportionnelle.
Il a été dissout par la Cour Constitutionnelle quelques semaines seulement avant les élections pour avoir présenté la sœur du roi comme candidate au poste de Premier ministre.
"Les gens ont voté de manière stratégique", estime Napisa Waitoolkiat, politologue à l'université de Naresuan.
Pour le camp pro-démocratie "pourquoi ne pas voter pour quelqu'un de nouveau?", ajoute-t-elle.
La tête de pont fermement établie, Future Forward se dit maintenant prêt à former un gouvernement anti-junte.
Mais Thanathorn, pour l’heure, insiste sur le fait qu'il ne sera pas candidat au poste de Premier ministre.
De même, les responsables du parti se disent prêts à menacer les forces militaires depuis l'opposition, où leur programme progressiste orienté sur la jeunesse risque de mettre à mal l’image des généraux et des bureaucrates du Phalang Pracharat, lié à la junte.
"Le FFP est incontestablement la nouvelle force de la politique thaïlandaise", déclare Chayata Sripanich, étudiante âgée de 20 ans, qui a voté pour le parti.
Cela a donné aux Thaïlandais "une nouvelle perspective sur les choses ... que la politique et les élections doivent se discuter autour des programmes et des agendas plutôt que se centrer sur les politiciens", a-t-elle ajouté.
Mais la politique thaïlandaise est aussi un espace extrèmenent piégeux, en particulier pour les nouveaux arrivants aux grandes idées.
Les chefs du parti, y compris Thanathorn, font déjà l’objet de poursuites judiciaires pour des infractions mineures mais qui pourraient entraîner des interdictions de vie politique pour des individus et le parti tout entier.
En mettant la junte et les grands groupes dans sa ligne de mire, Future Forward est également en passe de se faire de puissants ennemis.
Mais Thanathorn croit fermement que son idée selon laquelle le pays a besoin de réformes structurelles chirurgicales va prendre racines.
Et il ne laisse aucun doute sur le fait qu'ils se jettent dans la fosse aux ours de la politique thaïlandaise en montrant les dents.
"Nous travaillerons sans relâche, continuellement", dit-il.