Les factions pro-démocratie en Thaïlande ont décidé mardi de s'unir et d'empêcher le parti soutenu par la junte de former un gouvernement à l’issue des premières élections depuis le coup d'État de 2014.
La junte se trouve en pole position pour revenir au pouvoir sous la forme d’un gouvernement civil au vu des résultats provisoires du scrutin de dimanche selon lesquels le parti pro-junte, Palang Pracharat, semble avoir remporté le vote populaire (soit la somme des votes de chaque citoyen).
Environ 7,6 millions de voix ont été attribuées au Phalang Pracharat avec 94% des suffrages dépouillés, a annoncé la Commission électorale.
Cela lui permet - ainsi qu'à son candidat au poste de Premier ministre, le chef de la junte, Prayuth Chan-O-Cha - de revendiquer une légitimité à l'issue de ce scrutin organisé selon de nouvelles règles électorales complexes édictées par la junte.
Le Phalang Pracharat compte plus de 400.000 voix d’avance sur le Puea Thai, le parti populiste renversé par le coup d'État de 2014, affilié à l'ancien premier ministre Thaksin Shinawatra auto-exilé depuis 2008 pour échapper à une condamnation qu’il estime politique.
Mais le Puea Thai semble malgré tout en passe de devenir le plus grand parti de la chambre basse, avec 137 sièges attribués par circonscription contre 97 pour le Phalang Pracharat, selon les premiers chiffres.
Il pourrait aussi recevoir un coup de pouce salvateur de la part des autres partis du camp pro-démocratie, bien décidés à créer une alliance.
Future Forward – ou Anakot Maï en thaï qui signifie Nouvel Avenir-, une force politique nouvelle centrée sur les jeunes et qui a recueilli plus de cinq millions de voix, a déclaré dans un communiqué mardi soir qu'elle rejoindrait "une coalition de partis opposés au prolongement" du régime de la junte.
Ces partis doivent se rencontrer mercredi et donneront davantage de détails.
Sous la direction du télégénique Thanathorn Juangroongruangkit, Future Forward a remporté 30 sièges issus des circonscriptions et devrait en récolter davantage lorsque les sièges attribués selon le système de liste -où le vote populaire importera davantage- seront annoncés.
Les experts prédisent des jours -voire des semaines- de négociations difficiles, Puea Thai et Phalang Pracharat revendiquant le droit de former un gouvernement.
Un autre parti, plus petit, le Bhumjaithai, formation rassemblant une clique de milliardaires dont l’allégeance varie au gré des vents politiques, devrait jouer un rôle crucial pour faire basculer une majorité de la chambre basse vers ou contre le parti de la junte.
Bhumjaithai propose Anutin Charnvirakul, 52 ans, au poste de Premier ministre et a promis de relancer les revenus ruraux dans le nord-est en permettant la culture de cannabis à des fins médicales.
Perçu comme l'une des rares figures susceptible de compromis dans un paysage politique tranché par des inimitiés personnelles, il était autrefois un des hauts responsables d’un parti du clan Shinawatra.
Libre et juste?
Disqualifications de candidats et disputes autour des irrégularités électorales vont probablement modifier la répartition des 500 sièges de la chambre basse d’ici le 9 mai, date à laquelle les résultats définitifs doivent être publiés.
Alors que les négociations vont bon train, de nombreuses questions émergent autour des irrégularités électorales, avec des millions de bulletins de vote invalidés, une surveillance douteuse du scrutin et des bévues par les autorités électorales qui pourraient déboucher sur des chiffres initiaux extrêmement faussés.
La Commission électorale a divulgué les résultats de manière confuse et contradictioire invoquant l’"erreur humaine" lorsque les journalistes révèlent que certaines provinces annoncent un nombre de bulletins largement supérieur au taux de participation.
L’observatoire des élections en Asie, ANFREL, a annoncé mardi dans un communiqué que le processus de dépouillement initial était "profondément défectueux", ce qui "porte préjudice à l’intégrité perçue" et à la confiance du public dans les résultats. Plus de 700.000 personnes ont réclamé dans une pétition en ligne la dissolution de cette autorité entièrement nommée par la junte.
"C'est très déroutant et il faut que quelqu'un s'explique", a déclaré Watcharee Chanpeng, un électeur âgé de 41 ans à Bangkok.
Les Etats-Unis ont déclaré mardi qu'ils voyaient des "signes positifs" d'un retour à la démocratie dans le pays, mais ont demandé une enquête transparente sur des possibles irrégularités.
"Le vote ainsi que, nous notons, une solide couverture médiatique du processus et un débat ouvert sur ses mérites sont des signes positifs d'un retour à un gouvernement démocratique qui reflète la volonté de la population", a déclaré à la presse Robert Palladino, porte-parole du département d'Etat.
Mais même avec une coalition contre elle, la junte n'est pas finie.
Outre les autres partis qui n'ont pas encore annoncé leurs intentions, le Phalang Pracharat a l'avantage d'un sénat nommé par l'armée et composé de 250 membres qui a son mot à dire au moment du vote pour le prochain Premier ministre.