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Un artiste thaïlandais offre un curry de la paix au musée Hirshhorn

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ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP - Rirkrit Tiravanija pense que l'on peut vaincre la peur de l'autre par la nourriture et l'art
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec AFP
Publié le 21 mai 2019, mis à jour le 21 mai 2019

En résidence au Hirshhorn Museum de Washington jusqu’au 24 juillet, l'artiste thaïlandais Rirkrit Tiravanija fait le pari de combler les fossés "idéologiques" autour d’un bon curry dans une installation qui a ouvert ses portes vendredi.

Riche ou pauvre, libéral ou conservateur, d'un coin du monde à l'autre, nous nous asseyons tous pour partager un repas.

L'artiste thaïlandais Rirkrit Tiravanija fait le pari que cette expérience commune peut briser des différences artificielles tandis qu'il sert du curry aux visiteurs du musée Hirshhorn de Washington dans une installation qui a ouvert ses portes vendredi.

Le festin fait partie intégrante de l'art. Les visiteurs se remplissent le ventre de caris rouges, jaunes et verts tout en regardant des artistes locaux couvrir les murs blancs de la galerie de dessins photoréalistes représentant des manifestations en Thaïlande et aux États-Unis.

"Il y a des gens qui ne se seraient jamais assis les uns à côté des autres, se découvrant les uns les autres ou se découvrant soi-même sous un jour différent", explique Tiravanija.

Lors d'une présentation à Bangkok en 2010, Tiravanija avait cuisiné lui-même avec des feux à gaz, des marmites de curry et des ingrédients frais - chose impossible dans les très sécuritaires musées américains. Au Hirshhorn, le restaurant du coin, le Beau Thai, prépare les repas.

"Ce n'est pas tous les jours que nous avons des éléments chauffants –perçus tout simplement comme du feu par notre système anti-incendie- et de la nourriture", plaisante la directrice du musée, Melissa Chiu.

Lire aussi l'interview en images de Rirkrit Tiravanija par le Washigton Post: 
Artist Rirkrit Tiravanija is serving free curry at his Hirshhorn installation. We asked him to explain why

Même lorsque les potées quotidiennes de curry sont finies, les parfums épicés persistent, et l'installation incite les gens à se rencontrer, se réunir et discuter dans une joyeuse cacophonie renforcée par le sol en acier de la salle d’une capacité de 150 personnes.

Tiravanija fait partie d’un groupe d’artistes dont Pierre Huyghe, Liam Gillick et Jorge Pardo, qui s’intéressent à «l’esthétique relationnelle», dont les œuvres se définissent par l’interaction et la collaboration qu'elles suscitent.

"C’est une expérience, il s’agit d’un art qui socialise les idées et créé des espaces de discussion ouverts", explique le conservateur du musée Mark Beasley.

- 'Ironie de la couleur' –

Le titre de l'installation, "(qui a peur du rouge, du jaune et du vert)" est un clin d'oeil à l'artiste américain Barnett Newman, "qui a peur du rouge, du jaune et du bleu?" (1966-1970) série provocante de quatre peintures grand format, dont deux ont été vandalisées dans des musées.

L’utilisation par Tiravanija des parenthèses et des minuscules suggère que les questions posées ici sont davantage un "sous-texte".

Les couleurs dans le titre de l’œuvre de Tiravanija représentent l'armée (vert) et les deux principales factions de manifestants anti-gouvernementaux en Thaïlande, à leur apogée en 2010: les progressistes «chemise rouge» et les conservateurs «chemise jaune».

"Pour moi, c'est l'ironie de la notion de couleur", dit Tiravanija. "Je voulais montrer que, qu'il s'agisse de cette couleur-ci ou de cette couleur-là, vous mangez toujours les mêmes caries, vous vivez toujours au même endroit."

Les sociétés sont devenues plus sophistiquées et plus avancées sur le plan technologique, mais, rappelle l’œuvre, il reste une tendance primitive à se détruire les uns les autres.

"Nous devrions vivre dans un monde meilleur maintenant", regrette-t-il. "Ce qui est terrible, c’est qu'il continue de repasser par les mêmes cycles - violence ou peur de l’autre - et que cela devient une habitude. Ce n’est pas seulement absurde, c'est de la manipulation."

Faire tomber les barrières à coup de repas peut sembler utopique, mais les fresques sont là pour rappeler les frictions sociales qui se cachent sous la surface.

Il s'agit notamment de reproductions de photographies prises lors des manifestations politiques thaïlandaises et de leur répression en 2010, du mouvement américain pour les droits civiques, de la Marche des femmes à Washington et du massacre de l'Université de Thammasat en 1976, lorsque les forces gouvernementales thaïlandaise et des groupes paramilitaires ont tué des dizaines d'étudiants.

Les croquis seront dessinés les uns sur les autres pour former une couche épaisse. "Elle deviendra dense au point de s'annuler elle-même. Mais dans ce sens, je voudrais dire: 'n'oubliez pas que c'est toujours là", a déclaré l'artiste.

"Avec nos appareils qui se souviennent de tout pour nous, nous allons perdre notre mémoire beaucoup plus rapidement que nous le pensons."

Cette expérience éphémère, que le Hirshhorn a ajoutée à sa collection et qui se poursuivra jusqu'au 24 juillet, est participative. Les visiteurs de musées sont donc encouragés à s'investir dans la fresque.

Pour compléter l'expérience, six films de cinéastes thaïlandais émergents, sélectionnés par Apichatpong Weerasethakul, réalisateur indépendant et lauréat de la Palme d'or, sont projetés dans une salle avec notamment le long métrage de Tiravanija "Lung Neaw Visits His Neighbors" (2011).

Ce film suit un riziculteur thaïlandais à la retraite qui vit de la terre dans le cadre bucolique de sa province natale de Chiang Mai, au nord du pays, à une époque où la capitale, Bangkok, est en proie à des troubles politiques.

Cela pose la question: dans un tel environnement paradisiaque, que faut-il d'autre?
 

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