Un groupe de rappeurs thaïlandais a touché la corde sensible avec une chanson anti-junte aux paroles enflammées. Leur vidéo fait le buzz sur la Toile, mais la police les a dans le collimateur
Des rappeurs thaïlandais ont créé l’événement avec une chanson dont le clip vidéo devenu viral sur les réseaux sociaux. Les paroles au vitriol dénoncent la junte au pouvoir et pourraient leur valoir d’être poursuivis en justice.
Dans un pays où les rassemblements politiques restent interdits depuis un coup d’Etat militaire en 2014, les artistes sont à la pointe de la critique, même si l’impact politique de leur action s’est révélé pour le moment négligeable.
La chanson "Prathet Ku Mee" (ประเทศกูมี ou Ce qu’a mon pays) a suscité plus de 17 millions de vues en seulement six jours et plus de 70.000 commentaires -retirés depuis par le groupe pour des raisons légales- depuis sa mise en ligne sur YouTube le 22 octobre, ce qui a incité les autorités à prendre acte.
"Les enquêteurs sont en train d'examiner la question et cela prendra quelques jours, car il s’agit d’une question délicate", a déclaré à l'AFP Siriwat Deephor, porte-parole de la Division de la répression du crime technologique.
Il a également déclaré que l’enquête pourrait déterminer si ceux qui partagent la vidéo peuvent aussi être visés.
"Si cette chanson viole la Loi sur la cybercriminalité par le téléchargement de fausses informations, ceux qui la partagent seront poursuivis et condamnés à la même peine que ceux qui l'ont téléchargée", a-t-il déclaré.
Le Crime Computer Act prévoit des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Les groupes de défense des droits de l’homme estime que cette loi est principalement utilisée pour réprimer la critique du régime.
Tourné en noir et blanc, outre une guitare peinte aux couleurs du drapeau thaïlandais, le clip met en scène des rappeurs du collectif Rap Against Dictatorship qui conspuent l’armée et le chef de la junte, le général Prayut Chan-O-Cha, la corruption, la censure et l’absence d’élections, annoncées depuis peu pour février, après moult reports.
"Le pays où tu dois choisir entre ravaler la vérité ou avaler une balle", scande un rappeur, le bas du visage dissimulé par un bandana. "Le pays où les gens ne lisent pas de livres, en particulier le dirigeant", dit un verset, une allusion à peine voilée à Prayut.
S’aventurant sur des aspects historiquement sensibles, on aperçoit un mannequin semblant avoir été lynché et pendu à un arbre, rappelant le massacre de dizaines de manifestants étudiants et autres civils par les forces de sécurité sur le campus de l’université Thammasat à Bangkok en octobre 1976.
Des journalistes et un universitaire ont pris part au débat, l’un d’eux le comparant à la vidéo aux accents tout aussi macabres du rappeur Childish Gambino, "This is America" sur le racisme et la violence sorti en début d’année.
Mais tous ne sont pas fans. "Sortez de ce pays si vous ne l'aimez pas", a écrit un utilisateur de Facebook.
Jacoboi, l’un des fondateurs du collectif Rap Against Dictatorship, a déclaré à l’AFP que ceux qui apparaissent dans la vidéo sont des artistes qui veulent parler de politique.
"Ce sont des choses que nous entendons sur les réseaux sociaux et dans la vie réelle", a-t-il assuré. "Et je n’ai pas peur des autorités parce que je ne vois rien dans cette chanson qui enfreigne la loi".