Un ex-Premier ministre milliardaire joue au poker contre le chef de la junte -qui a des cartes cachées dans ses manches : à quelques semaines des élections thaïlandaises, les critiques satiriques de la politique chaotique du pays émaillent galeries d’art et réseaux sociaux.
Headache Stencil - surnommé le Banksy thaïlandais - a mené la charge artistique contre le pouvoir en place. Sa dernière exposition, "Thailand Casino", qui se tient jusqu'au 31 mars, porte l’estocade à la junte et aux jeux d’influence de son ennemi juré, l'ancien Premier ministre auto-exilé Thaksin Shinawatra.
"Cette élection est importante ... nous parions en tant que nation", a déclaré Headache, dont les piques contre la junte, utilisant les murs de Bangkok comme toile, en ont fait en un héros de la contre-culture.
L'armée a pris le pouvoir en 2014, son 12e coup d'Etat réussi en moins de 90 ans, étouffant l’opposition par toute une série d'arrestations, menaces et lois spéciales.
Mais le couvercle sur la dissidence a été levé en vue des élections.
Mèmes, blogs et tweets acerbes ricochent sur les réseaux sociaux, tandis que des causeries, des expositions - et même des t-shirts - façonnent les conversations, caricaturant les principaux acteurs du drame politique thaïlandais.
"Vous ne savez pas ce qu’il se passera demain. Vous ne savez pas ce qu’il se passera dans les deux prochains mois", a déclaré à l'AFP Headache -qui dissimule son identité- à la WTF Cafe & Gallery, sur Sukhumvit soi 51.
Le chef de la junte, Prayuth Chan-O-Cha, veut se maintenir au pouvoir à la tête d’un gouvernement civil.
Mais son ennemi, Thaksin Shinawatra, se trouve sur son chemin, soutenu par la puissance électorale persistante de ses partis.
L'un d’eux, le Thai Raksa Chart, a été dissout jeudi par la Cour Constitutionnelle pour avoir proposé la candidature de la princesse Ubolratana, une bombe dans le dessein électoral de la junte mais qui a rapidement été neutralisée par le roi Maha Vajiralongkorn.
Dystopie
Headache Stencil représente le jeu de pouvoir sans précédent par un calendrier chinois marquant le 8 février - date à laquelle la candidature de la princesse a été annoncée - positionné derrière la tête en laiton de Thaksin, frappée par un éclair venu d’en-haut.
Il y a aussi dans la galerie une tirelire dorée avec le visage du numéro deux de la junte, et de la monnaie, des jetons de casino, des armes à feu et le mot "fonds militaire" sont inscrits au pochoir sur les murs.
Il s’agit d’une dystopie d’un pays où les dépenses de l’armée sont considérables et ne sont pas surveillées.
Headache, qui cache son visage derrière un masque, explique que sa motivation est de se moquer de "la dictature".
Pourtant, il ne croit pas que la démocratie triomphera dans un royaume où l’armée et ses alliés sont exaspérés par les défis politiques et économiques d’en bas.
L'ancien producteur de télévision se réjouit toutefois de constater l'engagement politique foisonnant sur les médias sociaux et y voit une lueur d'espoir dans un royaume où plus de sept millions de personnes voteront pour la première fois le 24 mars.
"C'est puissant", s’exclame Headache, ajoutant qu'il n'y a qu'un seul moyen de "savoir ce que les gens veulent ... il suffit d’aller aux élections".