Dans le Sud de la Thaïlande en proie à une insurrection, l'armée utilise des détecteurs d'explosifs appelés GT200 qui seraient inefficaces. L'usage de ce matériel a déjà engendré des centaines d'arrestations arbitraires
Mis en cause par un détecteur de bombes défectueux, Hassan faisait partie de ces centaines de détenus du Sud de la Thaïlande. En cause: des équipements déclarés inutilisables par des experts. Le scandale de l'utilisation des détecteurs GT200 par l'armée thaïlandaise a alimenté la ranc?ur déjà existante envers les autorités de la région frontalière à forte majorité musulmane, où près de 5.300 personnes ont laissé leur vie dans un conflit qui ne semble pas perdre en intensité.
"L'antenne s'est pointée sur moi"
Des militants des droits de l'Homme soutiennent que plus de 400 personnes ont été emprisonnées ? jusqu'à deux ans pour certains ? sur le fondement d'une preuve fallacieuse obtenue grâce au GT200, un appareil qui est au c?ur d'une enquête anglaise pour fraude. "Je jouais au football dans mon école quand quelqu'un a tiré sur des soldats juste à côté," explique Hassan qui avait été détenu pendant 29 jours sans aucune accusation pour cet incident survenu en 2008 dans la province de Yala, théâtre de violences quotidiennes. "Les soldats sont entrés dans l'école pour chercher le tireur. Ils nous ont placés en ligne et ont utilisé le GT200. L'antenne s'est pointée sur moi? et ils m'ont emmené" ajoute-t-il, demandant qu'on garde son identité secrète car il craint les représailles pour avoir évoqué sa détention. Décrit par son créateur comme étant capable de détecter la moindre trace d'explosifs, de poudre à canon et même de drogues, le GT200 est l'instrument de détection principal de l'armée. L'appareil portable, qui est censé être alimenté par l'électricité statique de l'utilisateur plutôt que par une batterie, est censé utiliser une "carte sensitive" capable de détecter des substances et ainsi diriger son antenne en vers des explosifs.
Cela fait longtemps que les preuves discréditant les pouvoirs du GT200 ? vendu par la Global Technical basée en Grande-Bretagne ? circulent, et que les experts le décrivent comme rien de plus qu'une radio portable fixée sur un inutile morceau de plastique alors que la société prétend qu'il est capable de détecter des explosifs à des centaines de mètres. En juillet, l'homme qui se trouve derrière le GT200 a été accusé en Grande-Bretagne de "déclarations malhonnêtes". Plusieurs autres hommes d'affaires britanniques sont en instance de jugement pour avoir vendu des équipements du même genre à travers le monde, y compris en Irak. Une enquête ouverte par le gouvernement thaïlandais a estimé que l'appareil fonctionne 25% du temps, un taux de réussite qui n'est finalement rien de plus qu'une question de chance aléatoire. "Tirer à pile ou face serait plus juste, commente Angkhana Neelapaijit, membre de la fondation Justice for Peace qui a dévoilé le scandale. Dans le Sud, les gens savaient que le GT200 était un faux dès la première fois qu'il a été utilisé. Mais les autorités thaïlandaises ont fait la sourde oreille? le gouvernement et l'armée ont maintenant perdu toute leur crédibilité."
L'armée refuse d'admettre son erreur
Une discussion a été ouverte par le plus haut organisme d'enquête de Thaïlande pour décider de l'action légale à lancer contre Global Technical et ses distributeurs thaïlandais. Mais la puissante armée a refusé d'admettre qu'elle a été leurrée par cette acquisition estimée à 20 millions de dollars, et refuse de présenter des excuses auprès de ceux impliqués dans ce qui est une erreur judiciaire flagrante selon les groupes de protection des droits.
Hassan dit qu'il a été menacé et interrogé en détention puis forcé de dénoncer ses amis à partir d'une photographie de classe. Ayub est l'un d'entre eux et dit avoir été arrêté sans aucune preuve, puis gardé emprisonné deux années avant d'être relâché sans aucune condamnation ni excuse. "Je suis très en colère. Ils m'ont volé deux années de ma vie et je crains que cela arrive de nouveau", confie Ayub, demandant lui aussi à protéger son identité. Il dit être désormais stigmatisé pour avoir été accusé de relations avec des militants qui veulent plus d'autonomie et qui auraient tué à la fois des bouddhistes et des musulmans dans des attaques à la bombes ou à l'arme à feu.
L'armée thaïlandaise réfute toute accusation de détentions arbitraires fondées sur cet appareil défectueux. "Nous avons trouvé de véritables preuves ? pistolet, armes, grenades ? et c'est pourquoi nous les avons arrêtés, se défend le Colonel Pramote Promin, porte-parole adjoint du commandement des opérations pour la sécurité interne qui évoque la question générale des détentions. C'est peut être une hallucination mais nous avons trouvé des armes de nombreuses fois. Il se peut que ce soit un hasard ou une coïncidence que l'appareil ait marché", justifie-t-il, ajoutant que cette efficacité pourrait être "quelques chose qui dépasse la science".
Un matériel moins utilisé
Malgré son obstination, l'armée semble avoir arrêté les rafles fondées sur l'appareil, qui étaient courantes entre 2007 et 2010 selon les habitants des provinces de Yala et Pattani. Mais les soldats procèdent toujours à l'inspection des voitures et des bords de route avec l'appareil. Attisant la crainte, cet usage expose les forces de sécurité ? et les civils qu'ils sont supposés protéger ? à de plus grands risques. "Il s'agit d'un grand scandale", explique Jessada Denduangboripant, biologiste à l'université Chulalongkorn de Bangkok, qui a été l'un des premiers experts thaïlandais à douter du dispositif. Il doute que l'enquête menée par le premier organisme d'investigation de Thaïlande ose porter la faute sur les "personnes puissantes" qui ont participé à l'acquisition du détecteur. Mais tant que les autorités refusent d'admettre leur faute, les victimes continueront d'être délaissées par la justice, explique Kaosar Aleemama, avocate du centre musulman, qui représente Hassan et Ayub. "Ces personnes n'ont jamais entendu un ?je suis désolé' pour avoir volé leur liberté, ajoute-t-elle. Il s'agit ici d'une question de dignité humaine."