Face à la pandémie liée au Covid-19, les autorités ont mis à l’arrêt plusieurs secteurs d’activités. Au-delà de la crise sanitaire dont le bilan reste encore modeste dans le royaume, c’est l’ensemble de l’économie qui souffre et pourrait en laisser certains sur le carreau.
Depuis plusieurs semaines, de nombreux secteurs d’activités économiques sont à l’arrêt ou en fort ralentissement en raison des mesures prises pour endiguer ce qui est présenté par l’OMS comme une crise sanitaire majeure. Si la Thaïlande est un pays relativement habitué aux crises, qu’elles soient économiques, politiques ou environnementales, les effets liés à cette épidémie du coronavirus sont exceptionnels par ses aspects globaux et sur l’absence de maîtrise en termes de durée et de localisation.
“Je ne crois pas qu’il y ait un microcosme qui soit épargné, c’est une crise si globale. Qu’il s’agisse d’une personne dans le tourisme en Thaïlande, une autre en Floride, ou en Belgique, toutes souffrent de la même manière, nous sommes tous dans le même bateau”, confie Thomas Sanchez, président de la chambre de commerce Franco-Thai (FTCC).
Depuis le 25 mars, les bureaux de la FTCC sont fermés et le personnel travaille à distance comme de nombreuses autres entreprises pour continuer à fournir à ses 300 membres des informations de qualité tout en apportant un support. La Chambre a effet mis en place des “webinaires’, des tables rondes en lignes où les membres peuvent échanger, mais aussi avoir l’avis d’experts sur les questions qu’ils peuvent se poser.
Lepetitjournal.com a rencontré virtuellement le président de la FTCC ainsi que sa directrice, Sukanya Uerchuchai, pour en savoir davantage sur les aides aux entreprises du gouvernement thaïlandais, les perspectives sur la sortie de la crise et sur la solidarité qui se créé au sein de la communauté d’affaires en Thaïlande.
Quel est l’état d’esprit au sein des membres de la FTCC ?
Thomas Sanchez : Au début, il y a eu une petite phase de déni, de scepticisme en se disant que cela n’allait pas être si grave. Quand la situation s’est empirée pour tout le monde, il y a une solidarité qui s’est mise en place, associée à un sentiment de résilience. Des groupes se sont formés instinctivement au sein desquels les gens se partagent des informations, sans forcément chercher à protéger son secteur par rapport aux autres. Normalement, les Français sont connus pour ne pas toujours partager des informations, ici nous sommes tous sur le même bateau et il faut que nous partagions parce que la survie du groupe est remise en question. C’est assez unique et c’est ce qu’il faudra retenir de cette crise, la solidarité entre les gens.
Sukanya Uerchuchai : Pour renforcer cette solidarité, à la Chambre, nous avons différents comités (aéronautique, luxe, Food and Beverage, tourisme…). Nous les avons réactivés, via les outils en ligne, pour encourager les échanges entre les membres d’un même secteur. Nous avons aussi mis en place depuis le 2 avril des “webinaires”, des tables rondes où tout le monde peut parler et où des experts sont invités pour répondre aux questions des membres.
Quelles sont les questions les plus fréquentes ?
Sukanya Uerchuchai: Au départ, les questions concernaient surtout le traitement des employés. Les patrons voulaient savoir ce que les autres faisaient, mais aussi par rapport à la loi thaïlandaise, le Labour Act, pour savoir s’ils pouvaient mettre les gens en congés non payés, quelles étaient les mesures possibles à court et moyen terme. Nous avons beaucoup de questions sur les aides du gouvernement pour les entreprises et les entrepreneurs. Ensuite, ils veulent savoir quelles sont les “Best Practices” : comment réagissent les autres entreprises, ce qu’elles mettent en place, etc.
Thomas Sanchez: Les membres veulent avoir la confirmation des informations qu’ils lisent dans les journaux ou entendent à la télévision. Ensuite, ils veulent avoir l’avis d’un expert sur l’implémentation des mesures officielles et enfin, le partage d’expériences via les “Best Practices”. Et puis, il y a des questions plus spécifiques qui varient selon les secteurs d’activités. Parfois nous pouvons y répondre, parfois non, nous renvoyons alors vers certains de nos experts : avocats, experts en logistique, importateurs, etc.
Le gouvernement a approuvé des budgets pour soutenir les entreprises, est-ce que tout le monde peut y avoir droit ?
Thomas : Il n’y a pas d’exclusion. Il y a des périmètres définis par le gouvernement, que ce soit en termes de chiffre d’affaires, du nombre d’employés, du secteur, etc. Donc à partir du moment où vous êtes dans ce périmètre, vous avez droit aux aides. Quand le gouvernement thaïlandais parle d’employés, il ne précise pas s’il s’agit d’un employé thaïlandais ou étranger avec un permis de travail.
Là où cela devient plus difficile, c’est au niveau du mode opératoire pour avoir accès à ces aides surtout à cause des documents qui sont en thaïlandais ou traduits en anglais. Notre travail à la Chambre consiste à proposer des traductions en anglais et en français ainsi que de pouvoir expliquer le jargon administratif.
Avez-vous le sentiment que les banques jouent le jeu et accordent des prêts aux entreprises ?
Thomas : Nous avons plusieurs retours de la part de nos membres. Nous avons des membres ayant un bon historique avec leur banque, et dans leur cas ce sont même les banques qui les ont contactés pour voir s’ils avaient besoin d’un crédit supplémentaire. Ensuite, il y a des membres qui ont moins d’historiques avec leur banque et pour lesquels ces dernières sont plus frileuses.
Si vous êtes dans le secteur du tourisme et que votre société à moins d’un an, il est difficile d’avoir des rallonges bancaires, car c’est un secteur très touché. Nous n’avons pas encore eu de cas auprès de nos membres, mais cela ne saurait tarder, il y a des gens qui seront en difficultés.
Comptez-vous déjà des faillites parmi les membres ?
Thomas : Non, nous avons eu des suspensions d’activités avec des business qui tournent au ralenti ou qui sont à l’arrêt. Ceci dit, la crise est jeune. La plupart peuvent tenir quelques semaines ou quelques mois avec moins de revenus avant de faire faillite et ce n’est pas parce que nous n’avons pas de faillite aujourd’hui qu’il n’y en aura pas. J’espère qu’il n’y en aura pas.
Quels sont les secteurs d’activités qui s’en sortent le mieux ?
Thomas : Tout ce qui est services de livraison, alimentaire et plateformes de shopping en ligne, cela marche plutôt bien. Par contre, l’aviation, le tourisme, l'hôtellerie, restauration souffrent énormément, ce sera une année noire. Lors du tsunami, le rebond avait été rapide, l’inconnue dans cette crise, c’est la durée.
Sukanya : Les secteurs les plus inquiétants sont l’aviation et le tourisme qui sont fortement affectés et où les solutions de changements sont moindres.
Quand et comment voyez-vous la sortie de la crise ?
Thomas : Nous avons fait un sondage auprès de nos membres et il y a plusieurs scenarii qui ressortent. Les optimistes parlent du mois de juin, les pessimistes de l’année prochaine. Je crois qu’une sortie de crise pour le mois de juin, plus personne n’y croit, ce sera plutôt vers le mois d’août, septembre ou octobre. Définitivement au deuxième semestre.
La Thaïlande est un pays habitué aux secousses politiques ou aux catastrophes naturelles, il y a une vraie capacité de rebondir, une vraie résilience et nous espérons que la Thaïlande fera encore une fois preuve de ces qualités.
Il y aura des opportunités pendant le rebond, mais il y aura aussi des entreprises qui ne survivront pas, qui seront laissées de côté. Des changements stratégiques seront faits, sur la manière de travailler, sur la transition digitale, mais aussi dans leur business model.
Quelles sont les opportunités ?
Thomas : Il y a des personnes qui vont chercher à acquérir des entreprises, à faire des rachats, à trouver des investisseurs, etc. Et puis, il y a ceux qui verront l’opportunité dans l’introspection, qui se disent : “la crise nous a touchés, comment faire pour éviter de se retrouver dans la même situation dans une prochaine crise, comment éviter de souffrir de nouveau l’année prochaine, dans deux ans ou dans dix ans”. L’opportunité, c’est d’apprendre, d’en ressortir plus averti, mieux préparer pour la prochaine.
Sukanya : Je pense que dans toutes les crises il y a des opportunités. Actuellement, nous sommes sur une période où l’on revient sur soi-même, où l’on peut faire le bilan, adapter son activité, ses produits ou ses services. Depuis deux ans, nous parlons beaucoup du digital. Ici, les comportements des consommateurs changent et va encore beaucoup changer, donc il faut suivre la tendance. Nous allons prochainement organiser des “webinaires” sur le marketing en ligne et sur la planification de la sortie de la crise.
Quels sont les défis de la FTCC dans ce contexte ?
Thomas : Il y a deux sortes de défis. Le premier est opérationnel puisque toute l’équipe est en télétravail et nous ne pouvons plus organiser d’événements. Le deuxième est sur la nature des services, nous sommes passés d’un rôle de “matchmaking”, d’entremetteur ou de mise en relation à un rôle de fournisseur d’informations de qualité.
Sukanya : Nos ressources viennent principalement des cotisations de nos membres et quand ils sont touchés par la crise, c’est souvent le budget qui est coupé. Même chose avec nos sponsors. Nous avons aussi un service “centre d’affaires”, qui est une sorte de bureau d’accueil pour les entreprises françaises qui viennent d’arriver en Thaïlande, aujourd’hui, nous ne savons pas encore s’il y a des locataires qui vont annuler leur contrat ou pas, cela aura un impact sur la trésorerie de la FTCC.
Sinon, comme tout le monde, nous devrions peut-être changer ou adapter notre business model pour pouvoir survivre.
Avez-vous un message à faire passer ?
Thomas : Le motto de la FTCC depuis le début de la crise, c’est de dire qu’ensemble on est plus fort, d’où l’importance de communiquer, d’échanger, de partager des bonnes expériences, des contacts, des informations.
Le message plus général : rester positif, au bout du tunnel il y a toujours de la lumière. C’est important de se concentrer sur le positif, c’est ce qui donne envie d’avancer.
Sukanya : Il faut rester solidaire et la Chambre va continuer à répondre aux questions et à aiguiller vers les experts. Nous avons un réseau solide et nous pouvons couvrir tous les domaines. Nous pouvons également compter sur nos partenaires que sont les différentes chambres de commerce en Thaïlande, les chambres de commerce françaises dans la région Asie, Business France, l’ambassade de France et les agences gouvernementales thaïlandaises comme le Board of Investments qui peuvent nous aider à faire remonter des problèmes auprès des autorités.