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Signes de dissidence au sein des forces de l’Etat thaïlandais

Les fonctionnaires, policiers et militaires thailandais expriment leurs desaccords sur les reseaux sociauxLes fonctionnaires, policiers et militaires thailandais expriment leurs desaccords sur les reseaux sociaux
REUTERS/Jorge Silva

A travers les réseaux sociaux transpire un certain mécontentement chez des soldats, policiers et fonctionnaires thaïlandais qui n’apprécient pas de voir leur fonction instrumentalisée par le pouvoir

En juillet, alors que des milliers de Thaïlandais exigeaient la démission du gouvernement lors de l'une des plus grandes manifestations de rue depuis le coup d'État militaire de 2014, le sergent Ekkachai Wangkaphan s'est rangé du côté des manifestants.

"A bas la dictature", a écrit le militaire dans un commentaire sur Facebook portant le lien d’un reportage sur un activiste emprisonné, une semaine avant le redémarrage des manifestations. Le jour du premier rassemblement, le 18 juillet, il a partagé un flux vidéo live et des photos avec le mot-dièse du groupe contestataire Free Youth. Quelques semaines plus tard, il partageait une photo d'un manifestant portant une pancarte disant "le pays dans lequel vous dites la vérité et vous allez en prison".

Ses supérieurs de l'armée thaïlandaise lui ont intimé d'arrêter. Mais il avait déjà décidé qu’il quitterait l'armée en octobre.

"Lorsque les manifestations ont pris de l’ampleur, les ordres interdisant les publications sur les réseaux sociaux se sont faits plus fréquentes", se souvient Ekkachai, 33 ans dans une interview accordée à Reuters. "Ils veulent l'étouffer dans l'œuf, mais ils ne le peuvent pas."

A travers les réseaux sociaux transpire le mécontentement d’un certain nombre de soldats, policiers et fonctionnaires après plusieurs mois de manifestations contre le Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha et la monarchie du roi Maha Vajiralongkorn. 

Reuters, qui a examiné plusieurs dizaines de posts et de messages sur les réseaux sociaux et des groupes de discussion utilisés par les militaires et la police, a constaté que beaucoup exprimaient de la sympathie pour les manifestants et de la colère ou du malaise face à la manière dont ceux qui s'opposent au gouvernement sont traités. Quelques-uns évoquent leur fidélité aux institutions thaïlandaises.

L’activité des réseaux sociaux seule ne permet évidemment pas de déterminer le niveau de désaffection, mais les messages ont attiré l'attention des autorités.

"Si vous publiez des choses porteuses de malentendus et de provocation qui génèrent de l’instabilité, cela est inapproprié", estime la colonel Sirijan Ngathong, porte-parole adjoint de l’armée, précisant que les cadres de l’armée surveillent l’activité des soldats sur les réseaux sociaux pour éviter toute violation des règles militaires.

Politiquement correct

Certains messages ont été postés sur l'application de partage de vidéos TikTok, notamment une vidéo, supprimée depuis, montrant un soldat faisant le salut à trois doigts symbole de résistance des manifestants anti-gouvernementaux thaïlandais. "Continuez la lutte, frères et sœurs thaïlandais", disait la légende.

L'auteur de la vidéo a déclaré à Reuters sous couvert de l’anonymat qu'il était un soldat d'active en service.

Certaines unités de l'armée ont intensifié les mesures de supression. Un message, examiné par Reuters publié par un coordinateur dans un groupe de discussion privé utilisé par des officiers d'un régiment d'artillerie, interdisait aux soldats de se joindre aux manifestations ou d’exprimer des opinions politiques sur les réseaux sociaux.

"Lorsqu’ils remarquent des commentaires d'ordre politique qui ne sont pas appropriés, les commandants sont invités à les prendre en considération et à les rectifier en conséquence puis à expliquer correctement la situation politique aux troupes", indique le message. L'armée n'a pas répondu à une demande de réaction sur ce message.

Bien entendu, se pose la question de savoir si un tel mécontentement peut affecter les manifestations ou la façon dont le gouvernement.

"Bien qu'il y ait une certaine désaffection au sein des forces armées, les complaintes ne sont pas suffisamment importantes pour constituer une faction significative", souligne Paul Chambers, un expert politique à l'Université de Naresuan dans le nord de la Thaïlande.

Le porte-parole du gouvernement, Anucha Burapachaisri, n’a pas souhaité commenter sur le phénomène, observé également chez les fonctionnaires, affirmant seulement que le pays devrait se concentrer sur le dialogue entre ceux qui ont des points de vue différents.

La contestation grandit

Des dizaines de milliers de personnes manifestent dans les rues de Thaïlande depuis juillet, appelant à une nouvelle Constitution et à la destitution de Prayuth Chan-O-Cha, le meneur du coup d'État militaire de 2014. Les protestataires ont ajouté en août des demandes de reformes de la monarchie pour limiter les pouvoirs du roi, brisant ainsi un vieux tabou sur les critiques à l'encontre de la royauté malgré la loi de lèse-majesté qui prévoit des peines de prison sévères.

L'armée joue un rôle central dans la vie politique thaïlandaise. Depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, le royaume a été dirigé par des officiers en service ou d'anciens officiers pendant plus des deux tiers du temps. L'armée thaïlandaise a pris le pouvoir treize fois depuis lors et a été impliquée à plusieurs occasions dans des répressions sanglantes contre des manifestants, notamment en 1973, 1976, 1992 et 2010.

Même si plusieurs coups d'État ont bénéficié du large soutien des forces militaires, des formes d'opposition sont apparues au sein l'armée par le passé. Au cours de la répression sanglante de 2010 contre les "chemise rouge" à Bangkok, des soldats en uniforme ont ouvertement sympathisé avec les manifestants, informant les leaders antigouvernementaux des opérations militaires en préparation. Ils ont été surnommés "pastèques" - verts à l'extérieur et rouges à l'intérieur.

Cette année-là, le général Khattiya Sawasdipol - connu sous le nom de "Seh Daeng" ou "commandant rouge" - avait été assassiné en plein jour devant les journalistes sur le camp des manifestants, faisant savoir à tous qu’une attitude déloyale envers l'armée thaïlandaise n’est jamais sans risque.

"Les forces de sécurité, en particulier celles qui doivent affronter les manifestants, se trouvent dans une position stressante", explique Kiranee Tammapiban-udom du cabinet conseil en affaires gouvernementales Maverick Consulting Group. Ils doivent suivre les ordres mais sont en même temps qualifiés de "serviteurs de la tyrannie" par les manifestants, dit-elle.

Un autre soldat, qui a lui aussi posté sur les réseaux sociaux, souligne qu'il cherche davantage à désamorcer la tension plutôt qu'à l'aggraver. "Il est peut-être temps pour la génération des plus âgés d'écouter les jeunes", dit-il. "Demander à Prayuth de démissionner et de modifier la Constitution ne revient pas à abolir la monarchie."

Code vestimentaire : jaune

Certains policiers et fonctionnaires thaïlandais remettent eux aussi en question le rôle que le pouvoir leur fait jouer sur l'échiquier politique. Beaucoup ont reçu l'ordre de se joindre aux rassemblements de soutien et d’allégeance envers la couronne, notamment lorsqu’il s’agit de gonfler la foule de fidèles le long du parcours du cortège royal, tous vêtus de jaune, la couleur du roi.

Le porte-parole de la police de Bangkok, le colonel de police Kissana Phathanacharoen, a déclaré à Reuters que de ce genre d’activités relevait du devoir de la police tout en soulignant que le maintien de l’ordre public était affaire de neutralité politique.

"Est-ce le travail de la police?" a interrogé un policier dans un groupe de discussion interne, lorsqu’un supérieur a demandé aux membres du groupe de se joindre à un événement royal. L'officier supérieur lui a répondu qu'il ne faisait que transmettre les ordres et que les questions devaient être adressées à des niveaux plus élevés.

Un document examiné par Reuters, envoyé par la police de Bangkok au Bureau de la Stratégie de la police, un organisme national, demandait "250 femmes policiers et 1.950 hommes le long du parcours du cortège royal" pour des funérailles le 29 octobre à Bangkok.

"Code vestimentaire: chemise jaune à col jaune. Pantalon long noir, chaussures noires." Le colonel Kissana Phathanacharoen a réaffirmé que cela relevait de la fonction de la police.

"En définitive, nous sommes déguisés en civils", a déclaré à Reuters une policière d'une vingtaine d'années de la police royale thaïlandaise, sous couvert de l’anonymat. "On nous dit de porter du jaune et de crier ‘Vive le roi’." 

Les manifestants estiment que les policiers sont faciles à repérer dans ces rassemblements en raison de leurs coupes de cheveux courtes.

Une fonctionnaire de 23 ans s'est plainte d'avoir reçu l'ordre d'assister à un séminaire pour louer les œuvres de la dynastie Chakri, dont Vajiralongkorn est le 10e roi.

"Je ne peux pas faire grand-chose, alors je fais un don aux manifestants", a-t-elle déclaré à Reuters.

Publié le 8 décembre 2020, mis à jour le 8 décembre 2020

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