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Les tribus montagnardes du Laos peinent à sortir de l’opium

opium au Laosopium au Laos
AFP / Aidan JONES - Vo Pali, un membre de l'ethnie Hmong au Laos, prend une bouffée d'opium dans son village de la province de Houaphan, dans le nord du Laos, le 27 juin 2018
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec AFP
Publié le 21 septembre 2018, mis à jour le 21 septembre 2018

Allongé dans une hutte au sommet d'une montagne du Laos cernée par la brume, Vo Pali plane. Sa drogue, c'est l'opium, fait à partir des champs de pavots cultivés sur des hauteurs inaccessibles par les tribus montagnardes du Laos.

"Je fume trois fois par jour", explique dans un grommellement ce paysan de l'ethnie Hmong, dans ce petit pays d'Asie du Sud-Est enclavé entre Birmanie, Thaïlande et Chine, au milieu du Triangle d'Or. "Cela a ruiné ma vie", explique celui qui vivote et fume de l'opium depuis ses 30 ans. 

La conversation s'interrompt au moment où il s’apprête à prendre sa première dose de la journée. Vo Pali brûle une boule de résine d'opium noire, grosse comme le pouce, au-dessus d'une bougie, puis la place dans sa pipe en bambou. Il en prend cinq profondes bouffées, et le voilà parti.

L'ethnie montagnarde des Hmong fait pousser de l'opium à usage médicinal et récréatif depuis des générations. Mais au Laos, dirigé par un régime communiste à parti unique depuis des décennies, aucune étude globale sur l’addiction n’a jamais été menée et pratiquement aucune infrastructure de réhabilitation n'existe, contrairement à des pays voisins plus développés comme la Thaïlande.

Coincé entre cinq pays, le Laos joue depuis des décennies un rôle de premier plan dans le trafic de drogue du "Triangle d'or". Dans les années 1960 et 1970, le Laos a commencé à exporter massivement son opium, pour alimenter notamment les Etats-Unis, où la consommation d'héroïne (faite à base d'opium) explosait. Un moyen comme un autre de nuire à l'ennemi capitaliste. 

Depuis un décret de 2006, la culture de l'opium est officiellement interdite au Laos. Ce qui n'empêche pas les tribus montagnardes de continuer à cultiver du pavot et à produire de l'opium, pour leur usage personnel mais aussi pour l'exportation. Certains Hmong sont devenus trafiquants de drogue, liés à la criminalité organisée internationale.

Mais nombre des membres de ces tribus ne profitent pas des dividendes centralisés par quelques-uns. "Les habitants de ces régions reculées sont très pauvres", explique à l'AFP Onphiuw Khongviengthong, responsable de l'Autorité anti-drogue laotienne (LCDC), lors d'une rare interview à un média étranger, dans ce pays au régime cultivant le secret. "Ils ne sont pas très éduqués, ne connaissent pas la loi, alors il est facile de les tromper et de les utiliser à des fins de trafic" pour les intermédiaires, explique-t-il.

Alternative a la culture de l'opium
Des enfants de tribus montagnardes dans une plantation de café de la province de Houaphan, dans le nord du Laos, le 27 juin 2018 (Photo AFP / Aidan JONES)

- De l'opium à l'arabica -

En 2015, quelque 5.700 hectares du Laos étaient consacrés à des plantations de pavot –soit plus du triple de la surface de 2007-, selon les estimations de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

Plusieurs saisies d'opium et d'héroïne cette année au Vietnam, transportés par des Hmongs du Laos, ont mis en lumière le phénomène. "Ces paysans viennent d'une des régions les plus pauvres du pays, ils n'ont comme alternative que des cultures à faible valeur ajoutée et un accès très limité aux marchés et aux nouvelles technologies" agricoles, explique Erlend Falch, représentant de l'ONUDC au Laos. "Ils n'ont pas vraiment de voie de sortie de la pauvreté", reconnaît-il.

L'agence de l'ONU tente néanmoins de changer la donne avec un programme de culture de café dans dix villages de la province de Houaphan, à la frontière avec le Vietnam, connue pour leur tradition de culture de l'opium. Le sol fertile des hauteurs et le climat frais qui permettent à l’opium de se développer sont aussi propices à la culture du café.

Le but est de produire de l'arabica de haute qualité, donc à forte valeur ajoutée, destiné aux marchés des pays riches, du Japon à l'Europe. "Avant, nous n'avions pas d'alternatives à la culture d'opium", explique Mer Su Vua, un paysan Hmong participant au programme, au milieu de plants de cafés. "Mais nous ne pouvions espérer en tirer qu’une petite somme d’argent chaque année… nous avons donc dû passer au café," ajoute le cultivateur qui, comme d'autres villageois, fera à la fin de l'année sa toute première récolte de café.

Les revenus devraient augmenter chaque année dès lors que les paysans cultivent, transforment et vendent leurs récoltes sur le marché, passant outre les intermédiaires qui contrôlaient jusqu’ici les prix de leurs produits.

L'ONUDC essaye de mettre en place un système de distribution pérenne et "une vraie coopérative commerciale, détenue par les paysans", explique Erlend Falch.

- Bolides et gros sous -

En parallèle, le Laos est confronté, comme tous ses voisins du Triangle d'Or, au phénomène grandissant des laboratoires clandestins fabriquant des méthamphétamines. Des frontières ingouvernables avec la Birmanie, la Thaïlande, le Vietnam, la Chine et le Cambodge font du Laos un terrain ouvert pour les barons de la drogue de Birmanie qui inondent le sud-est asiatique de quantités record de "yaba" et de "ice" via ses frontières poreuses. 

Sur les innombrables points d’entrée au Laos, seuls deux sont dotés de scanners à rayon X. Et les groupes de trafiquants sont bien mieux équipés que la police antidrogue, explique Onphiuw Khongviengthong du LCDC. "Ils utilisent des véhicules rapides et modernes, et des communications dont notre police ne dispose pas," dit-il.

Le Laos travaille avec ses voisins à renforcer la coopération transfrontalière pour combattre les cartels de drogue, et cela commence à porter ses fruits. L'arrestation du parrain de la drogue laotien Xaysana Keophimpa, emprisonné à vie en Thaïlande, a marqué un revers pour les trafiquants. 

Mais les plus "gros poissons" sont intouchables. En janvier, le Département du Trésor américain a inscrit sur sa liste noire du crime organisé le malfamé casino Kings Roman, appartenant au Chinois Zhao Wei, situé dans une zone économique spéciale, de facto enclave chinoise au Laos, le qualifiant de plaque tournante du trafic d’êtres humains, de drogues et d’animaux protégés. Zhao Wei est quasiment intouchable dans cette ZES -située sur la partie laotienne du triangle d’or- sur laquelle il déploie son propre dispositif de sécurité et dont le bail de 99 ans interdit aux autorités laotiennes d’intervenir. 

A le voir blotti un peu comme un enfant dans sa hutte tandis que l’opium fait son effet, on ne croirait pas que Vo Pali est le maillon d’une chaine criminelle internationale. Mais le cercle infernal de l’addiction maintient les cultivateurs dans la filière. "Mon plus grand regret est que mon fils est maintenant lui aussi accro," dit-il dans un moment de lucidité, avant de se laisser de nouveau partir en tenant tendrement sa pipe.
 

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