Des Thaïlandais ont rendu hommage mardi aux victimes du massacre en 1976 de plusieurs dizaines d’étudiants pro-démocratie par les forces gouvernementales appuyées par des milices ultra-royalistes. Un événement auquel le contexte actuel de l’émergence du mouvement protestataire étudiant confère une résonnance toute particulière.
Tandis que les gens déposaient des couronnes de fleurs au monument de l'Université Thammasat, Wichian Visutanakon, un manifestant de l’époque âgé aujourd’hui de 64 ans se remémorait le carnage. "Le pire, c'est que les personnes qui ont commis ces crimes en sont toujours fières et ne regrettent pas leurs actions", a-t-il déclaré.
Le 6 octobre 1976, les forces de l'ordre thaïlandaises ont attaqué quelque 2.000 manifestants étudiants sur le campus, les accusant d'être des sympathisants communistes et de chercher à renverser la monarchie. Plusieurs dizaines ont perdu la vie – tués par balle, pendus ou battus à mort.
Ces événements n'ont jamais fait l'objet d'une enquête officielle et sont souvent occultés dans les cours d'histoire.
Les commémorations cette année ont attiré davantage de sympathisants, plus jeunes, que ces dernières années. Il faut dire que le contexte de ces derniers mois se rapproche de celui de 1976. Voilà près de trois mois que plusieurs milliers d’étudiants, appuyés par un mouvement lycéen, manifestent dans les rues -et en ligne- contre une Constitution et un gouvernement qu’ils perçoivent comme une dictature prolongée, certains allant jusqu’à demander des réformes pour brider le pouvoir de la monarchie, ce qui enrage les royalistes.
Thantara Sriserm, une étudiante de 23 ans, ne cache pas sa crainte de voir les manifestations réprimées dans la violence comme en 1976. Mais elle estime cependant que "cela est moins probable car de nos jours nous avons des smartphones qui nous permettent de filmer et partager des choses rapidement".
L’establishment au pouvoir, formé d’élites gravitant autour de l’armée et du palais et ancré solidement sur la bureaucratie, a été débarrassé ces derniers mois, par le truchement de la justice, de deux partis d’opposition gênants dont le parti Anakot Mai qui rassemblait une majorité de jeunes votants. Mais la dissolution de ce dernier en février dernier a déclenché la colère d’une grande partie de la jeunesse thaïlandaise, et le pouvoir se retrouve aujourd’hui face à un mouvement anti-gouvernemental étudiant très courageux et déterminé.
Jusqu’ici, les manifestations ont été pacifiques. La prochaine grande manifestation est prévue pour le 14 octobre qui marquera le 47e anniversaire du soulèvement étudiant de 1973.
Les manifestants demandent la destitution du Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha, dictateur militaire de 2014 à 2019 reconduit à la tête du gouvernement l’an dernier à la faveur d’élections controversées mais que lui considère justes.
Le mois dernier, des dizaines de milliers de manifestants rassemblés à l'extérieur de l'Université Thammasat avaient acclamé un appel à des réformes destinées à réduire les pouvoirs de la monarchie, brisant ainsi un vieux tabou selon lequel les Thaïlandais s’interdisaient d’évoquer la monarchie en public et encore plus d’en questionner le statut.
Le porte-parole du gouvernement, Anucha Burapachaisri, a indiqué que les cérémonies commémoratives du 6 octobre ayant lieu chaque année, le gouvernement n'avait aucune objection à ce que l'événement se déroule cette année aussi.
Utilisé plus de 410.000 fois, le mot-dièse #6octobre en thaï figurait parmi les plus tendances sur Twitter en Thaïlande, mardi.
Une exposition retraçant le massacre de 1976 a été inaugurée lundi dans les locaux de l'université.
"J'espère que l'incitation à la haine au nom de l'amour pour la nation, la religion et la monarchie, comme on l'a vu lors des événements du 6 octobre, ne se reproduira plus", a déclaré le député de l'opposition Rangsiman Rome, lui-même ancien militant étudiant.
La Thaïlande est devenue une monarchie constitutionnelle lorsque la monarchie absolue a pris fin en 1932. L'armée thaïlandaise s'est emparée du pouvoir 13 fois depuis lors et a mené à plusieurs reprises des mesures de répression sanglantes contre les manifestants.