La grande marque de café thaïlandaise Doi Chaang a promis de rembourser 7 millions de bahts à environ 200 petits cultivateurs forcés de s’endetter en attendant leur dû depuis près de trois ans.
Doi Chaang Coffee - qui compte plus de 50 franchises en Asie du Sud-Est - a déclaré qu'elle paierait environ 7 millions de bahts (236.000 €) après que la Fondation Thomson Reuters a révélé les nombreux impayés ainsi que la spirale d’endettement dans laquelle ont été poussés les sous-traitant de la marque thaïlandaise.
Fondée en 2003 avec pour principe de rémunérer justement les cultivateurs, Doi Chaang se présente comme une entreprise responsable, capable de réaliser des bénéfices tout en tenant compte des questions environnementales et sociales.
"D'ici juin, nous devrions être en mesure de rembourser tout l'argent que nous devons aux producteurs de café", a assuré Panachai Pisailert, directeur général de Doi Chaang Coffee Original Co.
"Ces deux ou trois dernières années, l'économie a été mauvaise, ce qui a affecté les ventes de café de Doi Chaang", a-t-il précisé, affirmant que la société avait pour habitude de payer ses fournisseurs sous quatre jours.
20 cultivateurs de trois villages de la province de Chiang Rai, dans le nord de la Thaïlande, ont confié à la Fondation Thomson Reuters que Doi Chaang leur devait depuis 2017 des sommes allant de 2.000 à 230.000 bahts.
Certains se sont dits inquiets de ne pas pouvoir rembourser les emprunts qu’ils ont effectués, que ce soit auprès des usuriers avec des taux d'intérêt élevés, auprès des banques publiques ou encore via le fonds de leur village.
L’un d’entre eux, qui affirme que Doi Chaang lui doit 50.000 bahts, explique avoir été amené à contracter des emprunts auprès d'une banque de développement rural et d'une coopérative de village pour payer les engrais et les pesticides nécessaires à l’entretien de ses récoltes. Il dit devoir maintenant environ 300.000 bahts au total.
"Je vais probablement me retrouver dans un cycle interminable de dette envers la banque", dit-il sous couvert de l'anonymat par crainte de représailles.
Craintes pour l’avenir
Les experts en droits du travail estiment qu’un tel endettement expose ces petits paysans à la forme d'esclavage moderne la plus courante au monde, la servitude pour dettes, lorsque les gens se retrouvent emprisonnés dans une spirale d'exploitation inextricable pour rembourser leurs dettes.
"Les caféiculteurs, qui n’ont pas ou peu de capitaux, sont sensibles aux problèmes de trésorerie et finiront par s'endetter davantage", explique Betty Yolanda, directrice pour l'Asie au Business and Human Rights Resource Center.
"Cette situation peut être utilisée par d'autres acheteurs pour exercer un contrôle sur les cultivateurs de café par le biais de la servitude pour dettes, poussant ces derniers dans un cycle de dettes et d'exploitation", ajoute-t-elle.
Somboon Trisilanun, l'inspecteur général du ministère du Travail, soutient que l'industrie agricole est plus difficile à surveiller que les autres secteurs plus industrialisés en raison du grand nombre de travailleurs.
"Il n'est pas possible pour les autorités d'inspecter toutes les cultures, mais ils (les travailleurs) sont protégés par la législation du travail et il existe des indicateurs clés (d'exploitation)", souligne-t-il.
Doi Chaang dit gérer son activité "comme une famille" et n'a pas de contrat écrit avec ses fournisseurs.
"Ce type de pratique est plutôt inhabituel (...) et met les paysans en situation de se faire exploiter", estime Viroj NaRanong, directeur de recherche au Thailand Development Research Institute (TDRI), un groupe de réflexion en matière de politiques.
Le café est la principale source de revenus de la plupart des tribus montagnardes de Chiang Rai, qui cultivaient le pavot à opium avant de se tourner vers les cultures vivrières et le café dans les années 1960.
Un chef de village affirme que Doi Chaang doit environ 3 millions de bahts à une trentaine d'habitants de son village pour leurs grains de café, et que nombre d’entre eux craignent de ne jamais être remboursés.
"L’entreprise affirme qu'elle aide à élever le niveau de vie des habitants (...) mais en réalité (les villageois) ont du mal", dit-il, lui aussi sous couvert d’anonymat par crainte de représailles.