Le pouvoir du chef de la junte thaïlandaise, Prayuth Chan-O-Cha, a été brièvement mis en doute par la fugitive apparition en politique de la sœur du roi. Mais une semaine plus tard, les plans de reconversion du chef de la junte en dirigeant civil semblent reprendre du poil de la bête
La candidature inattendue le 8 février de la princesse Ubolratana, sœur ainée du roi de Thaïlande, au poste de Premier ministre sous la bannière d’un parti aligné avec l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra, semblait avoir ébranlé le totem de la politique thaïlandaise: l'armée seule est le partenaire incontestable de la monarchie.
Quelques minutes plus tard, Prayuth Chan-O-Cha, ancien chef de l'armée et maitre d’œuvre du coup d’Etat de 2014, a accepté d’être le candidat proposé au poste de Premier ministre par un parti lié à la junte, au risque de se trouver en compétition frontale avec un membre de la famille royale.
Dans un pays où le public est rarement au fait des jeux d’influences des élites dans les coulisses du pouvoir, de nombreux Thaïlandais, sur les réseaux sociaux, ont exprimé leur joie quant à la chute supposée du redoutable chef de la junte.
Puis des rumeurs d'un coup d'État imminent contre Prayuth et sa junte ont foisonné.
Mais quelques heures plus tard, le jeu politique a basculé. Le frère d'Ubolratana, le roi Maha Vajiralongkorn, a bloqué son entrée en politique, jugeant l’idée "hautement inapproprié" dans un rare communiqué qui révélait publiquement les divisions à l'intérieur du palais.
Le parti Thai Raksa Chart, affilié à Thaksin Shinawatra, qui proposait la candidature de la princesse, est maintenant sur le point d’être dissout par la Cour Constitutionnelle pour "action hostile à la monarchie constitutionnelle", risquant d’entrainer avec lui les aspirations électorales du camp Shinawatra.
Cela fait évidemment les affaires du chef de la junte, Prayuth, qui se trouve plus que jamais en passe de devenir Premier ministre après le scrutin du 24 mars.
"Je demande à tout le monde de garder le sourire", a déclaré ce dernier, jeudi, alors qu'il participait à un exercice militaire à la base de commandement des forces spéciales de Lopburi, dans le centre de la Thaïlande.
Un peu plus tôt, il avait rendu hommage à un immense portrait du roi. Tout au long de la journée, il était accompagné du chef de l'armée, Apirat Kongsompong, le nouveau chef militaire nommé par le roi.
Prayuth toujours debout
Après près de cinq ans au pouvoir, Prayuth, âgé de 64 ans, bénéficie toujours de la loyauté de nombreux ultra-royalistes pour ses positions anti-Thaksin. Il a renversé le gouvernement de Yingluck Shinawatra, la jeune soeur de Thaksin.
Depuis lors, il a tenté - avec des résultats mitigés - de dissiper l’influence des Shinawatra sur la politique thaïlandaise, le frère et la sœur jouissant toujours d’une forte popularité auprès d’une partie des Thaïlandais malgré leur éloignement après s’être tous deux auto-exilés pour éviter des peines de prison.
Mais Prayuth essuie également des sarcasmes de la part d’une partie de la population lassée de son tempérament colérique, ses interventions sèches à la télévision et un système politique taillé sur mesure pour maintenir l’emprise de l'armée sur la vie politique.
Malgré tout, même après les événements de la semaine dernière, les partisans de Prayuth estiment que sa candidature au poste de Premier ministre est bien solide.
"Les événements de la semaine dernière ont prouvé qu'il avait toujours la confiance du roi", a déclaré à l'AFP un officier supérieur de l'armée sous couvert d’anonymat. "Il semble confiant dans ses chances de gagner et les derniers événements prouvent qu'il a sans doute raison."
Ses chances sont renforcées par une Constitution élaborée par la junte qui prévoit une chambre haute entièrement nommée et limite le nombre de sièges disponibles pour la principale machine électoral des Shinawatra – le parti Puea Thai.
Dans le cas d'un parlement sans majorité, le texte donne également la possibilité d'installer un Premier ministre issu d'un parti minoritaire - ce qui semble être la voie qui devrait mener Prayuth au poste de Premier ministre.
Compte tenu de la loyauté supposée de la chambre haute sélectionnée par la junte, "Prayuth n'a besoin que de 126 sièges (sur 500) à la Chambre basse pour gagner", souligne Paul Chambers, conférencier au Collège d'études sur la communauté Asean de l'Université de Naresuan. "Ce n'est pas vraiment une arène nivelée et équitable", ajoute-t-il.
Alors que la succession de coups de théâtre autour de l’entrée en jeu de la princesse avait généré une vague d’incertitude à travers le royaume, Prayuth s’est retrouvé lundi à devoir démentir des rumeurs de coup d’Etat imminent, citant de "fausses informations".
Une opinion partagée par certains des 76 gouverneurs du pays qui se sont réunis jeudi pour le saluer. "Je ne crois pas qu'il y aura un coup d'État. Nous n'en avons pas besoin", a déclaré Kiatisak Chantra, gouverneur de la province de Maha Sarakham dans le nord-est du pays.
Apirat Kongsompong, le chef de l'armée, a déclaré vendredi à l'AFP que Prayuth et lui entaient "très proches". Il a lui aussi écarté les rumeurs de coup d'Etat et assuré que les élections se dérouleraient comme prévu en mars.
Pour les partis de Thaksin, la route vers le pouvoir s’annonce longue et difficile. "Thaksin a commis une erreur tactique", estime Sophie Boisseau du Rocher, experte en politique thaïlandaise à l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI). "Thai Raksa Chart sera probablement dissout, il ne pourra pas soutenir PueaThai... Thaksin est en train de perdre peu à peu de son aura."