Abordant sereinement sa 24e année d’existence au cœur de Bangkok, Le Bouchon figure parmi les étendards de la restauration française et est une valeur sûre dans la bouillonnante capitale thaïlandaise.
Si Bangkok voit éclore presque chaque semaine de nouveaux restaurants dont beaucoup s’avèrent souvent être des phénomènes de mode au succès rapide et spectaculaire, elle voit très souvent ces stars éphémères des réseaux sociaux disparaître telles des étoiles filantes, aussi vite qu’elles sont apparues. Mais la Cité des anges recèle également de bien plus rares établissements installés durablement dans son paysage, et qui valorisent avec cœur et âme une tradition gastronomique porteuse de valeurs profondes.
Dans le quartier nocturne de Patpong, Le Bouchon, parmi les doyens des restaurants français de la capitale thaïlandaise -il entrera le 24 septembre dans sa 24e année-, fait partie de ces précieuses gemmes que les amateurs de bonne table les plus avisés de la ville fréquentent avec assiduité.
Emblématiques de la ville de Lyon, les bouchons sont apparus et se sont développés au XVIIIe siècle au sein de la capitale mondiale de la gastronomie. Ce type de restaurant a pour vocation de porter haut le plaisir de la table et la tradition culinaire lyonnaise dans une atmosphère accueillante, à la fois simple et chaleureuse.
Le premier atout du Bouchon, c'est son patron, Serge Martiniani (Vidéo Tiger Lens Service)
C’est bien sûr dans cet esprit que s’inscrit l’unique bouchon de Bangkok, créé en 1996 par Serge Martiniani, un Lyonnais trempé dans le métier depuis son plus jeune âge qui en tient les rênes d’une main de velours et avec une passion sans cesse réinventée. Serge est d’ailleurs présent dans l’établissement chaque midi et soir pour accueillir en personne la clientèle et les indéfectibles habitués qui viennent autant pour la qualité de la cuisine que pour tailler une bavette avec l’affable patron. «Recevoir personnellement mes convives est essentiel. Cela me permet de veiller à la constance de la qualité et de m’assurer de leur bien-être», explique Serge, qui a débuté dans le métier il y a près de 60 ans.
Cadre et ambiance authentiques
Aux antipodes des restaurants modernes qui vendent du rêve sur les réseaux sociaux au moyen de stratégies marketing sophistiquées, Le Bouchon est reconnu, outre la qualité de sa table, pour son authenticité, sa régularité et son hospitalité.
L’accueil réservé par Serge à sa clientèle est incomparable. Sa personnalité généreuse, ses attentions font que l’on se sent immédiatement aussi bien qu’à la maison. Ainsi, il n’est pas rare de voir des voisins de table qui ne se connaissaient pas finir leur repas entre amis, avant de rejoindre leur hôte au bar pour un ou deux digestifs qui vont les entrainer dans des échanges passionnés et chaleureux. Le véritable esprit bouchon ou l’art de suspendre le temps et de devenir un repère réconfortant dans une ville au rythme parfois oppressant…
Le fameux tableau, élément indispensable dans tout bouchon qui se respecte, et le patron qui n'est jamais loin (photo Régis Lévy)
Une dizaine de tables joliment dressées, avec des bandanas colorés en guise de serviettes, des reproductions de peintures impressionnistes aux murs et le majestueux comptoir en L, où les fidèles aiment s’installer pour prendre l’apéro en lisant le JDD avant d’y prendre leur repas, la lumière tamisée, les sourires du personnel, tout participe à l’atmosphère feutrée et à l’élégance discrète de l’établissement. Et pour compléter cette harmonie, l’ambiance musicale, qui fait la part belle à Parker, Coltrane ou Miles, est au diapason.
Et c’est en mélomane averti que Serge parle de la cuisine proposée au Bouchon : «la restauration, c’est comme la musique. S’il existe une partition écrite, chacun peut l’interpréter selon sa sensibilité et ses valeurs», dit-il.
Et si on lui demande les éléments indispensables que l’on doit trouver dans un authentique bouchon, la réponse ne tarde pas : «Le tableau ! La carte qui dévoile à la fois les classiques de la maison, les plats signatures ou les nouveautés, se doit d’être présentée aux convives sur un tableau!», avant d’ajouter avec malice «et le patron se doit d’avoir un certain embonpoint».
Cuisine traditionnelle maison
Sur le fameux tableau figurent donc des mets représentatifs de la tradition gastronomique française dont les intitulés réveillent les papilles. Escargots à la forestière, foie gras frais avec poire au vin ou une bien campagnarde soupe de poireaux et pommes de terre, mettent instantanément l’eau à la bouche avant de songer aux plats de résistance.
Se pose alors le choix cornélien d’avoir à se décider entre quelques classiques, comme le pavé de bœuf béarnaise, et les plats signatures élaborés par Serge et son fidèle cuisinier thaïlandais, Chef Banjong, aux fourneaux depuis les tout premiers jours.
Parmi les spécialités maison, difficile de résister à la tentation d’une langue-de-bœuf sauce verte, mijotée à feu doux pendant des heures pour la rendre bien fondante. À moins de préférer succomber à l’exceptionnel steak tartare préparé par le patron en personne, à lui seul une raison suffisante de venir au bouchon d’après les amateurs. «Impossible de manger un steak tartare ailleurs quand on a goûté celui du Bouchon. Je viens régulièrement, exprès pour le doux plaisir de ce tartare bien rouge, aux saveurs parfaitement équilibrées», s’enthousiasme Jean-Marc, un client français attablé avec sa compagne.
Le patron ne dévoile pas tous ses secrets de fabrication concernant ce fameux tartare, si ce n’est qu’il utilise de l’entrecôte qui ne doit surtout pas être hachée à la machine ni coupée au couteau, contrairement aux idées reçues, mais plutôt émincée finement à la feuille de boucher. Et Serge de confesser l’ajout d’une goutte de whisky au lieu du vinaigre et d’une pointe d’harissa à la place du tabasco, parmi les ingrédients ayant conquis les palais les plus exigeants.
Le présentateur de TV5 Monde, Patrick Simonin, de passage à Bangkok en 2018, s'est dit très étonné de trouver un tel endroit aussi loin de l'hexagone (Photo Pierre Queffélec)
Carte évolutive
Pour continuer de séduire la clientèle, le tableau se réinvente continuellement, révélant l’inspiration du moment, comme un osso buco à la milanaise, «si tendre et fondant qu’on peut le couper à la fourchette», fait remarquer Marc qui préfère diner au comptoir, le coin de prédilection des habitués souhaitant bavarder avec l’hôte des lieux.
Un burger d’agneau enrichi d’une dose de Noilly, est l’une des dernières fiertés de son créateur. Et pour combler les amateurs de poisson, quoi de mieux qu’un filet de poisson organique du lac Toba, situé dans les montagnes de Sumatra et réputé pour contenir des eaux d’une pureté exceptionnelle ?
D’autres plats incontournables de tout bouchon qui se respecte réapparaissent ponctuellement en fonction du marché ou des envies de Serge, tels du bœuf bourguignon, de la blanquette ou, plus rarement, du saucisson chaud.
Bouchon oblige, la carte des vins dignes d’accompagner ces mets de choix fait la part belle aux appellations françaises, mais elle comporte également de jolies surprises comme un très convainquant Merlot australien, aussi soyeux que son prix est doux.
La sélection de desserts comporte entre autres les réconfortantes madeleines de Proust que sont la mousse au chocolat ou la crème caramel, faites maison, comme il se doit. Suivie d’un café italien haut de gamme servi avec des brownies sortis du four et d’un limoncello concocté par le patron, elle promet la conclusion en beauté d’un mémorable repas.
L’ancien ambassadeur de France en Thaïlande, Gilles Garachon, ici avec son fils et Serge Martiniani, est client du Bouchon depuis de nombreuses années (photo courtoisie Le Bouchon)
Pour le midi, un menu déjeuner comprenant trois ou quatre entrées et plats au choix, lui aussi sans cesse renouvelé, est proposé au prix de 450 bahts, prix net comme pour le reste de la carte.
Devenu au fil du temps, grâce à la qualité constante de sa proposition, l’une des valeurs les plus sûres de Bangkok en matière de gastronomie française, Le Bouchon reste le repère préféré de nombreux amateurs de bonne table, expatriés comme thaïlandais, et même de touristes et hommes d’affaires de passage, qui reviennent régulièrement tant pour la qualité de la cuisine que pour l’atmosphère unique renouvelée quotidiennement par Serge et son équipe. L’établissement continue d’attirer une clientèle issue de tous les milieux et ce n’est pas un hasard si elle comprend d'anciens ministres, un président, des ambassadeurs, des personnalités du showbizz ou des gourmets aux palais aussi affutés que ceux du prestigieux chef multi-étoilé Jean-Michel Lorain et de sa fille Marine, du restaurant J’Aime.
Ancré au cœur du fameux quartier de Patpong dont la réputation sulfureuse s’est quelque peu adoucie avec le temps, Le Bouchon est facilement accessible en voiture avec plusieurs options de parking proches. Et si la petitesse du lieu participe à son agréable intimité, la contrepartie est qu’il vaut mieux réserver.
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Régis Levy