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La Thaïlande “rend les Belges et son ambassadeur heureux”

Ambassadeur Philippe KridelkaAmbassadeur Philippe Kridelka
Philippe Kridelka, Ambassadeur du Royaume de Belgique en Thaïlande
Écrit par Catherine Vanesse
Publié le 6 novembre 2019, mis à jour le 6 novembre 2019

En poste depuis 2016, l’Ambassadeur du Royaume de Belgique en Thaïlande, Philippe Kridelka, revient pour Lepetitjournal.com sur ses trois premières années dans le royaume et sur les différents aspects de sa mission.  

Liégeois d’origine, l’actuel ambassadeur du Royaume de Belgique en Thaïlande, Philippe Kridelka a exploré depuis 30 ans la plupart des aspects de la diplomatie belge : diplomate en poste à Téhéran, Varsovie, Singapour et Brunéi, la Représentation belge auprès de l’UE (dossier OMC) ou conseiller diplomatique de la vice-Première Ministre belge en charge de l’Emploi et de l’égalité des hommes et des femmes. L’ambassadeur Kridelka a été détaché par son gouvernement au service de l’UNESCO de 2009 à 2013, comme directeur de cabinet de la Directrice générale d’abord, puis comme directeur du bureau de liaison de l’UNESCO auprès des Nations-Unies à New York, avant d’assurer la fonction de Grand Maréchal de la cour pour conseiller le roi Philippe pendant trois ans avant de venir à Bangkok en 2016.

Lepetitjournal.com l’a rencontré pour parler de la communauté belge, du libre-échange, du réchauffement des relations politiques. Un réchauffement qui se confirme. Lors de l’interview, il a reçu un appel de Bruxelles. “Je dois préparer prochainement une visite politique de haut niveau. La dernière fois, cela remonte à juin 2013, juste avant le couronnement du roi Philippe, il était venu en tant que Prince accompagné d’un Ministre et de plusieurs capitaines d’industrie belges” confie Philippe Kridelka à l’issue du coup de fil. 

Quel bilan tirez-vous de ces trois années passées à Bangkok ?

Avant de venir à Bangkok, j’ai été ambassadeur à Singapour et à Brunei il y a une dizaine d’années, j’ai attrapé à ce moment-là le virus asiatique et la Thaïlande n’a fait que confirmer mon intérêt pour la région. La Thaïlande, le Cambodge, le Laos et la Birmanie sont des pays fascinants et passionnants. C’est un poste très demandé dans la diplomatie. Un poste à Bangkok vous offre à la fois des développements politiques, nous sommes au cœur d’enjeux majeurs ici. C’est une région importante avec un processus de démocratisation important qui est suivi de près dans l’Union européenne. L’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, la Birmanie sont des pays que la Belgique et ses partenaires de l’Union européenne accompagnent dans ce processus de démocratisation, c’est crucial pour la stabilité à terme de la région.

Au niveau économique, la région est en pleine croissance. En tant qu’ambassadeur, vous vous sentez utile pour attirer des entreprises à s’installer ici et pour aider des entreprises locales à venir investir chez nous, et profiter de la position de notre Belgique, qui est le centre du marché européen, le plus grand marché du monde ! 

Sur le plan consulaire également, c’est sans doute ma mission la plus importante. 

Et bien sûr, il y a l’image de la Belgique. L’année dernière nous avons organisé plusieurs manifestations pour célébrer le 150ème anniversaire du premier traité entre la Belgique et la Thaïlande. Nous avons eu la visite de SAR la Princesse Léa de Belgique, nous avons décoré le train aérien (BTS) avec les Schtroumpfs, nous avons ouvert la résidence de Belgique au public...

Pouvez-vous nous présenter la communauté belge en Thaïlande ?

Il y a 3.684 Belges inscrits à l’ambassade de Belgique mais nous estimons à 6.000 Belges. La Thaïlande est le cinquième plus gros poste consulaire de la Belgique dans le monde après Paris, l’Espagne, les Usa et le Congo-Kinshasa. La Thailande compte une des plus grosses communautés belges en dehors de l’Europe à laquelle il faut ajouter 120.000 touristes par an. 

Nous sommes un peu l’hôtel de ville d’une population de 6.000 habitants, comparable à des villes belges comme Stavelot ou Hoegaarden.  Parmi les Belges on retrouve des retraités, des entrepreneurs, des journalistes, des personnes qui travaillent dans la restauration ou l’hôtellerie, dans la banque ou l’immobilier, d’autres qui ont ouvert des clubs de plongée comme Ben Reymenants qui a participé au sauvetage de Tham Luang ou encore certains qui font des gaufres belges! En gros, c’est une communauté variée, sympathique. Par contre, il n’y a pas encore beaucoup d’étudiants. 

Je suis surpris de voir à quel point les Belges que je rencontre ici sont heureux. J’ai rarement vu dans ma carrière des Belges aussi heureux qu’en Thaïlande! Et la Thaïlande rend l’ambassadeur heureux aussi!

Pour gérer cette communauté, nous avons deux consuls et une vingtaine de personnes qui travaillent à l’ambassade. Par contre, nous n’avons pas de section culturelle, nous organisons de temps en temps des événements avec l’aide des autorités culturelles en Flandres et en Wallonie, parce que cela participe à l’image de la nouvelle Belgique fédérale. 

Quels sont les problèmes récurrents avec la communauté belge ?

Il y a évidemment la sécurité routière et l’ambassade travaille beaucoup là-dessus. Chaque année, nous avons plusieurs Belges qui meurent sur les routes. Ils louent un scooter, pas de casques, pas d’assurance, éventuellement une bière de trop. C’est un problème dramatique que connaissent malheureusement bien les autres pays dont les touristes visitent la Thaïlande : nos partenaires de l’UE bien sûr, mais aussi par exemple les USA, le Canada, l’Australie ou la Chine. 

Il y a plusieurs années, des consulats des différents pays ayant des touristes en nombre en Thaïlande ont créé un comité “The Embassy Friends of Road Safety (EFRS)” pour voir comment nous pourrions travailler avec les autorités thaïlandaises afin d’améliorer la sécurité routière. La Belgique a pris la présidence de ce groupe cette année, nous allons dans des universités pour expliquer ce que la Belgique applique, notamment à travers la campagne “BOB”. Nous encourageons les jeunes qui sortent le vendredi soir à désigner un “BOB”, c’est-à-dire une personne qui ne boit pas et qui ramène ses amis chez eux en toute sécurité. Le grand groupe chimique belge Solvay participe également en distribuant des casques dans les écoles. Et je dois rencontrer le gouverneur de Phuket prochainement ainsi que celui d’Udon Thani, pour discuter de la sécurité sur les routes.

Ensuite, le TM30 a inquiété beaucoup de monde, maintenant ce sont les assurances "soins de santé". C’est aussi une de mes priorités, je suis allé voir le ministère de la sécurité sociale à Bruxelles pour essayer de les encourager de conclure un accord bilatéral sur la sécurité sociale avec la Thaïlande. Un Belge est couvert partout en Europe par la sécurité sociale ainsi que dans quelques pays où un accord bilatéral a été signé, c’est le cas au Maroc, en Turquie, au Japon et en Corée. L’idée serait qu’un Thaïlandais qui est soigné en Belgique puisse être couvert par le système thaïlandais de sécurité sociale et inversement. Il y a eu une première mission belge qui est venue en Thaïlande, afin de vérifier si l’accès universel aux soins de santé fonctionne effectivement en Thaïlande. Prochainement une mission thaïlandaise devrait se rendre en Belgique. Il y a pour le moment une approche positive des deux côtés, et j’espère que la négociation d’un accord bilatéral pourra commencer sous peu.  

La Belgique est un pays plutôt divisé entre les communautés flamandes, wallonnes, bruxelloises et germanophones. Est-ce que ces divisions se ressentent en Thaïlande ?

En Asie, la carte de visite “Belgique” ou “Belgian products” reste la plus efficace! 

Nous avons naturellement deux attachés commerciaux régionaux, l’attaché pour la Wallonie via l’Awex (Agence wallonne à l’Exportation et aux Investissements Étrangers) et l’attaché pour la Région flamande et Bruxelles-Capitale via le FIT (Flanders Investment and Trade). En Belgique, le commerce extérieur relève des compétences régionales. Mon rôle en tant qu’ambassadeur est de les aider, de venir en soutien de leur travail, mais je constate que tous les deux, dans leurs stratégies de communication jouent la carte “Belgian Products”. 

Un point sur les échanges économiques entre la Belgique et la Thaïlande ?

Le commerce bilatéral s’élève à 2,5 milliards d’euros. La Thaïlande exporte chaque année pour 1,5 milliard d’euros vers la Belgique tandis que la Belgique exporte pour 1 milliard d’euros vers la Thaïlande. Donc nous achetons plus à la Thaïlande que nous n’y exportons. Mais l’économie belge est ouverte et je me félicite que ces échanges continuent. Et surtout nous avons des investissements belges en Thaïlande tels qu’Umicore, Katoen Natie, Solvay, Magotteaux… Toutes ces entreprises considèrent la Thaïlande comme une porte d’entrée importante pour leur développement en Asie. 

Est-ce qu’il y a des entreprises thaïlandaises qui investissent en Belgique ?

Charoen Pokphand (CP) a un centre de distribution de ses produits à Waterloo pour toucher le marché européen. CP vient également d’acheter une PME flamande qui est tout à fait à la pointe technologiquement pour les produits alimentaires au micro-ondes. 

King Power a racheté un club de football en Belgique, le Oud-Heverlee Louvain, un club de deuxième division. King Power a souhaité, tout comme pour Leicester, accompagner ce club dans sa croissance. Le meilleur gardien de but thaïlandais, Kawin Thamsatchanan joue là-bas. L’objectif derrière cet achat, c’est d’encourager les contacts entre les footballeurs des deux pays puisque la Belgique a le meilleur football du monde. La victoire de la France, c’est une erreur historique (rire) ! Donc là aussi, il y a une coopération importante. 

J’essaye d’intéresser les investisseurs thaïlandais à la grande distribution. Ici, vous avez tous ces grands centres commerciaux prestigieux ce qui n’est pas le cas en Belgique. Or, nous avons une clientèle potentielle. J’espère qu’avec la reprise des contacts politiques à haut niveau , nous pourrons avoir une mission économique belge l’an prochain dirigée par SAR la princesse Astrid. Ce genre de mission, dirigée par un membre de la famille royale, permet d’attirer l’attention sur notre pays et de développer des contacts entre investisseurs potentiels. 

La tenue des élections au mois de mars en Thaïlande annonce un réchauffement des relations diplomatiques entre les deux pays ?

J’ai reçu ce vendredi 18 octobre une lettre par voie diplomatique de notre Premier ministre Charles Michel qui tient à féliciter le Premier ministre Prayuth et qu’il lui souhaite bonne chance dans la transition démocratique et la relance économique de la Thaïlande. 

Avec tous nos partenaires de l’Union européenne, nous estimons que les coups d’état militaires, ce n’est pas la solution pour résoudre les problèmes. Depuis 2014, tous les contacts à un niveau ministériels étaient gelés, ce qui a eu un impact sur toute une série de choses comme les relations bilatérales, la coopération à l’ONU, sur les changements climatiques, sur des opérations de coopérations dans les domaines consulaires, etc. 

Certes, les élections n’ont pas été parfaites, mais ce sont des élections, il y a une véritable opposition qui s’exprime au Parlement. L’UE accueille de nouveau avec chaleur la Thaïlande dans le club des pays démocratiques en soulignant qu’il est important que l’opposition puisse s’exprimer, que les leaders politiques ne soient pas emprisonnés, qu’un débat démocratique continue. 

Donc, dans les mois qui viennent, il va y avoir une reprise des échanges tous azimuts entre la Thaïlande et l’UE, que ce soit au niveau des visites de ministres, des missions commerciales, la relance des négociations de l’accord de libre-échange entre l’UE et la Thaïlande. 

Justement, où en sont les accords de libre-échange ?

Les négociations vont reprendre sous peu. La Thaïlande a été le premier pays de l’ASEAN à négocier les accords de libre-échange avec l’UE. Ce qui est logique puisqu’elle est la deuxième plus grande économie de l’ASEAN après l’Indonésie, c’est un pays où il y a de nombreux investissements européens. La Thaïlande investit également beaucoup en Europe, surtout en Allemagne, en Italie, pas encore suffisamment en Belgique. En 2014, le coup d’État a suspendu les négociations pour cet accord de libre-échange alors que l’UE a continué à discuter avec le Vietnam et Singapour. Avec ces deux pays, les accords de libre-échange vont entrer en application prochainement, avant la Thaïlande, ce qui n’est pas logique! 

Nous espérons qu’un accord puisse être signé d’ici deux ou trois ans. Une partie du travail a déjà été fait, mais il y a toujours des problèmes délicats. La Thaïlande et l’Europe sont concurrentes dans une série de secteurs, donc cela ne va pas être facile. 

En décembre, nous aurons la reprise formelle des négociations, il y aura une délégation de la Commission du Commerce Européen qui viendra en Thaïlande et qui signifiera de facto la relance des négociations. 

Le fait que la Belgique est une royauté et que vous-même avez oeuvré comme Grand Maréchal à la cour de Belgique facilite-t-il les relations ?

Oui! Outre le fait que les deux pays sont des monarchies, il y a une amitié traditionnelle entre les deux familles tout à fait particulière. Une amitié qui remonte au roi Léopold II et au roi Chulalongkorn. Rama V a en effet été accueilli en Belgique par Léopold II, qui a envoyé des conseillers, dont Gustave Rolin-Jaequemyns qui fût conseiller du roi du Siam et  a aidé à la modernisation du royaume et à protéger le pays contre les pouvoirs coloniaux de l’époque. 

Entre le Roi Baudouin et le Roi Rama IX, il y avait plus qu’une amitié, une réelle fraternité. Ils ont tous les deux passé leurs jeunes années en Suisse, ils sont tous les deux devenus rois très jeunes, avant 20 ans, ils se sont retrouvés propulsés sur le devant de la scène avant d’avoir fini leur formation. Depuis son adolescence, la princesse Sirindhorn a sa chambre au palais royal de Laeken, résidence des Souverains belges.

Aujourd’hui encore, lors du couronnement du roi Rama X, les ambassadeurs représentant une monarchie ont été invités à une cérémonie tout à fait privée où seuls les membres du gouvernement étaient invités. Maintenant que l’UE a levé les restrictions envers la Thaïlande, je suis confiant sur le fait que cela va relancer les contacts entre les deux familles royales. 

Vous couvrez aussi la Birmanie, le Laos et le Cambodge, pourrait-on voir un jour une ambassade de Belgique ouvrir dans l’un de ces pays ?

Je plaide pour que nous ouvrions soit une ambassade, soit une annexe de l’ambassade ou des bureaux diplomatiques dans ces pays. Bruxelles en est conscient, mais le budget n’est pas illimité. Des bureaux diplomatiques ont été rouverts dans le Sahel pour essayer de gérer les flux migratoires, pour multiplier les possibilités de travailler sur place. La priorité aujourd’hui elle est là ainsi qu’au Japon, en Chine et en Inde. 

Quels souvenirs, villes ou rencontres vous ont marqué au cours de ces trois années en Thaïlande ?

Ubon Ratchathani est la ville qui m’a le plus impressionné. Le doyen de la faculté de Sciences politiques de l’université d’Ubon Ratchathani nous a emmenés avec l’ambassadeur d’Irlande et de Finlande dans les campagnes environnantes où nous avons dialogué avec les communautés de l’Isan pour mieux comprendre quels sont leurs problèmes. Le prix du riz, l’accès à la santé, la gestion de l’eau, le manque de garantie en cas d’expropriation, les villages désertés par les jeunes, sont les problèmes les plus récurrents. En visitant pendant deux jours les villages autour d’Ubon Ratchathani, et en discutant avec les étudiants et leurs professeurs, j’ai plus appris sur la Thaïlande qu’en plusieurs mois à Bangkok. 

Mon deuxième grand souvenir, c’est la visite de la région de Surin et des temples khmers qui rappellent le passé prestigieux de la région. Et enfin, la visite de SAR la princesse Lea à Chiang Rai où nous avons été reçus par les communautés Aka et où nous avons pu découvrir les projets royaux qui ont été mis en place dans la région pour lutter contre la drogue. 

Connaissez-vous déjà votre prochaine mission ?

Dans la diplomatie belge, nous partons deux fois en poste à l’étranger pendant quatre ans, ensuite nous revenons en Belgique pour trois ans. Donc j’ai encore un poste à l’étranger qui m’attend, mais j’ignore où. La Belgique est toujours en train de former un gouvernement, c’est la priorité avant de penser à la confection du mouvement diplomatique. 

Est-ce que votre départ pourrait être reporté en fonction de la formation du gouvernement ?

Je n’en sais rien. En principe je suis là jusqu’à l’année prochaine. 

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