La crise du Covid-19 a accéléré la refonte de l'industrie automobile thaïlandaise, premier centre de production d’Asie du Sud-Est, alors que les fermetures d'usines préparent le passage aux véhicules électriques.
Après des mois de fermeture en raison des mesures sanitaires pour contrer l’épidémie de coronavirus, les entreprises thaïlandaises du secteur automobile, qui emploient 900.000 personnes, rouvrent leurs portes, redonnant espoir à de nombreux travailleurs sans emploi.
Toutefois, le passage de la Thaïlande aux véhicules électriques (VE) risque de faire très mal à l'industrie automobile locale constituée principalement de fabricants de pièces détachées. Les VE ne nécessitent en effet que l'équivalent de 10 à 20% du total de pièces détachées requis par les véhicules à combustion.
Avec un peu plus de 300.000 emplois menacés, les équipementiers automobiles thaïlandais se tournent vers des secteurs tels que l'équipement médical, une tendance qui devrait continuer à remodeler la deuxième économie d'Asie du Sud-Est après la fin de la crise du coronavirus.
"Nous sommes tous inquiets (...) c'est un secteur en déclin", a déclaré Kasem Tiankanon, directeur de la société Siam Filter Products.
Cette entreprise de Bangkok a évité de licencier ses centaines de travailleurs en compensant la baisse des commandes des constructeurs automobiles par une augmentation des pièces de rechange. L'entreprise cherche à se diversifier dans la fabrication de filtres à usage industriel et médical et développe un nouveau type de masques de protection.
"Nous ne pouvons pas rester dans le secteur de l'automobile", prévient Kasem Tiankanon. "Si vous ne vous adaptez pas, vous disparaitrez tout simplement."
D'autres se sont lancés dans l'emballage et l'aviation.
"C'est un pivot pour les industries qui utilisent les mêmes procédés car il y a déjà une expertise dans l'usinage", explique Sompol Tanadumrongsak, dirigeant de l'Association thaïlandaise des fabricants de pièces automobiles.
Les dommages causés par la crise du coronavirus sur la demande automobile vont réduire la production thaïlandaise de près de la moitié, la ramenant à 1,14 million de véhicules cette année, prévoit le cabinet IHS Markit.
Les fabricants de pièces détachées, qui représentent environ 80 % des travailleurs de l'industrie automobile du pays, ont licencié 20.000 personnes, un chiffre qui pourrait atteindre les 100.000 d'ici la fin de l'année, prévient Manit Promkareekul, président du Congrès du travail de l’automobile de Thaïlande.
Les perspectives pour les véhicules électriques sont plus prometteuses.
Les ventes mondiales devraient augmenter cette année de 6% pour atteindre 2,3 millions de véhicules et sont supposées atteindre 45 millions d'ici 2030, selon les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie.
Virage vers l'électrique
Mais les fabricants de pièces détachées thaïlandais avaient entammé leur mutation avant la crise du Covid-19, alors que l'industrie automobile mondiale s'orientait vers les VE, sous l'impulsion de sociétés comme Tesla.
En mars, le gouvernement disait prévoir que les VE compteraient pour 30% de la production, soit 750.000 véhicules, d'ici 2030, destinés au marché domestique en vue de réduire la pollution.
Le mois dernier, le fabricant de châssis de camions Sammitr Group a reçu l'approbation d'un projet de 170 millions de dollars (147 millions d'euros) pour fabriquer 30.000 véhicules électriques par an dans le cadre d'une coentreprise avec une société chinoise.
En 2018, Honda Motor et Nissan Motor ont reçu l'approbation pour un investissement d'une valeur combinée de 888 millions de dollars -770 millions d'euros- pour produire des véhicules électriques hybrides et des batteries.
Mais la Thaïlande n’est pas seule et se trouve en concurrence avec d'autres pays de la région pour décrocher des usines en vue du boom attendu des VE.
Toyota Motor Corp a par exemple annoncé l'an dernier un investissement de 2 milliards de dollars dans les VE en Indonésie.
Demande d'aide publique
Mais même dans la perspective d’une production accrue de véhicules électriques en Thaïlande, 800 fabricants de pièces automobiles et plus de 325.000 emplois pourraient être menacés car un VE utilise 1.500 à 3.000 pièces, contre 30.000 pour un véhicule à essence traditionnel, souligne Kiriya Kulkolkarn de l'université Thammasat.
Great Wall Motor, le plus grand fabricant chinois de pick-ups, a repris deux usines de General Motors en Thaïlande en février pour y fabriquer des véhicules utilitaires sport et des pick-ups - mais il s'est ravisé de produire des VE.
Selon son vice-président Steven Wang, Great Wall aurait besoin d’un soutien plus important de la part du gouvernement thaïlandais pour produire des VE.
Les mesures incitatives de la part du Board of Investment (BOI) thaïlandais ont expiré, et ce dernier réfléchit maintenant à de nouvelles mesures pour attirer les investisseurs, a indiqué la secrétaire générale du BOI, Duangjai Asawachintachit.
Ce qu'il faut pour assurer la compétitivité de la Thaïlande, ce sont des démarches qui apportent de la clarté aux investisseurs et aux clients, estime Kiranee Tammapiban-udom de Maverick Consulting Group.
"L'industrie arrive à un point d'inflexion", prévient-elle. "Elle se retrouvera laissée pour compte si les politiques choisies ne répondent pas aux besoins de la fabrication des VE, de son écosystème et de sa consommation."