Après un procès controversé, deux jeunes birmans ont été condamnés à mort jeudi en Thaïlande pour le meurtre de deux Britanniques en 2014, un drame qui a terni la réputation de pays touristique très sûr de la Thaïlande.
Zaw Lin et Win Zaw Tun, âgés tous les deux de 22 ans, qui étaient arrivés au tribunal jeudi matin en tenue de prisonnier et avec les pieds enchaînés, ont nié tout au long du procès avoir tué les jeunes touristes.
A l'énoncé du verdict, la consternation se lisait sur le visage des deux jeunes hommes tandis que dans le public la mère de l'un d'eux s'est effondrée en hurlant.
Les deux accusés ont une fois de plus nié avoir tué les deux Britanniques et leurs avocats ont fait savoir qu'ils allaient se pourvoir en appel.
Les corps de David Miller, 24 ans, et Hannah Witheridge, 23 ans, avaient été découverts nus mi-septembre 2014 à l'aube sur une plage de Koh Tao, petite île du sud du pays, image d'Epinal du paradis touristique thaïlandais.
David Miller avait été frappé une seule fois avec un bâton et laissé inconscient dans l'eau peu profonde de la plage où il s'est finalement noyé, tandis que Hannah Witheridge avait été violée et tabassée à mort avec une houe de jardin retrouvée ensanglantée sur place.
Tout au long du procès qui s'est ouvert en juillet, la défense a accusé la police d'avoir extorqué des aveux aux deux jeunes accusés, afin de résoudre au plus vite l'affaire qui avait choquée dans le royaume où des photos des victimes avaient largement circulé sur les réseaux sociaux. Les deux jeunes travailleurs, boucs-émissaires d'après leurs avocats, se sont ensuite rétractés.
Témoins oculaires et preuves ADN
Au départ de l'enquête, la police était apparue très hésitante dans le choix des pistes à privilégier, se tournant tour à tour vers d'autres immigrés, un routard aperçu buvant avec les victimes le soir du meurtre, et le fils d'un chef de village très influent sur l'ile.
Quelques semaines plus tard, les deux jeunes travailleurs birmans avaient été arrêtés alors que l'affaire faisait les gros titres des journaux en Grande-Bretagne et en Thaïlande, où le tourisme est essentiel pour l'économie.
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"Les deux accusés sont coupables de meurtre et condamnés à la peine de mort", a énoncé le juge, jeudi, ajoutant qu'ils avaient également tous les deux été "reconnus coupables de viol".
Une culpabilité établit d'après ce dernier grâce à des "témoins oculaires et aux preuves ADN" et notamment la présence de l'ADN des accusés sur le corps de Hannah Witheridge, violée.
Or, d'après la défense, les enquêteurs n'ont pas conservé correctement les échantillons d'ADN et certains éléments clés comme les vêtements d"Hannah Witheridge n'ont pas été testés.
Selon le témoignage en octobre de la directrice de l'institut médico-légal thaïlandais (CIFS), Porntip Rojanasunan, l'ADN des deux sans papiers birmans ne correspond pas à celui retrouvé sur l'arme du crime présumée.
Porntip a également précisé au tribunal qu'aucune trace d'ADN n'avait été retrouvée sur les autres pièces à conviction examinées par son institut médico-légal, parmi lesquelles une chaussure et des sachets plastiques.
La police pointée du doigt
Début juillet, la police avait avoué que certains échantillons ADN déterminants pour la défense avaient été épuisés avant que la défense ne puisse les faire réexaminés par des experts indépendants. Un témoin avait également avoué devant le tribunal avoir déplacé et lavé la houe peu après que les corps des deux touristes avaient été retrouvés.
Les avocats des deux accusés avaient encore l'espoir de s'appuyer sur le rapport des policiers britanniques, qui avaient été autorisés en 2014 à suivre l'enquête afin de rassurer les familles des deux victimes sur la transparence des enquêteurs locaux.
Mais ces derniers ont refusé de rendre leur rapport public et les deux accusés n'ont pu obtenir du tribunal d'avoir accès aux conclusions de cette contre-expertise.
Lors de l'audience du 22 juillet, le responsable de l'enquête, le Colonel Cherdpong Chiewpreecha, avait avoué au tribunal de Koh Samui que son équipe n'avait pas jugé utile d'examiner les enregistrements vidéo de caméras de surveillance donnant sur le ponton situé à proximité de la scène du crime d'où un bateau de traversée était parti une heure environ après le moment du double meurtre.
Le Colonel Cherdpong a également déclaré que son équipe n'avait pas cru bon d'enquêter sur les rumeurs d'une altercation entre Hannah Witheridge et le fils d'un chef influent de l'ile de Koh Tao, politicien local, dans la nuit du 14 au 15 septembre.
Pourtant, l'une des théories les plus fréquemment avancées par ceux qui croient en l'innocence des deux Birmans est l'implication d'une ou plusieurs personnalités locales, ce qui expliquerait selon eux les nombreux "couaques" de la part des autorités et une certaine opacité voire carrément une obstruction à la quête de vérité dans cette affaire.
Les journalistes admis dans le tribunal n'ont d'ailleurs pas eu le droit de prendre de note durant le procès. Et plusieurs média internationaux ont déclaré avoir du mal à trouver des interprètes, ceux-ci se disant menacés par des gros bras locaux. Les journalistes étrangers qui ont assisté aux audiences se également sont dit surpris de voir peu de confrères thaïlandais à ce procès au retentissement international.
Un ami de Miller, avait dit avoir été forcé de quitter l'ile après avoir été menacé de mort par des hommes de main locaux.
Justice rendue ?
Après l'annonce de la condamnation à mort des deux accusés, Michael Miller, le frère de David Miller, qui avait fait le déplacement, a estimé au nom de la famille que "justice" avait été rendue.
"Il (David) a été battu par derrière, trainé dans la mer et laissé pour mort. C'est ce qu'il nous restera pour toujours. Ce qui est arrivé à Hannah Witheridge est atroce," a-t-il dit.
"David a toujours lutté pour la justice et la justice est ce qui a été rendu aujourd'hui," a-t-il ajouté, soutenant le travail de la police thaïlandaise et la validité des preuves médico-légales.
"Au fur et à mesure du procès, nous avons réalisé que le travail médico-légal effectué n'était pas le désastre qui avait été décrit", a-t-il ajouté regrettant l'absence de "remords" des accusés.
Pour les défenseurs des droits de l'Homme, cette affaire est pourtant symptomatique des méthodes douteuses des enquêteurs de la police thaïlandaise.
Il est courant dans le pays de voir les travailleurs immigrés pauvres des pays voisins - essentiellement Birmans - accusés de crimes dans un royaume où le système judiciaire est corrompu et sous la coupe du pouvoir politique.
"Ce qui est certain, c'est que quel que soit le verdict, les familles de ces deux jeunes sauvagement assassinés ne sauront pas si elles ont obtenu justice, ou même la vérité," a déclaré Sam Zarifi, directeur régional de la Commission Internationale des Juristes.
Pour Andy Hall, militants pour les droits des immigrés qui a assisté la défense, les deux accusés feront appel du verdict. "Ils seront libérés et la vérité sera révélée", a-t-il affirmé sur twitter après le verdict.
D'après l'administration pénitentiaire thaïlandaise, 456 personnes sont actuellement dans le couloir de la mort en Thaïlande. Mais cette peine est souvent transformée en prison à vie après grâce royale.
La dernière fois que le royaume a appliqué cette sentence c'était en 2009 quand deux hommes, condamnés pour trafic de drogue, ont été exécutés par injection létale.
jeudi 24 décembre 2015