Malgré la crise économique en Thaïlande, des secteurs sont en croissance et des opportunités professionnelles émergent pour les étrangers. Explications et conseils d’un expert en ressources humaines.
Depuis le début de l’épidémie du coronavirus, de nombreux secteurs d’activités, en particulier le tourisme, la restauration et l’hôtellerie ont particulièrement été affectés, beaucoup n’ayant d’autres choix que de fermer ou de licencier leur personnel, poussant des centaines de milliers de personnes au chômage.
Pour autant, derrière cette morosité, le marché de l’emploi ne s’est pas effondré et il reste de nombreuses opportunités, explique Laurent Landié, directeur général de Lim and Partner, une société spécialisée dans les ressources humaines et les conseils aux entreprises et membre du groupe Praxi Alliance Worldwide Executive Search.
Installé en Thaïlande depuis 22 ans, Laurent Landié est également le vice-président des Conseillers du Commerce Extérieur à la France en Thaïlande (CCE) et fondateur d’Asia Data Destruction, une compagnie qui a fait de la destruction de données numériques son cœur de métier, un secteur en pleine croissance.
Lepetitjournal.com a interrogé Laurent Landié afin de comprendre quel était le marché de l’emploi en Thaïlande, quelles sont les opportunités et les changements mis en place par les sociétés pour recruter du personnel.
Selon vous, quel est l’état du marché de l’emploi en Thaïlande en ce moment ?
Ce n’est pas la morosité, loin de là! Le marché de l’emploi en Thaïlande ne s’est pas effondré, toutefois on observe beaucoup de changements au sein des entreprises, en particulier dus à une digitalisation croissante. Cette digitalisation, qui s’est accélérée dans le contexte de la Covid-19, va créer de nouveaux besoins en ressources humaines qui seront difficilement pourvus localement, que ce soit avec des Thaïlandais ou des étrangers actuellement sur place.
Il y a aujourd’hui une augmentation du taux de chômage en Thaïlande, mais cette augmentation est en fait très concentrée sur les profils peu qualifiés, les migrants, et dans les secteurs du tourisme, de l’hospitalité et de la restauration. En dehors de ces catégories-là, les entreprises continuent de recruter.
Il est important de souligner que certains secteurs, notamment l'agronomie, les technologies, la gestion des coûts, le luxe et la logistique restent des spécialités porteuses où il y a des opportunités d’emploi en Thaïlande. La mobilité réduite des étrangers à cause de la crise sanitaire ainsi que le retour en France de certains expatriés par choix personnel ont créé des postes vacants, auparavant occupés par des étrangers ou des responsables régionaux qui voyageaient. Ces conditions sont avantageuses pour les expatriés en recherche d’emploi qui sont déjà sur place.
Néanmoins, pour décrocher ces postes il faut faire preuve d’adaptabilité et de polyvalence. Il faut bien parler anglais et pouvoir s’adapter à la culture locale. Si vous changez de secteur, disons si vous sortez du secteur de l’hospitalité vers un autre, il faudra démontrer votre valeur et vous démarquer, pour pouvoir faire concurrence aux Thaïlandais qui seront dans la même situation et qui parlent également anglais.
Est-il plus efficace de chercher un emploi depuis la France ou depuis la Thaïlande ?
Une expatriation réussie se prépare en amont. Et la première étape de cette préparation est de choisir votre pays d’accueil selon vos compétences, ce qui peut être compliqué si vous postulez à partir de la France sans une connaissance approfondie de la région. Il existe bien évidemment des organismes pour vous aiguiller dans vos choix, dont les CCE. Nous allons publier prochainement une enquête sur l’emploi des Français dans chaque pays de l’Asie du Sud Est, qui permettra à ceux qui souhaitent s'expatrier de comprendre les nuances et les perspectives d’emploi dans chaque pays de la région.
Il est difficile de dire si postuler en France ou en Thaïlande est plus efficace, car cela dépendra des cas de figure. Ce qui est certain, c’est que les démarches pour postuler seront différentes selon si vous postulez de France ou sur place.
Si vous êtes en France et que vous cherchez à venir en Asie, il faudra identifier les entreprises ayant un siège en France et qui sont présentes en Asie, puis postuler directement au service des Ressources Humaines du siège. Je recommanderais même, si vous y êtes ouvert, de travailler au siège pendant un an ou deux pour vous permettre d’apprendre à connaître l’entreprise, sa culture, et ses objectifs.
Si vous avez le temps et les finances pour tenir quelques mois sans emploi, vous pouvez tenter de venir en Thaïlande, avec une liste de sociétés qui vous intéresse en tête. Être sur place peut certainement être un atout pour décrocher un poste par rapport à une recherche depuis la France, et permet de faire jouer des réseaux de proximité comme la Chambre de Commerce ou les Conseillers du Commerce Extérieur.
Venir en Thaïlande pour chercher un emploi, est-ce encore pertinent dans le contexte actuel ?
Tout d’abord, les mois de juillet et août sont à éviter de manière générale pour venir et trouver un emploi. Ensuite, je conseille à ceux qui souhaiteraient venir de patienter un peu. À moins d’avoir des compétences spécifiques qui sont très recherchées, par exemple, en e-commerce avec un niveau d’anglais parfait.
Mais même pour ces postes-là, il n’est pas nécessaire de se rendre sur place pour faire sa recherche, car de nombreuses entreprises publient les offres d’emplois en ligne (sur LinkedIn par exemple) et il est possible de faire le processus de recrutement à distance en contactant directement l’entreprise.
À titre d’exemple, dans mes propres activités, lorsque j’ai besoin d’un profil particulier, je fais des recherches sur l’ensemble de la planète. Je regarde d’abord en Thaïlande parce que c’est plus facile d’avoir quelqu’un déjà sur place, mais je vais aussi chercher en Asie et puis en Europe pour trouver le(a) bon(ne) candidat(e).
Il est aussi bon de savoir que la situation sanitaire et réglementaire en Thaïlande n’est pas actuellement favorable aux déplacements, même à l’intérieur du pays. Récemment, quelques chefs d’entreprise français se sont rendus en Thaïlande en passant par la “Phuket Sandbox” afin de trouver des distributeurs locaux ou afin de s’implanter dans le pays. Malheureusement, ils n’ont pas pu prendre un vol vers Bangkok comme ils l’avaient prévu, et ceux qui se sont aventurés dans un voyage par la route jusqu’à Bangkok ne pouvaient de toute manière pas rencontrer leurs partenaires en face à face à cause des restrictions.
Pour l’instant, tout semble indiquer qu’il est plus avisé d’attendre septembre ou octobre que les conditions permettent au moins de bouger librement.
Avec la distanciation physique, les entretiens d’embauche en ligne sont-ils devenus la norme ?
Aujourd’hui, tous les entretiens se font en ligne, cela est devenu la norme.
Je fais partie du groupe Praxy, l’une des plus grosses entreprises de chasseurs de têtes dans le monde, et la digitalisation a profondément impacté notre activité. Désormais, même pour les postes élevés, par exemple dans la direction, le processus de recrutement se fait en ligne.
En parallèle, nous observons l’émergence de la pratique des “évaluations” lors du recrutement, qui peuvent être complétées en ligne, à distance. Avant le COVID-19 il y avait des rencontres en face à face lors des recrutements, mais désormais pour de nombreux postes cette étape a été complètement enlevée. Pour combler ce manque, de nombreuses entreprises ont donc recours à des évaluations pour s’assurer des compétences des candidats.
Auriez-vous des conseils à partager pour réussir un entretien d’embauche, même en ligne ?
Les conseils n’ont pas changé, à savoir qu’une recherche d'emploi se prépare. Il faut faire des recherches sur Internet, - et pas uniquement sur le site de l’entreprise -, afin de savoir quelles sont les activités de l’entreprise, ses développements, sa culture, ses derniers contrats, ses difficultés, etc.
Lors d’un entretien, il ne suffit pas juste de répondre aux questions que l'on vous pose, il faut être davantage engagé et faire en sorte qu’un véritable échange se produise, par exemple en posant des questions. Pour moi, un candidat a réussi son entretien lorsqu’il s’approprie la discussion, presque comme si c’était au contraire le candidat qui évaluait la société.
Un entretien qui n’est pas à sens unique est un signe prometteur qui montre l’intérêt du candidat.
Peut-on avoir les mêmes prétentions salariales qu’avant la crise ?
Le salaire minimum légal pour un français en Thaïlande est de 50.000 bahts, il n’est pas possible de descendre en dessous sinon vous risquez de perdre votre permis de travail. Malgré la crise, cette limite n’a pas changé.
Dans la situation actuelle, une personne au chômage va devoir baisser ses prétentions salariales, d’autant plus que certaines entreprises ont baissé les salaires de leurs employés de 30 ou 50% afin de pouvoir les garder.
Si vous obtenez une offre avec un salaire supérieur à 50.000 bahts par mois, mais toutefois en dessous de vos attentes, il faudra être clair lors de la négociation que vous êtes prêt(e) à accepter ce salaire étant donné le contexte actuel, mais qu’au retour à la normale, vous vous attendez à un salaire correspondant à la fonction. Il faut vous assurer que l’entreprise n’abuse pas de cette situation.
En revanche, si l’entreprise vous propose un salaire inférieur à 50.000 bahts (par exemple, un salaire de 30.000 bahts + 20.000 bahts de commission), en affirmant que le permis de travail viendra plus tard, je vous déconseille d’accepter cette offre. Ce n’est pas bon signe.
Quelles sont vos perspectives en termes de reprise économique en Thaïlande ?
La reprise économique, elle sera là, puissante, rapide et forte pour ceux qui auront su transformer leur modèle d’activité, et surtout vis-à-vis la digitalisation.
Les sociétés qui seront restées sur un mode de gestion traditionnel, qui n’auront pas su incorporer des éléments de digitalisation innovateurs, connaîtront une reprise incertaine. En revanche, les entreprises qui ont su mettre cette période à profit pour repenser leurs méthodes de travail pourront se voir récompenser d’une reprise rapide.
La reprise est d’ailleurs déjà présente dans certains secteurs porteurs: l’électronique, l’informatique et les nouvelles technologies, la logistique. Une de mes compagnies, Asia Data Destruction, qui fait de la destruction de données, enregistre actuellement une croissance à deux chiffres. Vous pourrez observer les mêmes tendances pour les assurances ou le luxe. Par contre, pour d’autres secteurs, tels que le marketing, la publicité, la communication et l’hospitalité/le tourisme, la reprise va prendre plus de temps.