Bangkok est en train de couler ! Cela fait près de trente ans que les spécialistes tirent la sonnette d'alarme, mais alors que la Venise de l'Est s'enfonce de plus en plus vite, la mise en place de solutions tarde à arriver. Certains experts parlent désormais de régler le problème de manière radicale, avec la construction d'un barrage titanesque
"Si l'on ne fait rien, Bangkok va couler, c'est un fait". C'est en ces quelques mots que le professeur Cor Dijkgraaf, planificateur urbain spécialisé sur les questions climatiques, donne le ton lors d'une conférence mardi dernier au Club des Correspondants à l'Etranger. Et selon lui, il y a de quoi s'inquiéter, même s'il estime qu'"il reste encore quelques années pour pouvoir prendre des décisions et éviter que cela n'arrive".
Une ville construite sur un marécage
Bangkok est un véritable cauchemar pour les urbanistes. Fondée il y a près de 230 ans sur les berges du fleuve Chao Praya, la Venise de l'Est est située sur un sol argileux, dans une zone extrêmement marécageuse.
Dans les années 1950, nombres de canaux ont été fermés pour construire des routes et lutter contre le paludisme, et cela a fracturé le système naturel de drainage qui permettait à Bangkok de contrôler les inondations lors de la mousson. Les avertissements lancés par des experts internationaux sur la possibilité de voir Bangkok littéralement sombrer ont alors commencé dans les années 1980.
Le problème s'est amplifié avec la multiplication des immeubles et des industries qui pompent l'eau en sous-sol, sous la couche argileuse, amenant à un affaissement des sols, en particulier dans l'est de la capitale. Et bien que la métropole se trouve toujours un ou deux mètres au-dessus du niveau de la mer, elle s'enfonce inexorablement de près de 10cm par an. A cela vient s'ajouter l'élévation générale des eaux, de 2 à 20cm chaque année, ce qui fait que Bangkok pourrait se retrouver totalement en dessous du niveau de la mer d'ici 15 à 20 ans.
Les dernières prévisions de la Banque mondiale estiment que si rien n'est fait, en 2050, 1 million de personnes risquent de vivre dans des zones inondables à Bangkok. Et alors que la capitale thaïlandaise contribue à 40% au produit intérieur brut du royaume, les dégâts économiques augmenteront de 761 millions à 3,2 milliards d'euros par an, auxquels s'ajoute 2,3 milliards de dégâts d'infrastructures. Un état des lieux plutôt pessimiste renforcé par les observations faites notamment lors du Sommet de Copenhague sur le changement climatique en décembre dernier, qui place l'Asie comme l'une des régions les plus vulnérables aux changements climatiques, avec Bangkok dans le top 10 des villes en danger.
Une digue géante comme solution
De nombreuses solutions ont été proposées par différentes organisations de lutte contre le changement climatique. Le plan le plus radical, défendu par Cor Dijkgraaf et par le directeur du Centre thaïlandais de recherche sur les catastrophes naturelles, Seree Supharatid, serait de construire une digue massive de 100 km de long sur le golfe de Thaïlande, de Hua Hin à Pattaya. Ce projet pharaonique serait de 3 fois la taille du plus grand barrage au monde (33km en Corée du Sud), et coûterait plusieurs centaines de millions de dollars. "L'inconvénient de cette solution est quelle va transformer la mer en lac. C'est pour cela qu'il faut d'ores et déjà réfléchir sur ces questions, car il va y avoir d'énormes répercutions sociales", explique le Cor Dijkgraaf.
Néanmoins, ce dernier met en avant un des avantages de la capitale thaïlandaise: "Bangkok a la chance d'être l'une des seules villes au monde à pouvoir régler le problème avec un seul barrage".
Améliorer les infrastructures existantes
Mais la Banque mondiale voit les choses autrement, et préfère des solutions plus classiques. Dans son dernier rapport, l'organisme estime que l'élévation de la crête des digues autour de Bangkok et sur les berges du Chao Phraya, tel que prévu par les autorités thaïlandaises, sera insuffisant dans un avenir proche. Le rapport propose ainsi toute une série de projets pour résoudre le problème, notamment l'amélioration des digues et des capacités de pompage, en particulier dans l'est de la capitale (de 737 à 1.065m3/sec).
La banque mondiale ajoute par ailleurs qu'il faudrait multiplier par deux voire trois la capacité de contenance des canaux (de 607 à 1,580 m3/sec).
Pour la partie ouest de Bangkok, l'efficacité des trois stations de pompage existante devrait être multipliée par 9 d'ici trente ans. Selon la simulation de la banque mondiale, ces mesures permettraient de réduire jusqu'à 51% les zones inondables à Bangkok et Samut Prakarn, bien que ces estimations puissent différer selon l'évolution écologique ces prochaines années.
Quentin WEINSANTO mardi 9 février 2010