Avec “Pris au piège”, le journaliste-photographe Thierry Falise revient dans avec un récit-document sur le sauvetage des enfants coincés dans une grotte au nord de la Thaïlande.
Journaliste-photographe belge installé en Thaïlande depuis 1991, Thierry Falise est également l’auteur de plusieurs livres sur l’Asie du Sud-Est, une région qu’il n’a cessé de parcourir ses trente dernières années. Plus récemment, il est revenu sur le sauvetage des douze jeunes footballeurs et de leur coach coincés dans les profondeurs de la grotte de Tham Luang.
Avec “Pris au piège”, Thierry relate sous forme de récit-document le sauvetage sans précédent qui a mobilisé des milliers de personnes pour ramener à la surface les disparus. Plus qu’une synthèse de l’événement, l’auteur plonge le lecteur dans ce à quoi ont dû ressembler les premiers jours des Sangliers sauvages tout en remettant en perspective les éléments culturels, les croyances, le contexte politique de cette région particulière qu’est le Triangle d’or.
Sorti en octobre 2018, "Pris au piège" était le tout premier livre a revenir sur ces événements qui ont suscité une puissante vague d'émotion en Thaïlande et partout dans le monde.
Lepetitjournal.com Bangkok: À quel moment avez-vous décidé d’écrire un récit sur le sauvetage de Tham Luang ?
Thierry Falise: Mon éditeur Massot Édition, chez qui j’ai déjà publié deux livres, m’a appelé à la fin du mois de juillet 2018. Il avait lu un article sur la légende de la grotte. Cela l’avait intrigué et il m’a demandé si je pensais qu’il y avait assez de matière pour en faire un livre. J’ai directement proposé de l’écrire sous forme de récit plutôt qu'une enquête, car ce qui m’intéressait était de comprendre comment les enfants avaient réagi, ce qui était la partie la plus difficile puisqu’ils ne parlaient que très peu et que leurs apparitions dans les médias étaient contrôlées. J’ai proposé un synopsis à mon éditeur, j’ai fait quelques recherches pour savoir quelles étaient les sources d’informations disponibles, voir s’il était possible de contacter les plongeurs parce que le côté technique est passionnant dans ce sauvetage.
J’ai décidé de faire deux récits parallèles avec d’un côté l’histoire des jeunes footballeurs, leur survie pendant les 10 premiers jours que je fictionnalise en partie avec ce que je connais de la région et sur base de ce qu’ils ont dit lors des différentes conférences de presse et les faits réels. J’ai essayé d’imaginer les conversations que les jeunes ont pu avoir dans la grotte tout en resserrant le plus possible pour être au plus proche de la réalité, c’était une manière d’aborder la culture par ce biais.
Au travers de cette histoire, je voulais dresser un portrait impressionniste autour de la région du Triangle d’or, ce que la presse a très peu fait à l’époque. Dans un livre, je peux parler de tous les enjeux, de la drogue, de l’immigration clandestine, de la prostitution, de la politique en Birmanie, des croyances populaires...
“Pris au piège” est aussi un défi éditorial. Nous voulions être les premiers à sortir un livre. Une fois que mon synopsis a été approuvé par l’éditeur, il m’a demandé si je pouvais le rédiger en un mois. Pendant 30 jours, j’ai bossé comme un malade, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à l’écrire et cela m’a permis d’enquêter dans une superbe région.
Est-ce que l’adaptation en bande dessinée était prévue dès le départ ?
Tout à fait. Au départ “La Mule et le sanglier” devait sortir en novembre, mais c’était impossible. Elle a finalement été publiée en mars. La BD s’est faite en collaboration avec une jeune illustratrice parisienne, Léa Hybre, c’est un joli produit.
Selon vous, quels sont les ingrédients qui ont fait le succès de ce sauvetage ?
Premièrement, ce sont des enfants, des victimes innocentes. Si nous avions eu des adultes, nous les aurions tout de suite blâmés. Deuxièmement, le suivi en continu et en temps réel par des centaines de journalistes, cela fascine les foules. Ensuite, il y a le côté obscur qui fait référence aux peurs ancestrales que nous avons tous en nous, tout le monde s’est imaginé dans cette grotte à devoir traverser ce conduit étroit… Et enfin l’exostime pour la presse occidentale: ils n’étaient pas dans une mine en Pologne, mais en Thaïlande, une destination où beaucoup de gens viennent en vacances, un pays que tout le monde connaît pour ses plages et sa jungle.
Que pensez-vous du traitement médiatique qui a suivi ?
Une fois que tous les enfants sont sortis, il y a eu un emballement, on parlait de plusieurs projets de longs-métrages, d’une série, de livres… et au final pour le moment il n’y a pas encore eu grand-chose. Les quelques exemples de films hollywoodiens de reconstitution de sauvetage ont souvent été des flops comme celui avec Juliette Binoche (Les 33, NDLR) sur les Chiliens coincés dans une mine. Pour réaliser un film sur ce genre d’événement, il faut trouver un angle particulier.
“Pris au piège” ne sera pas non plus le best-seller de l’année. Pour vendre un livre, il faut passer par les médias, or quand les médias l’ont reçu , la plupart n’ont même pas voulu le lire en se disant “encore cette histoire, on l’a connaît déjà”! Ce qui est dommage, car mon objectif était de montrer que même si on croit connaître une histoire, on n’a que ce qui a été diffusé alors qu’il y a plein de détails en plus. Après, je ne suis pas sûr que les autres bouquins sortis en anglais soient de grands succès.
Par le passé, quels sont les grands événements que vous avez couverts ?
Les dernières années de guerre au Cambodge, deux ou trois coups d’État la révolte des moines en Birmanie en 2007. Et il y a le sujet que je considère comme le scoop de ma carrière : l’histoire des jumeaux Johny et Luther Htoo, des Karens de 10 ans, généraux d’une petite armée d’adolescents et d’enfants. C’était une histoire extraordinaire, parce qu'ils étaient des enfants. C’est le seul exemple à ma connaissance d’enfants soldats qui dirigent une armée sans être de la chair à canon. J’ai écrit un livre en 2005 sur ces jumeaux : “Les petits généraux de Yadana”.
Vous avez d’autres projets littéraires ?
Je fais de moins en moins de journalisme et là je bosse beaucoup pour un client privé pour qui j’ai déjà réalisé deux livres qui allient la recherche et la photographie, et je travaille sur un troisième sur l’ambre en Birmanie.
Je suis aussi en train d’écrire un roman, mais je ne préfère pas trop en parler, car je suis superstitieux, c’est un projet très personnel que je devrais terminer d’ici la fin du mois d’août. Je pars bientôt m’isoler à Mae Hong Son pour la dernière relecture.
Comment voyez-vous l’avenir du métier de journaliste à l’étranger ?
Je suis extrêmement pessimiste même si je suis plutôt d’un naturel optimiste. La presse écrite papier est en train de disparaître et les journaux ou magazines qui survivent payent de moins en moins. La presse écrite digitale existe, mais jusqu’à nouvel ordre, je ne connais aucun journaliste qui gagne sa vie avec elle. En télévision, il y a encore des besoins et de l’argent par contre dans mon domaine, j’ai l’impression d’avoir vécu les dernières années de l’âge d’or où les magazines m’envoyaient pour plusieurs semaines avec une avance et les frais payés. Il y a encore des niches avec des magazines plus spécialisés, mais c’est rare. L’évolution n’est pas venue en un jour et aujourd’hui, la seule solution pour les journalistes est de se diversifier.