Imprégnée de l’esprit d’Auguste Escoffier, l’entreprise Klong Phai Farm a tissé en Thaïlande un réseau d’éleveurs capables de produire des volailles heureuses et dignes de la grande cuisine française.
Que ce soit par crainte du changement climatique, par volonté de soutenir le marché local ou encore pour simplement manger français à prix doux en Thaïlande, de plus en plus de particuliers et professionnels de la restauration sont demandeurs de mets et autres denrées "exotiques" produits localement.
Dès sa toute première année d'activité en Thaïlande en 2006, lepetitjournal.com évoquait déjà des producteurs locaux de spécialités originaires de latitudes lointaines telles que le fromage de chèvre fait à Pattaya ou encore le vin rouge de Samut Sakhon.
Mais nous n'étions sans doute pas encore à l'époque à un niveau de qualité équivalent à ce qui se faisait sous le climat tempéré de pays comme la France, l'Italie ou encore l'Espagne, berceaux d'un savoir-faire culinaire pétri de plusieurs siècles d'expérience. Et l'appétence du marché thaïlandais pour ce genre de produits était encore modeste. C'était juste au début du boom du vin, du fromage, et autres produits importés en Thaïlande survenu avec le fort développement de la classe moyenne, qui a vu notamment la formidable ascension de la société franco-thaïlandaise Wine Connection.
Depuis lors, les choses n'ont cessé d'évoluer dans ce sens, conduisant à l'avènement de la scène culinaire de Bangkok où a fleuri au cours de ces 15-20 dernières années une offre aussi créative que rigoureuse, capable des innovations les plus audacieuses tout en restant fidèle aux traditions culinaires dont elle s'inspire.
Cela ouvre de fait de belles opportunités pour qui est capable de produire localement des denrées de l'autre bout du monde dans une qualité comparable aux canons du pays d'origine.
C'est cette vague qu'a su prendre en 2016 la société franco-thaïlandaise Klong Phai Farm, fondée par un Français, Laurent Opportune, et son épouse thaïlandaise Thanigah Woggawee. L’entreprise travaille avec des éleveurs thaïlandais indépendants pour proposer aux cuisiniers et aux gourmets les plus exigeants de Bangkok des volailles et autres produits répondant aux critères minutieux de la tradition culinaire française.
Sous la houlette de ce couple truculent très à cheval sur la qualité de la nourriture et la notion d'équité, Klong Phai Farm porte la notion de sourcing (approvisionnement) à une échelle peu commune puisque cette PME fait littéralement se rencontrer -et s'accorder- l'offre et la demande. Ils font en sorte que les éleveurs comprennent le niveau d'exigence des consommateurs et des professionnels et que ces derniers perçoivent la valeur du produit et acceptent de le payer à son juste prix.
Cette politique leur permet de proposer des produits artisanaux qui cochent toutes les cases de la très exigeante liste des grands restaurateurs de Bangkok et des gastronomes de la capitale thaïlandaise.
Installé en Thaïlande depuis 30 ans et relativement bien intégré au tissu social, Laurent Opportune nous parle de sa vision qui rassemble une approche pragmatique des affaires, un souci d'équité sociale, un grand respect pour l'héritage culinaire français… et un besoin insatiable de le partager !
LEPETITJOURNAL.COM : Comment vous est venue l'idée de lancer Klong Phai Farm ?
LAURENT OPPORTUNE : J'ai créé Klong Phai Farm pour la simple et bonne raison que je voulais manger du poulet sain, sans hormones ni antibiotiques, élevé dans le respect de l'animal.
J'ai eu la chance de rencontrer un fermier qui élevait des poulets, mais ne voulait pas s'investir dans la vente. Et lorsque j'ai consulté plusieurs grands chefs de Bangkok pour leur demander leur avis sur la qualité du produit, ils m'ont tous dit que j'avais là un poulet excellent...
Klong Phai Farm a fait sa réputation avec son poulet de Korat élevé en plein air. Qu'a-t-il de particulier ce poulet ?
Il s'agit d'un poulet que nous avons labellisé poulet vert, et qui est à la base du Kai Korat (en français "poulet de Korat", province de Nakhon Ratchasima). Nous achetons les poussins à l'université de Korat et on les élève au sein de notre réseau de fermes.
L'université vétérinaire de Korat a en effet développé avec l'Institut français de Recherche Agronomique (INRA) une race hybride de poulet en accouplant des mâles thaïlandais avec des femelles françaises pour obtenir un poulet élevé en batterie plus nutritif pour les Thaïlandais.
Ce croisement a permis d'obtenir un produit très savoureux et très nutritif avec une teneur supérieure en protéine et en collagène.
Mais la génétique ne fait pas tout et nous avons vu là une très belle opportunité de développer un produit d'une qualité meilleure encore en pratiquant un élevage en plein air réunissant des conditions optimales.
Nous prenons donc des poussins âgés de 7 jours que l'on élève à notre façon en liberté dans les fermes, en leur apportant un complément de protéines naturelles sous forme de criquets. Nous nous alignons ici sur les conditions d'élevage sur celles du poulet de Bresse et c'est ce qui fait qu'au bout du compte on sort un poulet de grande qualité.
Nous avons commencé à le vendre dès lors qu'il a été validé techniquement par les chefs des restaurants réputés de Bangkok avec lesquels nous travaillions alors. Nous avons démarré avec 30 poulets par semaine et avons développé plusieurs races, aujourd'hui nous en sommes à 2.000 poulets par semaine.
Aujourd'hui, Klong Phai Farm vend bien plus que du poulet...
En effet, sur le même principe nous avons étoffé la gamme. Nous sommes allés rencontrer d'autres fermiers qui sont dans la même optique que nous, le bien-être complet de l'animal. Aujourd'hui, nous proposons donc d'autres produits tels que des canards, des œufs, des cailles, pintades, dinde, chapons, pigeons.
Qu'entendez-vous par bien-être complet de l'animal ?
Le respect dans la vie, dans la mort. Pour éviter le stress à l'abattage nous les plongeons dans le coma. Comme cela l'animal ne souffre pas. On tient également compte d’autres critères de bien-être comme l'espace de vie au mètre carré ou encore la vie en liberté.
Pouvez-vous revenir sur la vision Klong Phai Farm ?
L'idée directrice derrière Klong Phai Farm est de toujours adapter les produits aux besoins des chefs et limiter le transport, c'est-à-dire éviter que la marchandise fasse des centaines de kilomètres, voire le tour du monde, pour arriver ici. Je ne vois aucun intérêt à importer des cailles françaises si on peut avoir une caille de qualité équivalente produites localement.
Mais cette idée s'inscrit dans une vision plus large qui tend vers une société plus saine et plus juste.
La vision Klong Phai Farm consiste en effet à faire vivre un cercle vertueux, depuis la genèse de l'aliment jusqu'à sa finalité, en faisant en sorte que tous les acteurs, de l'éleveur au consommateur final en passant par le chef de cuisine, y trouvent leur compte.
Nous prenons donc soin du bien-être de l'animal en tenant compte des critères de ceux qui le cuisinent, des attentes de ceux qui le consomment, tout en faisant en sorte que ceux qui l'amènent à maturité aient une juste rétribution de leur travail.
C'est un respect total de l'ensemble de la chaîne : respect de l'animal durant sa vie et dans sa mort, respect du fermier qui a travaillé dur pour le choyer puis l'abat sans souffrances, respect du chef ou du particulier qui cuisine, respect de la santé et du plaisir du consommateur final qui, à son tour, manifeste son respect en payant le juste prix.
Garantir la satisfaction de chacun des acteurs permet de s'assurer qu'il n'y ait pas de tricherie au milieu.
Ce que nous faisons à Klong Phai Farm relève d'une vraie philosophie de vie qui s'inscrit dans la notion de proximité et le respect du vivant, pour une vie saine, sociale et responsable.
Comment avez-vous rencontré tous ces fermiers avec qui vous travaillez ? Existe-t-il un réseau ou avez-vous battu la campagne au hasard pour les dénicher ?
Les deux. En Thaïlande existe un réseau discret dans lequel on trouve des éleveurs qui savent faire de bons produits mais qui sont totalement inconnus parce qu'ils ne savent pas vendre, ne savent pas parler de ce qu'ils font.
Il s'agit de gens honnêtes qui font leur petit bonhomme de chemin dans leur coin sans esprit de compétition, ouverts aux nouvelles techniques et prêts à se développer.
Par conséquent, une fois que vous en connaissez un, il vous dit : "il y a un tel qui fait ceci ou cela, tu peux aller le voir". Ainsi, au bout d'un moment, on arrive à trouver le bon fermier avec qui on peut travailler, celui qui fait le produit dans la qualité que l'on recherche et qui accepte nos conditions de développement, de fermage, d'élevage, le contrôle qualité et la garantie de l'exclusivité. Nous participons aussi au financement des élevages ce qui permet aux fermiers de limiter leurs risques et développe leur confiance envers Klong Phai Farm.
De fait, il arrive qu'ils se passent le mot et que certains nous contactent. De fil en aiguille, on arrive à tisser un réseau. Mais cela prend du temps.
Qui contrôle pour voir comment cela se passe ?
Pour l'instant c'est essentiellement moi qui effectue régulièrement la tournée des fermes. Parfois je ne préviens pas, je regarde ce qu'ils font, je prends des photos de la nourriture, j'examine les étapes du processus, je rassemble et recoupe des informations pour tenir un suivi d'évaluation.
Qu'en est-il des normes officielles ?
Klong Phai Farm a toutes les certifications de garantie d'hygiène et de qualité de stockage (ISO 9001, GHP, FDA,...). Ainsi, ceux qui achètent un poulet ont la garantie certifiée qu'il a été élevé correctement, qu'il a été abattu correctement, qu'il a été transporté, emballé, livré correctement, cuit correctement et donc qu'il sera mangé correctement.
C'est tout cela la vision de Klong Phai Farm, le respect mutuel de l'ensemble de la chaîne. S'il n'y a pas cela, on ne peut pas travailler.
Combien de fermes aujourd'hui ?
On parle d'une petite dizaine de fermes, chacune avec une ou deux spécialités. Je pense que cela doit représenter une trentaine de personnes.
L'idée n'est pas de multiplier les fermes à tout-va, mais de disposer d'un nombre suffisant pour garantir une certaine souplesse. Par exemple, si j'ai besoin de coquelets à la française et qu'un éleveur me dit ne pas pouvoir le faire, j'ai ainsi bon espoir d'en trouver un autre dans le réseau que je pourrais aider (financer, développer son produit, etc.) et avec qui nous pourrons répondre à la demande.
Pouvez-vous nous donner un exemple de ce que vous attendez de ces éleveurs ?
Nous cherchons à développer en Thaïlande cette culture de produits de qualité que l'on a en France, qui est un peu leader dans cette filière.
Par exemple, pour les anglo-saxon comme les Thaïlandais, tout poulet de moins de 1.100gr est catégorisé "baby chicken". Cela présente l'avantage de faciliter une certaine reconnaissabilité du produit, mais ce n'est pas forcément un coquelet tel que requis par les grands livres de recettes françaises.
Un coquelet à la française fait 750 grammes + ou - 100 g, il a été élevé entre 3 et 5 semaines, il y a une certaine façon de le plumer - le poussin par exemple est plumé à la main et nous le préparons ainsi.
De tels critères permettent d'apporter aux chefs le produit qu'ils attendent exactement. Si on n'arrive pas à leur apporter le produit qu'ils recherchent, avec les moyens de transport actuels, ils l'importent.
Produire localement des produits de qualité est une chose, mais s'ils ne sont pas adaptés au degré de méticulosité et de perfection que recherchent les chefs pour leur cuisine, il n'y a aucun intérêt car on se retrouve aussitôt face à une concurrence énorme avec les géants de l'agro-alimentaire.
En Thaïlande par exemple, les cailles font entre 80 et 100 grammes (plumées, vidées, etc), ce sont des toutes petites cailles. Les Thaïlandais aiment bien ça et ils les cuisinent très bien. Dans la cuisine française on cherche plutôt des cailles d'environ 250 grammes.
Eh bien à Klong Phai Farm, on produit environ 500 à 1.000 cailles par semaine alors que le marché thaïlandais de la caille c'est peut-être 50.000 par jour. Voilà pourquoi il est vital pour nous de maintenir notre niveau de qualité et nos spécificités.
Vous êtes un membres très actif des disciples d'Auguste Escoffier en Thaïlande, est-ce personnel ou cela implique-t-il aussi Klong Phai Farm ?
Klong Phai Farm est complétement dans l'esprit Escoffier. Je suis fier d'être disciple d'Escoffier. C'est une vision qui correspond complétement à la mienne, j'adhère totalement ! Auguste Escoffier a créé la cuisine moderne telle qu'on la connaît aujourd'hui, mais surtout, il a créé des recettes et il les a partagées !
Cette idée du partage, est une notion très importante. Il avait un vrai savoir-faire, une vraie connaissance, il a créé la grande cuisine et il a partagé cela.
Klong Phai Farm s'inscrit précisément dans cet échange là avec les chefs, qu'il s'agisse du restaurant étoilé ou du bistrot du coin. On leur demande de partager avec nous leurs attentes, leurs contraintes, leurs recettes et nous partageons avec eux notre savoir-faire, nos services. Il s'agit d'une symbiose qui permet de faire évoluer les produits, la cuisine, et d'apporter au final quelque chose de nouveau, d'aider au développement de la cuisine française et internationale en Thaïlande.
Arrive-t-il que des chefs visitent eux-mêmes les élevages du réseau Klong Phai Farm ?
Tout à fait ! Nous les amenons dans les fermes pour qu'ils montrent et expliquent aux éleveurs ce qu'ils font, et pour qu'eux aussi fassent l'expérience de ce que réalisent les fermiers, découvrent les contraintes liées à des facteurs non maitrisables tels que la météo. Ils apprennent par exemple que quand il fait très chaud, les poules produisent moins d'œufs, c'est comme ça, c'est la nature, on ne vend pas un produit manufacturé.
Outre la partie élevage, Klong Phai Farm propose des plats cuisinés. Qui les cuisine ?
Nous avons un chef français, Julien Le Breton, et un chef thaïlandais qui travaille avec Julien depuis des années. Julien a aussi intégré les Disciples d'Escoffier. Nous proposons aujourd'hui 11 recettes françaises mais aussi thaïlandaises comme le poulet Massaman, le poulet au curry ou encore le Tom Ka Kai, conditionnées en pots mais aussi en portions surgelées. La capacité de Klong Phai Farm à sourcer les produits de qualité, fait que ces plats cuisinés mettent en œuvre des produits frais dont la qualité est contrôlée depuis son origine.
Avez-vous des projets d'exportation dans la région ?
Si l'opportunité se présente oui, nous le ferons. Mais nous souhaitons d'abord nous structurer parfaitement pour répondre au marché local.