Jarutat s’était essayé à la fabrication du fromage il y a 15 ans, avant d’abandonner. Il s’y est remis avec la crise du Covid-19, et propose désormais une gamme de 12 fromages “Made in Chiang Mai”
Il a démarré son activité de fromager à Chiang Mai seulement cette année et il peine déjà à répondre à la demande. Produits à Chiang Mai sous le nom “Jartisann”, les fromages de Jarutat "Sae" Snidwongse Na Ayuthaya connaissent un franc succès auprès des particuliers du coin, mais aussi auprès des professionnels de la restauration dans le royaume, de Chiang Mai à Phuket en passant par des grands chefs de Bangkok comme Hervé Frérard ou encore le chef étoilé Thierry Drapeau qui lui ont rendu visite récemment.
Une tonne de fromage par mois
Alors qu’il confectionne aujourd’hui une douzaine de fromages différents dans ce qui était encore en début d’année un petit coffee shop près de sa villa à Hang Dong dans les environs de Chiang Mai, Jarutat s’apprête à quadrupler sa production dans les semaines qui viennent pour passer à une tonne de fromage par mois au sein d’une fromagerie qu’il se construit sur le même terrain.
Mais même une telle augmentation de capacité risque d’être insuffisante pour satisfaire les clients toujours plus nombreux qui se pressent dans la boutique.
Un succès dont Jarutat est le premier surpris : “Je m’étais essayé à faire un premier brie en novembre 2020 et l’ai fait gouter à un ami, le chef Dominique Bugnand de l’hôtel Madarin Oriental, qui m’a vivement conseillé d’aller plus loin. Peu de temps après, la Thaïlande connaissait une nouvelle vague d’épidémie du coronavirus, tout était à l’arrêt et notre commerce aussi, alors je me suis dit que c’était le bon moment pour créer d’autres variétés de fromages. J’ai réellement commencé à les commercialiser en mai 2021. Dès le mois de juin, je savais déjà qu’il faudrait construire une usine d’affinage. Tout est allé si vite, c’est magique!”
Premiers pas avec le Royal Project
“Les fromages produits en Thaïlande ne représentent que 3% du marché face aux fromages importés, le marché est énorme pour les artisans. Depuis une dizaine d'années, on assiste à un boom de la scène culinaire, les Thaïlandais s’essayent de plus en plus à la nourriture occidentale et il y a aussi un intérêt accru pour le vin et donc par extension pour le fromage”, s’enthousiasme le jeune quadragénaire.
Aux particuliers thaïlandais s’ajoute une volonté de la part des chefs de grands restaurants de proposer de plus en plus de produits locaux. Dès lors, il est important de proposer une gamme variée pour s’adapter aux différents goûts du public. Selon l’artisan, les Thaïlandais restent encore réticents à se diriger vers des fromages aux odeurs fortes, ils seront plus tentés par sa ricotta aux fruits secs ou la ricotta fumée que le bleu.
Le parcours dans les métiers du fromage de ce descendant du roi Rama II a démarré, un peu par hasard, il y a une quinzaine d'années lorsqu’il a rejoint la fondation Royal Project, initialement pour participer à des projets concernant le design mobilier avant d’assurer le rôle de coordinateur du développement des produits alimentaires.
“Le directeur du Royal Project m’a demandé si je pouvais faire de la Mozzarella di Bufala à partir des surplus de lait de buffle. Pendant deux ans, j’ai fait des essais, des recherches, j’ai voyagé en Italie pour observer le processus de production. Au final, il nous a fallu deux ans pour y arriver sans que ce soit pour autant parfait, nous avions un problème de régularité au niveau de la qualité. Donc nous nous sommes tournés vers la feta”, explique celui qui est diplômé en design industriel.
Les défis de faire du fromage en Thaïlande
Cette première expérience l’a amené à poursuivre ses recherches et à se lancer dans la confection d’un fromage à pâte persillée, plus connu sous le nom de bleu. Après avoir fait des essais concluants dans l’une des rares caves privées de Chiang Mai pendant la saison hivernale, Jarutat a voulu reproduire l’expérience en formant un fermier dans la région de Nakhon Ratchassima. “C’est difficile de se reposer complètement sur des fermiers sans expérience dans le domaine. Pour fabriquer du fromage, le ressenti est très important afin de comprendre comment il évolue, est-il trop tendre, trop dur, etc.”, détaille le Bangkokois d’origine.
“J’ai ensuite commencé à faire du fromage dans ma maison à Bangkok, mais là non plus cela n’a pas fonctionné, à cause de la qualité aléatoire du lait, des conditions climatiques. Nous étions alors en 2016 et je pense que c’est la dernière fois avant l’an dernier que j’ai essayé de faire sérieusement du fromage”, ajoute-t-il.
Il faut dire qu’en raison du climat, fabriquer du fromage en Thaïlande comporte quelques défis. Avec la chaleur, le fromage tend à devenir plus acide, pour cela il est important de pouvoir le refroidir assez rapidement. Tandis que la saison des pluies apporte son lot de bactéries et d'humidité qui peuvent faire moisir un produit laitier en une nuit. Une problématique que soulève également Brice Renaud, un Français à la tête de DoFann Cheese.
La construction d’une fromagerie doit permettre de résoudre ces difficultés. Chaque semaine, Jartisann produit environ 60 kilos de fromages qui se déclinent en une douzaine de variétés telle que Saltara Thera, Royal Bleu, Forest Tail, Ricotta Alla Frutta, Ricotta Affumicata, Palazzo di Palma ou encore une version de camembert surnommé La Loubère, du nom du premier diplomate français envoyé au Siam par Louis XIV en 1687.
“Le camembert est le fromage qui représente le fromage français en Thaïlande, et alors que je cherchais un nom qui s’en rapproche quelque peu phonétiquement, j’ai naturellement pensé à La Loubère qui fut le premier représentant de la France au Siam. Lorsqu’on nomme un fromage, c’est difficile de garder le nom original en raison d’appellations contrôlées, mais aussi parce qu’on risque de s’exposer à la comparaison, si vous n’êtes pas aussi bon que l’original, vous risquez d’avoir des clients insatisfaits ou déçus, ce qui est moins le cas si vous proposez quelque chose de nouveau”, conclut le fondateur de Jartisann qui fabrique aussi son propre pain.