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Ce fameux jour où le destin du Siam a failli basculer face à la France

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Les Français montent à bord du Jean Baptsite Say échoué pour y hisser le pavillon tricolore.
Écrit par Catherine Vanesse
Publié le 3 juillet 2020, mis à jour le 8 juillet 2024

Le 13 juillet 1893, le royaume du Siam aurait pu perdre son indépendance face à la France. Spécialiste de l’histoire française dans la région, François Doré revient sur l’incident de Paknam, un événement méconnu de beaucoup de Français et pourtant charnière dans les relations entre la France et le Siam

Au 19ème siècle, le royaume du Siam se trouve entouré par les conquêtes coloniales britannique et française, avec l’Empire des Indes à l’ouest et l’Empire d’Annam à l’est. C’est au nom de leurs empires que les deux puissances coloniales vont revendiquer des territoires qu’ils avaient conquis autrefois et qui avaient été annexés depuis par le Siam. C’est ainsi que la France souhaite récupérer les provinces situées sur la rive gauche du Mékong, dans l’actuel Laos. 

En 1893, plusieurs incidents opposent le Siam et la France jusqu’à l’envoi, le 13 juillet à l’embouchure du fleuve Chao Phraya de deux canonnières françaises, dont les commandants annoncent leur intention de remonter jusqu’à Bangkok. En chemin, un premier coup de canon est tiré depuis l’un des deux forts siamois situés dans l’estuaire dans la province de Samut Prakan. Des échanges de tirs ont lieu pendant une trentaine de minutes, pourtant les canonnières françaises franchissent les barrages siamois et continuent à toute vitesse vers Bangkok. Le lendemain, jour de la Fête Nationale française, le roi Rama V reçoit le légateur Auguste Pavie et les commandants des navires en audience au Palais qui lui soumettent un traité dans lequel la France exige l’abandon de la rive orientale du Mékong, - le Laos-, par le Siam. 

“C’est une histoire passionnante, amusante, rocambolesque, le sujet d’un bon fait divers!” commente François Doré qui publie les détails de l’incident de Paknam sur le site  de l’Association Le Souvenir Français de Thaïlande. 127 ans plus tard, le sujet reste sensible en Thaïlande. Avec un franc parlé et une grande clarté, directeur de la Librairie du Siam et des colonies et Délégué Général du Souvenir Français de Thaïlande, François Doré revient pour Lepetitjournal.com/bangkok sur cette journée où le Siam a failli perdre son indépendance. 

Francois Dore Librairie du Siam et des colonies
François Doré dans sa Librairie du Siam et des colonies (Photo Pierre Queffélec)

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LEPETITJOURNAL.COM : Y a-t-il une raison particulière pour que l’incident ait eu lieu un 13 juillet ? 

FRANÇOIS DORÉ : Parce que justement c’est le 13 juillet, la veille de la Fête Nationale française. L’amiral Humann, commandant en chef de la division navale d’Extrême- Orient et qui est à Saigon décide de taper sur la table en disant : “Écoutez, cela suffit vos bêtises à la frontière, l’administrateur français Grosgurin a été assassiné, nous en avons marre, nous arrivons, nous allons faire une grande fête le 14 pour vous montrer la force de la marine française”. En fait, il s’agit d’une démonstration de force, de montrer le drapeau français, un peu comme on fait aujourd’hui avec le traditionnel défilé militaire devant l’Arc de Triomphe à Paris. 

Quelle leçon faut-il tirer de cet événement ? 

La plus grande leçon à tirer des évènements de cette journée fut l’énorme surprise de devoir constater l’état de faiblesse du Royaume de Siam. Ce pays que l’on imaginait riche et puissant, capable de tenir tête aux deux grands empires coloniaux voisins, l’Indochine française et l’Empire des Indes britannique, avait été mis à genoux par deux petits navires de guerre à la coque en bois. Si les bateaux avaient tiré, la population chinoise de Bangkok se serait révoltée contre le Palais, l’armée affaiblie se serait rendue et le Siam, si la France l’avait voulu, devenait un nouveau protectorat au sein d‘une Indochine française élargie.

Pourquoi la France n’est-elle pas allée jusque là ?

Il n’y avait aucun intérêt! Les Français s’en foutaient du Siam, à l’époque il devait y avoir à peine neuf Français qui y vivaient, mais cela a été un moment difficile dans les relations entre la France et le Siam. Auguste Pavie, qui a l’époque était le légataire, nous dirions ambassadeur de nos jours, est encore aujourd‘hui l’ennemi numéro du Siam alors que pour les Français, c’est un héros qui a sauvé le Laos de l’annexion siamoise. 

Est-ce la raison pour laquelle l’incident de Paknam reste un sujet sensible ?

Cette histoire du 13 juillet 1893, reste une blessure du côté thaïlandais et aujourd’hui, avec l’actualité brûlante des dernières semaines où tout le monde remet en cause la colonisation, le sujet continue de l’être. Car les Siamois, eux-mêmes, sont des colonisateurs, ils se sont appropriés les provinces au nord, au sud, à l’est et à l’ouest, des parties de la Birmanie, du Laos, du Cambodge et de la Malaisie. C’est ce qui a déclenché par la suite les mouvements de défense des deux grands empires coloniaux de l’époque dans la région que sont la France et l’Angleterre. 

Incident de Paknam opposant la France et le Siam a Bangkok
Une gravure d'époque montre la Comète, le Lutin et l’Inconstant devant la Légation (l'ambassade de France aujourd'hui) dont on voit le drapeau. A gauche, le bâtiment des Douanes, à droite le clocher de l’Assomption (courtoisie François Doré)


Quelles sont les conséquences de ce 13 juillet 1893 ?

Le lendemain de l’incident, le 14 juillet, le roi Chulalongkorn reçoit en audience les Français et par la suite, il signera le traité (Traité de Bangkok du 3 octobre 1893, NDLR) :) que les Français lui présentent et dans lequel ils réclament les territoires de la rive gauche du Mékong (Laos, NDLR). Malheureusement, il faudra attendre 11 ans avant que le roi Chulalongkorn ne signe ce traité. Son conseiller (de 1892 à 1901, NDLR), le jurisconsulte Belge Gustave Rolin-Jaequemyns, ancien Ministre de l’Intérieur de Belgique et farouchement francophobe, lui ayant toujours recommandé de ne pas l’accepter. Le plus gros problème de ce traité ne concerne pas que les problèmes territoriaux. Pour le Roi, les manoeuvres consulaires des Français pour naturaliser un maximum de résidents de l’Indochine, Annamites, Laotiens, Cambodgiens qui vivent au Siam ne sont pas acceptables. De plus, les Chinois commencent à vouloir se faire eux-aussi naturaliser Français. Il est évident qu’une fois leur situation régularisée, ces nouveaux Français ne seront plus justiciables devant le droit siamois. Tout cela est une atteinte à l’intégrité du Royaume.

Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, existeront au Siam des cours de justice extra-territoriales composées de juristes Belges, Français, Anglais qui jugeront les ressortissants de leurs pays, donc qui ne sont pas Siamois. Les procès de vrais citoyens de ces pays seront très rares, mais très nombreuses seront les affaires qui auront pour accusés des ressortissants des colonies des deux empires britannique et français, Indiens, Birmans, Malais ou Indochinois. Donc une population très importante qui n’est pas soumise à l’ordre siamois, qui ne paye plus ses impôts, qui lors de crimes sont jugés par des tribunaux d’exception… Ils ne sont plus soumis à la loi thaïlandaise! 

Aujourd’hui si un Français fait une bêtise, il est soumis à la loi thaïlandaise, mais pas à l’époque, ce qui était inacceptable.

Un autre point difficile à accepter par le roi Chulalongkorn est la présence des troupes françaises à Chantaburi, est-ce que cette présence signifie que la province était une sorte de “mini-colonie” ?

Chantaburi, sera une occupation pacifique. Pas un seul coup de feu y sera tiré. Une des clauses du traité disait en gros : “en attendant que Votre Majesté veuille bien signer, nous nous installons à Chantaburi!” 

Donc les Français s’y installent, la fleur au fusil, en chantant et enchantés, et en se disant que dans six mois ils seront rentrés à la maison, sauf qu’ils vont attendre 11 ans! 

Le roi Chulalongkorn ne remettra un pied à Chantaburi, une des provinces les plus chères à ses yeux, que le lendemain du départ des Français.

Quelles sont les sources qui existent sur cette période de l’histoire et en particulier sur cette journée du 13 juillet 1893 ?

En Thaïlande, lorsque nous parlons du Siam, il y a un peu une mainmise anglo-saxonne due à la langue, sur les récits, les voyages, les commentaires et souvent ils ne considèrent que la version thaïlandaise. C’est-à-dire que les méchants, ce sont les Français qui sont venus s’installer devant Bangkok, c’est perçu comme un acte d’agression alors que pour les Français, c’est un acte de défense suite à l’agression siamoise. Ce parti-pris témoigne de l’opposition entre l’Empire britannique et l’Empire français, ils sont chacun d’un côté de ce royaume qui va rester indépendant, car il sera considéré comme une zone tampon par ces deux géants. 

Les sources françaises sont beaucoup moins développées, mais il existe quelques ouvrages. Et lorsque l’on parle de l’Histoire avec un grand H, il faut pouvoir opposer les deux versions. 

Il s’agit d’un moment passionnant de notre histoire coloniale, malheureusement oublié ou méconnu des Français, à un moment où justement ce sujet prend une grande importance dans l’actualité internationale. 

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