Le site de la BBC classait récemment Bangkok parmi les cinq villes les plus créatives du monde avec Mexico, Sharjah, Belgrade et Dakar. Une reconnaissance pour la capitale thaïlandaise où ne cessent d’émerger de nouvelles initiatives artistiques.
De New York à Paris en passant par Londres, il existe des villes dont le statut artistique et le développement créatif ne font aucun doute. Les raisons mises en avant sont la diversité de la population, l’histoire de la ville et le contexte politique.
Avec plus de 10 millions d’habitants, Bangkok est une ville bouillonnante et chaotique où les tours de béton poussent comme des champignons au milieux des quartiers anciens de maisons de bois et où les temples bouddhistes officient dans l’ombre des centres commerciaux clinquants et ultramodernes. A travers ses quartiers animés se côtoient toutes sortes de communautés, bouddhistes, musulmanes, chinoises, indiennes, expatriées, et la vie politique est rythmée depuis des décennies par une alternance de périodes de démocratie relative, de grandes manifestations et de coups d’État.
Depuis une dizaine d’années, Bangkok connaît une explosion artistique qui trouve son origine dans ses contrastes.
“D’un côté, nous avons un mouvement rétrograde avec le gouvernement qui fait la promotion d’un art institutionnel très suranné et conservateur et de l’autre côté, nous avons un groupe d’acteurs culturels qui se battent contre cette propagande en façonnant des projets très innovants” explique Myrtille Tibayrenc, directrice artistique de la galerie d’art Toot Yung.
“De la frustration, des contraintes et de l'argent. C’est face au mur que l’on devient créatif et non dans le confort” commente Pierre Béchon, directeur de la galerie TARS.
Il ressort notamment un art subversif qui trouve sa place dans les galeries telles que WTF Bar and Gallery, Bangkok CityCity Gallery, TARS, 100 Tonson, Cartel Gallery, VER Project (fondé par l’artiste Rirkrit Tiravanija) et le complexe N22, mais aussi dans les musées comme le Bangkok Art and Cultural Center (BACC) ou encore lors d’événements.
Alors que le gouvernement est généralement absent du développement créatif et de l’art contemporain en Thaïlande, de nombreux projets voient le jour grâce à des initiatives privées, comme la Bangkok Biennial (une version OFF de la Bangkok Art Biennale), Ghost 25:61 et KhonKaen Manifesto; ou des initiatives privées - publiques comme pour la Bangkok Art Biennale dont la première édition s’est tenue du mois de novembre 2018 au mois de février 2019. Des événements qui ont tous eut lieu à la même période pour profiter de l’attention du monde de l’art et des médias sur la Thaïlande, une façon de montrer que l’art avait son mot à dire.
“Les grandes villes ont toutes une biennale, cela positionne Bangkok aux côtés des autres capitales comme étant une véritable plateforme de l’art contemporain”, explique Fabian Forni, Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle à l’ambassade de France.
Aujourd’hui encore, plusieurs œuvres présentées lors de la BAB sont toujours accessibles au public comme celle de l’artiste Sanitas Pradittasnee au Wat Arun. C’est d’ailleurs le long du fleuve Chao Phraya que se trouve ce que l’on appelle le “Creative District”, l’un des quartiers les plus tendances et créatif de la capitale et constitue désormais un haut lieu du tourisme culturel. Comme en témoigne l’installation en mai 2017 du TCDC (Thailand Creative and Design Center), le plus grand centre de ressources sur l’art et le design. Ainsi que la présence de Jam Factory, Warehouse 30, River City, les galeries P. Tendercool ou Speedy Grandma.
“Il ne faut pas oublier la créativité du peuple thaïlandais au quotidien que l’on retrouve dans la publicité, les décorations dans certains taxis, le côté kitsch des monuments, musées et temples qui inspirent beaucoup les artistes et créateurs contemporains” rappelle Myrtille Tibayrenc qui en 2016 lançait le festival d’arts urbains Bukruk.
En se baladant un peu dans Bangkok il est facile de tomber sur des oeuvres de street art dans le quartier de Charoen Krung où le festival Bukruk a laissé son empreinte sur de nombreux murs, le long des canaux ou encore au parc Chaloem La, à deux pas du BACC et des centres commerciaux de Siam, qui concentre le plus grand nombre de graffitis au mètre carré de la capitale.
“Par rapport à d’autres villes européennes, la capitale thaïlandaise jouit d’une grande liberté pour ce qui est de graffer des murs, je vois un endroit qui me plaît et je prends mes bombes de peintures” explique le célèbre graffeur Mue Bon. “L’éducation à l’art reste très classique en Thaïlande et pour beaucoup de gens, l’art est confiné au musée, en amenant l’art dans la rue, j’invite le public à se questionner sur le pouvoir en place”.
Un questionnement qui se propage également via les réseaux sociaux, comme Facebook ou Instagram, un espace où les acteurs de la scène artistique peuvent développer de nouvelles stratégies et moyens d’expression car, comme l’explique Pierre Béchon, “il y a davantage d’oeuvres vues au travers d’un écran qu’en vrai, il suffit de prendre cela en compte et d’être inventif”.