L'assouplissement progressif en Asie des restrictions sanitaires aux frontières permet aux acteurs du tourisme d’espérer voir les voyageurs du monde entier revenir peu à peu. À l’exception des Chinois.
La Chine, qui était devenu en 2012 le plus grand premier marché émetteur sur la scène touristique mondiale, affiche aujourd’hui un trafic aérien international équivalent à seulement 2% des niveaux pré-pandémiques et maintient des mesures sanitaires strictes sur le voyage en ligne avec sa politique de tolérance zéro vis-à-vis du COVID-19.
Cette situation prive le marché mondial du tourisme de quelque 255 milliards de dollars de recettes annuelles, un manque à gagner que les établissements tels que Laguna Phuket en Thaïlande devront s’attacher à combler sur le moyen terme au moins.
Le directeur général du Laguna Phuket, Ravi Chandran, indique que les cinq complexes hôteliers de Laguna Phuket ont déplacé leur objectif marketing vers l'Europe, les États-Unis et les Émirats arabes unis pour compenser la perte de visiteurs chinois, lesquels représentaient 25 à 30 % de son activité avant la crise du COVID.
"Jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons pas fait de marketing ni de promotion significative en Chine (…) parce que nous ne sentons rien venir", explique Ravi Chandran.
Chine fermée jusqu'au deuxième trimestre 2022
La pandémie coûte à la Thaïlande environ 50 milliards de dollars par an en recettes touristiques. Selon les données du ministère thaïlandais du Tourisme, les dépenses des Chinois se situaient au-dessus de la moyenne.
La Thaïlande attend 100.000 à 180.000 touristes étrangers cette année -la Chambre de commerce thaïlandaise table sur plus de 600.000-, une fraction des 40 millions de visiteurs qu'elle a reçus en 2019, alors qu'elle a levé lundi la quarantaine obligatoire pour les voyageurs vaccinés en provenance de plus de 60 pays.
Mais nombre d’experts s'accordent à dire que la Chine devrait vraisemblablement maintenir des mesures strictes telles que la quarantaine de trois semaines pour tout voyageur venant de l’extérieur jusqu'au deuxième trimestre 2022 au moins, avant de relâcher progressivement ces restrictions selon la situation de chaque pays de provenance.
"Les destinations doivent identifier de nouveaux marchés sources et apprendre à commercialiser et répondre aux attentes de cultures différentes", souligne Liz Ortiguera, directrice générale de la Pacific Asia Travel Association (PATA), citant les Maldives comme un rare exemple d’adaptation réussie pendant la pandémie.
L’archipel de l'océan Indien a effectué une promotion intense dans les salons professionnels et a accru de manière significative la part de touristes russes et indiens dans ses complexes hôteliers de luxe pour remplacer les Chinois qui représentaient avant la pandémie la principale source de visiteurs.
Evolution du tourisme en Chine
Selon ForwardKeys, société spécialisée en statistiques sur le voyage, il faudra jusqu'en 2025 pour que le tourisme chinois à l'étranger revienne aux niveaux pré-pandémiques. Cela va également forcer les compagnies aériennes à réajuster leurs itinéraires - 38% des touristes chinois empruntaient des transporteurs étrangers en 2019 toujours selon les données de ForwardKeys. Même si Singapour, la Thaïlande et l'Indonésie Bali s'ouvrent progressivement aux voyageurs internationaux, les compagnies Thai Airways et Garuda Indonesia réduisent considérablement leur flotte dans le cadre de plans de restructuration en l'absence de touristes chinois.
Et même lorsque la Chine rouvrira ses frontières, plusieurs études de professionnels du secteur révèlent que beaucoup de Chinois seront réticents à voyager à l'étranger par crainte du COVID-19.
En parallèle, on observe un boom des vacances domestiques sur l'île de Hainan, dans le sud-ouest du pays, qui propose désormais des produits détaxés, ce qui concurrence les destinations de shopping habituelles telles que Hong Kong et la Corée du Sud.
"Honnêtement, je n'ai pas beaucoup d'enthousiasme pour les voyages internationaux", déclare Kat Qi, 29 ans, une chercheuse de Pékin qui avait pourtant déjà voyagé en Asie du Sud-Est et en Grande-Bretagne avant la pandémie. "Beaucoup d'endroits que je voulais visiter se trouvent dans des pays moins développés avec des paysages naturels magnifiques mais ils se trouvent être parmi les pays les moins vaccinés."
Finies les hordes de Chinois en voyage organisé
La préférence de la jeune femme pour les paysages naturels s'inscrit également dans une tendance nouvelle qui ressort des enquêtes réalisées auprès des voyageurs chinois. Beaucoup se tournent sur le plein air, alors que les vacances en camping sont de plus en plus prisées, et les professionnels du tourisme vont devoir s'adapter en conséquence, estiment les experts.
"Le marché aura changé, les Chinois voyageant en 2022 seront donc différents des Chinois voyageant en 2019", affirme Wolfgang Georg Arlt, PDG de l'Institut de recherche sur le tourisme de Chine. "Je pense que les tendances vont s'éloigner des habituelles course au shopping et frénésie de la carte postale."
Les voyages organisés en grands groupes devraient également appartenir au passé -on observe d’ores et déjà qu'ils sont tombés en disgrâce dans le tourisme domestique- et ils devraient être remplacés par des voyages individuels et des circuits personnalisés en comité restreint avec la famille et les amis, estime Sienna Parulis-Cook, directrice du marketing et des communications chez Dragon Tail International, entreprise de conseil.
"Vous aurez sans doute des voyages organisés avec tout le tremblement, mais ce sera avec un petit groupe de personnes que vous connaissez, plutôt que 50 étrangers entassés dans un bus de voyage", dit-elle.
500 millions de touristes chinois dans 5 ans
Quoiqu'il en soit, si à moyen terme il faudra manifestement faire sans les touristes chinois, les professionnels savent bien que Chine reprendra inévitablement tôt ou tard sa place de principale source de voyageurs.
"Avant le Covid-19, la Thaïlande accueillait 13 millions de visiteurs chinois sur à peu près 200 millions de voyageurs chinois annuels", rappelle Patrick Basset, directeur général opérationnel Asie du Sud-Est & Nord-Est et Maldives du groupe AccorHotels.
"Dans 5 ans, ils seront plus de 500 millions à voyager à l’étranger et l’une des premières destinations qu’ils veulent connaître est la Thaïlande. Il y a donc un potentiel énorme et je ne parle même pas de l’Inde!", souligne le Français qui estime que d’ici 15 à 20 ans, la Thaïlande pourrait accueillir 70 à 80 millions de touristes par an.