Le Premier ministre thaïlandais est la cible de critiques dont une partie vient de son propre camp apparemment exacerbées par le marasme économique dû à sa gestion de la crise Covid-19
Un peu plus d’un an après le début des manifestations menées par des étudiants contre son gouvernement, le Premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-O-Cha fait l’objet d’un mécontentement croissant alimenté par sa gestion de la crise du Covid-19.
Et désormais, certains de ses anciens alliés font partie de ceux qui appellent à sa démission.
Jeudi, trois groupes de manifestants distincts ont défilé pour exiger le départ de l’ancien chef de l’armée, qui est arrivé au pouvoir pour la première fois en 2014 par un coup d'État militaire contre un gouvernement élu.
Plusieurs partis politiques siégeant au Parlement - dont deux dans la coalition au pouvoir - vont essayer de changer la Constitution rédigée par l'armée qui a aidé Praytuh Chan-O-Cha et sa clique à se maintenir au pouvoir après les élections de 2019 en permettant à un Sénat nommé par la junte de voter pour nommer le Premier ministre.
Les "Chemises jaunes" voient rouge
Mais du moment que l’ex-putschiste bénéficie du soutien de l'armée et du puissant roi de Thaïlande, il est fort probable que cette nouvelle impulsion pour modifier les structures du pouvoir politique n'aboutira à rien une fois de plus.
Toutefois, le mécontentement à l'égard de Prayuth a augmenté par rapport à l'année dernière, et il s’exprime aujourd’hui dans son propre camp.
"Les gens doivent s'exprimer maintenant pour faire le ménage dans notre système", lance le militant politique Nittitorn Lamlua, qui a mené jeudi l’un des groupes de manifestants à Bangkok.
A 56 ans, Nittitorn Lamlua est un vétéran des «Chemises jaunes», un mouvement composé de conservateurs majoritairement royalistes qui ont protesté dans les années 2000 contre les gouvernements successifs du clan Shinawatra, dont le dernier, dirigé par Yingluck Shinawatra, a été renversé par la junte de Prayuth Chan-O-Cha.
La gestion de la crise du Covid-19 en cause
Nittitorn partage assez peu les points de vue des manifestants étudiants du mouvement progressiste né l'année dernière. Il a même dirigé une contre-manifestation pour défendre le roi et la monarchie contre l'appel des étudiants à restreindre les pouvoirs du roi - considéré comme une institution sacrée par de nombreux Thaïlandais conservateurs.
En revanche, il tombe d’accord sur la mauvaise gestion de la crise du coronavirus et de l'économie et le fait de n’avoir pas su restaurer une vraie démocratie avec les élections de 2019. Il reproche par ailleurs au Premier ministre de ne pas défendre comme il se doit la monarchie contre les appels à la réforme -ce qui, pour le mouvement progressiste, entre en contradiction avec le souhait de voir une vraie démocratie.
"Mes objectifs sont tous pour la nation, la religion, la monarchie et le peuple et la démocratie, et c'est ce gouvernement qui m'a poussé à [manifester] à nouveau, à travers ses échecs et sa mauvaise gestion", a déclaré Nittitorn.
Le porte-parole du gouvernement, Anucha Burapachaisri, a déclaré que le gouvernement était prêt à écouter les critiques, mais que le Premier ministre avait toujours pour obligation de diriger le pays pendant la crise du Covid-19 et agirait seulement dans l'intérêt du public.
"Le gouvernement essaie de ne pas s'opposer à des groupes en particulier", a-t-il déclaré.
«Prayuth est le problème»
De l'autre côté du fossé politique se trouve Jatuporn Prompan, un ancien chef du mouvement des «Chemises rouges» qui avait défendu dans la rue de 2008 à 2010 l'ancien Premier ministre déchu Thaksin Shinawatra, puis en 2014 la sœur de ce dernier.
"Nous voyons bien que Prayuth est le problème pour le pays, et il doit être destitué", a déclaré Jatuporn.
La troisième épidémie de coronavirus qui sévit actuellement en Thaïlande n'a fait qu'alimenter la colère contre le chef du gouvernement.
"La pression populaire est palpable, elle monte et les gens veulent des réponses", explique Thitinan Pongsudhirak, politologue à l'Université Chulalongkorn et directeur de l’Institute of Security and International Studies.
Si la gestion par le gouvernement de l’épidémie dans les premiers mois avait été largement saluée dans le royaume, le choix fait ensuite sur la stratégie vaccinale de la Thaïlande, consistant à tout miser sur une seule entreprise, qui plus est novice en termes de fabrication de vaccins, ont suscité d’abord une certaine incompréhension puis ensuite la colère lorsque le virus s’est mis à faire de plus en plus de victimes et à empêcher l’économie de repartir.
Le Sénat veille au grain
Pourtant, dit-il, avec l'armée et le palais toujours derrière Prayuth, il est difficile d’imaginer qu’il puisse être destitué.
La Constitution militaire de 2017 stipule que le Sénat, dont les membres ont été nommés par l'ancienne junte, doit voter pour élire le Premier ministre aux côtés de la Chambre des représentants, ce qui rend quasiment impossible la destitution de l'ex-putschiste.
Le Parlement est en train de débattre cette semaine sur des amendements à la Constitution.
Sur la même ligne que les partis d'opposition, on retrouve deux membres de la coalition au pouvoir. Le parti Bhumjaithai et le Parti démocrate sont en effet favorables à des changements qui retireraient au Sénat son droit de vote pour l’élection du Premier ministre. Les prochaines élections générales sont prévues d'ici 2023.
Mais il se trouve que les modifications apportées à la Constitution nécessitent aussi l'approbation du Sénat, et il y a peu de chances que celui-ci vote pour diminuer ses propres pouvoirs.
Le poids décisif du palais
Le soutien pour Prayuth Chan-O-Cha, que ce soit au sein de son parti pro-militaire, le Palang Pracharat, ou de la part de la puissante armée, semble inébranlable malgré la pression populaire croissante.
Le risque pour Prayuth serait que le roi Maha Vajiralongkorn exprime un quelconque désaveu à l'égard de son leadership, ce que l’intervention surprise de la princesse Chulabhorn dans la stratégie vaccinale le mois dernier, au nez et à la barbe du gouvernement, aurait pu laisser penser.
Toutefois, Thitinan Pongsudhirak affirme que les rumeurs sur l’état d’esprit du monarque à l’égard du Premier ministre se sont avérées fausses.
"Il n'y a aucun signe pour moi pour le moment que le soutien du palais a été retiré", a déclaré l’expert en politique thaïlandaise.
"Nous sommes en quelque sorte coincés avec Prayuth indéfiniment, jusqu'aux prochaines élections", estime-t-il.