Le ministre thaïlandais de la Santé a cherché mardi à rassurer sur le programme de vaccination de masse qui doit commencer la semaine prochaine, mais de gros doutes subsistent sur l'approvisionnement.
"Le 7 juin, il y aura un vaccin pour tout le monde, ceux qui ont déjà rendez-vous pour le vaccin le recevront comme prévu", a déclaré mardi le ministre de la Santé Anutin Charnvirakul.
Alors que la Thaïlande connait sa plus forte poussée épidémique avec près de 1.000 morts en deux mois, les autorités peinent à rassurer le public sur leur capacité à vacciner ne serait-ce que les plus fragiles en tenant leur propre calendrier, lequel est déjà loin derrière celui de nombreux autres pays.
Il faut dire que jusqu’au mois d’avril, la Thaïlande avait un taux de mortalité Covid-19 quasi nul (0,0001%), taux qui est passé depuis à 0,001%. Une situation qui aura sans doute laissé croire au pouvoir qu’il pouvait prendre davantage le temps pour organiser les choses le plus favorablement possible, sans agir dans l’urgence, de façon à servir au mieux les intérêts du pays tout en satisfaisant ses propres objectifs.
Première dose pour près de 4% de la population
Jusqu'ici, 2,5 millions de personnes ont reçu au moins une dose d'un vaccin anti-Covid, principalement CoronaVac, du laboratoire chinois Sinovac.
Ce dernier doit encore fournir 3 millions de doses en juin, tandis que les autorités se démènent pour obtenir des vaccins auprès d’autres laboratoires sous la pression des critiques qui demandent depuis plusieurs mois un élargissement et une accélération de la stratégie vaccinale.
Pour son plan de vaccination de masse, le gouvernement thaïlandais avait en effet quasiment tout misé sur une production locale de vaccin AstraZeneca confiée à une seule société, le laboratoire SiamBioscience, avec pour objectif de produire un peu plus de 60 millions de doses en quelques mois en vue de vacciner la moitié de la population entre juin et décembre. Afin de vacciner sans attendre les personnels médicaux les plus exposés au virus et les personnes les plus à risques, le royaume avait prévu d’importer à partir de février des doses d’AstraZeneca mais surtout de CoronaVac.
Dix fois plus de décès, économie asphyxiée
Cette stratégie à l’ancrage relativement étroit a rapidement suscité des critiques, et la troisième poussée épidémique n’a fait que la malmener davantage : en seulement deux mois, la Thaïlande a vu près de cinq fois plus d’infections au Sars-Cov-2 et dix fois plus de décès du Covid-19 qu’elle n’en avait vu en un an avant cela. Même si les accidents de la route font toujours trois fois plus de morts, les craintes d’une perte de contrôle de l’épidémie ajoutées à l’urgence de relancer l’économie asphyxiée depuis plus d’un an ont considérablement accru la pression sur le gouvernement pour accélérer la vaccination.
Les premières critiques de la stratégie vaccinale thaïlandaise sont venues de l’opposition politique par la voix du député déchu Thanathorn Juangroongruangkit qui a questionné en janvier le fait que la campagne de vaccination du gouvernement reposait quasi entièrement sur la production locale de vaccin par Siam Bioscience, pointant le manque d'expérience du laboratoire en matière de fabrication de vaccins.
Et le 28 mai, l’analyste Thitinan Pongsudhirak, professeur de sciences politiques à l'Université Chulalongkorn, a enfoncé le clou dans une tribune dans le Bangkok Post. "Il est tout à fait clair maintenant que le gouvernement thaïlandais a fait un mauvais pari dès le début, en associant de manière exclusive AstraZeneca à Siam Bioscience, relié au palais, pour une fabrication sous licence", a-t-il déclaré dans un article intitulé "No duopoly in Thai jab procurement".
Et d’ajouter "Un tel manque de choix et d’accessibilité a rendu la Thaïlande encore plus dépendante de la Chine".
Siam Bioscience appartient à une filiale du Crown Property Bureau, qui gère un patrimoine estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros et se trouve depuis 2018 sous le contrôle personnel du roi.
9 millions de doses en juin ?
Pour l’heure, la Thaïlande a approuvé l’autorisation d’utilisation d’urgence pour cinq vaccins : AstraZeneca, CoronaVac (Sinovac), Janssen (Johnson & Johnson), Moderna et dernièrement celui de Sinopharm.
Le gouvernement affirme qu'il disposera en juin de 6 millions de doses du vaccin AstraZeneca et de 3 millions de doses importées de CoronaVac.
Mais un conseiller présidentiel philippin a déclaré mardi avoir été informé par AstraZeneca que la livraison des premiers lots d’une commande de 17 millions de doses avaient été reportée de plusieurs semaines en raison de retards dans la production thaïlandaise.
Le gouvernement thaïlandais n'a fait aucune mention de quelconques retards et AstraZeneca et Siam Bioscience n'ont pas immédiatement répondu aux demandes de commentaires.
Autre détail qui alimente le doute sur la disponibilité des vaccins, les autorités ont récemment déclaré qu'elles allongeraient le laps de temps qui sépare les deux injections vaccinales expliquant que cela doit permettre de vacciner plus rapidement un plus grand nombre de personnes en donnant la priorité à la capitale Bangkok et aux provinces environnantes.
Le choix des vaccins
A la question de la quantité, s’ajoute également celle de la qualité. Alors que la réputation du vaccin AstraZeneca a été entachée par plusieurs cas de thrombose, et a d’ailleurs été mis de côté par plusieurs pays, l’efficacité du vaccin Sinovac est également mise en doute, même si celui-ci a finalement été approuvé par l’OMS, rapporte mercredi la BBC.
L’inquiétude sur la qualité des vaccins proposés par la Thaïlande se fait particulièrement ressentir chez les expatriés dont un certain nombre aimerait avoir davantage de choix, soucieux non seulement des critères d’efficacité et de sûreté, mais aussi au regard de la reconnaissance desdits vaccins dans leur propre pays ou dans les pays dans lesquels ils doivent voyager pour leur travail. CoronaVac n’est pour l’heure pas reconnu par l’Union Européenne, mais l’agence européenne du médicament est actuellement en train de l’examiner.
Une situation qui amène de nombreux étrangers à se tourner vers leurs ambassades pour leur demander d’importer elles-mêmes les vaccins de leur choix et vacciner leurs ressortissants.
Droit exclusif d’importer des vaccins
Alors que le gouvernement américain a répondu par la négative, celles de pays l’Union Européenne disent avoir engagé des pourparlers avec les autorités thaïlandaises afin de s’assurer que leurs ressortissants auront accès au vaccin dans un délai raisonnable et négocier le cas échéant la possibilité d’importer des doses comme cela a été fait dans certains pays en situation d’urgence - toutefois, la Thaïlande enregistre une moyenne de 16 morts dus au Covid-19 par jour sur les deux derniers mois.
Comme partout dans le monde, l’importation de produits de santé est soumise à l’autorisation des autorités locales, et le gouvernement thaïlandais s’est réservé jusqu’ici le droit exclusif d’importer des vaccins -la fondation de la princesse Chulabhorn a toutefois obtenu par décret la semaine dernière le droit d’importer des vaccins Sinopharm.
Le gouvernement a par ailleurs annoncé qu'il commanderait 20 millions de doses du vaccin Pfizer/BioNTech, vaccin qui semble avoir la cote chez les Thaïlandais selon un récent sondage de l’institut Suan Dusit.
Le ministre de la Santé a affirmé mardi que son ministère était en discussion avec le laboratoire Pfizer et que la Thaïlande pourrait également commander cinq millions de doses du vaccin de Johnson & Johnson pour le quatrième trimestre de cette année.