Les deux principaux partis d'opposition thaïlandais, qui ont fini en tête du scrutin législatif de dimanche, ont convenu lundi de former une coalition en vue de former un gouvernement sans influence militaire.
Le parti progressiste Move Forward et le parti populiste Pheu Thai ont largement dominé le scrutin de dimanche, écrasant les partis sous affiliés aux militaires. Mais ils risquent d’avoir du mal à s’attirer le soutien parlementaire nécessaire pour pouvoir choisir leur Premier ministre, compte tenu du système hérité de la junte militaire issue du coup d’Etat de 2014 imposant dans le processus de nomination quelque 250 sénateurs nommés par ses soins qui pèseront lourd dans le vote aux côtés des 500 députés fraîchement élus.
Le leader du parti Move Forward, Pita Limjaroenrat, a proposé lundi une alliance de six partis qui totaliserait 309 sièges, ce qui reste en deçà des 376 sièges nécessaires pour assurer son élection au poste de Premier ministre.
Interrogé sur le rôle du Sénat, il a déclaré que chacune des parties en présence devait respecter le résultat des élections et qu'il n’y avait pas lieu de s'y opposer.
"Je ne suis pas inquiet mais je ne suis pas négligent", a-t-il dit lors d'une conférence de presse. "Le prix à payer risque d'être assez élevé si quelqu'un envisage de contredire le résultat des élections ou de former un gouvernement minoritaire."
Le Pheu Thai, contrôlé par la famille Shinawatra, s'est dit d'accord avec la proposition de Pita Limjaroenrat et lui a souhaité bonne chance dans ses efforts pour devenir Premier ministre.
Les partis du clan Shinawatra avaient jusqu’ici remporté toutes les élections depuis 2001, mais cette année la victoire du Move Forward, qui s’est presque entièrement imposé à Bangkok, marque une rupture dans cette tradition.
Pas d’autre alliance en vue ?
"Le Pheu Thai n'a pas l'intention de former un autre gouvernement", a assuré le chef du parti, Chonlanan Srikaew, lors d'une conférence de presse.
Même si le résultat de ce scrutin est tombé comme un coup de massue pour l'armée et ses alliés, le système mis en place en 2017 par la junte en vue des premières élections post-coup d’Etat leur a permis de s’imposer en 2019 malgré leur défaite électorale, et pourrait leur permettre d'obtenir le même résultat cette année.
Move Forward a reçu un fort soutien de la part de l’électorat jeune pour son programme libéral et des promesses de changements audacieux, comme la fin des monopoles ou encore la réforme de la très sévère loi de lèse-majesté.
Lundi, Pita Limjaroenrat a effectué un tour d'honneur à Bangkok acclamé par des milliers de supporters - certains dans les rues, d'autres sur les toits - vêtus de la couleur orange signature du Move Forward et scandant "Pita Premier ministre".
Pirag Phrasawang, étudiant de 22 ans, s'est dit "bouleversé et ravi de voir enfin le changement arriver dans le pays". "Ma voix a été négligée pendant longtemps. Je suis heureux que les gens se soient enfin réveillés et aient répondu aux politiques de Move Forward."
Pita Limjaroenrat a déclaré que Move Forward poursuivrait son plan visant à modifier la loi de lèse-majesté, qui, selon les critiques, est avant tout utilisée pour étouffer la liberté d'expression.
L'article 112 du code pénal thailandais punit les insultes envers les membres de la famille royale de peines pouvant aller jusqu'à 15 ans de prison, et plusieurs centaines de personnes font actuellement l’objet d’accusations, dont certaines sont en détention provisoire.
Pita Limjaroenrat souligne que le Parlement est l’endroit le plus adéquat qui soit pour demander des amendements à la loi, ou à l'article 112.
"Nous utiliserons le Parlement pour nous assurer qu'il y a une discussion en profondeur et avec maturité et transparence sur la manière dont nous devrions avancer en termes de relation entre la monarchie et la masse", a-t-il déclaré.
Lorsqu'on lui a demandé si le Pheu Thai soutiendrait cela, Paetongtarn Shinawatra, l'une de ses principales candidates, a déclaré que cela pourrait être discuté dans le cadre de la législature.
"Le Pheu Thai a une position claire selon laquelle nous n'abolirons pas le 112, mais il peut y avoir une discussion sur la loi au Parlement", a-t-elle déclaré.